De Vienne, le 6 Mars 1689.
Le 3 ce mois, vn courier vint donner avis que la garnison de Canischa s’étoit renduë aux mesmes conditions que celle de Sighet : mais on attend plus de certitude et plus de détail de cette nouvelle. On a appris par des lettres interceptées de Constantinople du 20 Ianvier, les nouvelles suivantes. Yeghen Bacha est rentré dans l’obéïssance du
Grand Seigneur
: et il doit agir en Hongrie, avec toutes les troupes qu’il commande,{135}et huit mille hommes de celles d’Asie qui marchoient du mesme costé. Les Turcs se croyoient assurez que les Moscovites ne romproient point entierement avec eux : et que les fortifications qu’ils faisoient sur le Niester à Hamora, n’estoient que pour empescher les courses des Cosaques Zaporoges. La Porte estoit pleinement informée que
l’Empereur
auroit la plus grande partie de ses forces et celles de tous ses Alliez occupées sur le Rhin : et qu’ainsi, il ne pourroit estre au plus, que sur la défensive en Hongrie. Le Kan des Tartares s’est rendu à Andrinople, afin d’assister aux conseils où devoient se prendre les dernieres resolutions pour la Campagne prochaine. On a appris par vne autre voye, que deux Seigneurs Hongrois ont assuré
le Comte Thékéli
, au nom des principaux de la nation, qu’ils n’attendoient que l’approche de l’armée Othomane, ou le commencement de la guerre sur le Rhin, pour prendre les armes : qu’il a esté joint par plusieurs Officiers : et qu’il a receu vn secours considerable d’argent, que
le Grand Seigneur
luy a envoyé. Les trois Bachas qui commandent seize mille Turcs assemblez pres de Szoli, ont eu ordre expres sous peine de la vie, de s’emparer de Zwernich, avant que les Impériaux soient en marche. Ces nouvelles commencent à faire douter du succez de la négociation avec les Envoyez de la Porte, dont les Ministres Impériaux avoient crû qu’ils seroient les maistres. Les conferences avec eux, sont demeurées sursises depuis le 26 du mois dernier : mais on croid qu’elles recommenceront bientost, parce que l’Ambassadeur de Venise a receu les pleins pouvoirs qu’il attendoit : et qu’vn Senateur arrivera dans quelques jours icy, avec les pleins pouvoirs du
Roy
et de la Republique de Pologne. Cependant, les Envoyez de la Porte ont visité en particulier, les Commissaires Impériaux : et le 1r de ce mois, ils allérent encore voir le
Comte de Staremberg
Vice-President du Conseil de guerre. Les Commissaires Impériaux demandent tousjours la cession de toute la Hongrie avec ses anciennes dépendances : et on dit que l’Ambassadeur de Venise a déclaré que la Republique persistoit pareillement à demander aux Turcs la cession de Negrepont, de Napoli de Malvasie, de la Morée, et de toutes les places occupées en--core par les Turcs dans la Dalmatie : mais on a peine à se persüader que les Envoyez Turcs consentent presentement à conclure la paix à des conditions si desavantageuses. Ils continüent à demander de leur costé, que
l’Empereur
restitüe Belgrade, ou qu’il l’échange avec le Grand-Waradin, Temeswar ou Giula, ou que la place soit rasée. Ils persistent pareillement à refuser le tribut annüel, et les sommes qu’on leur demande pour les frais de la guerre, et pour le dédommagement des degasts faits en Hongrie. On dit mesmes que dans la derniere conference, qui s’est tenuë chez le
Comte de Staremberg
, ils ont encore demandé la permission de dépescher vn courier au
Grand Vizir
, pour l’informer de l’estat de leur negociation : et en recevoir les nouvelles instructions qui leur sont necessaires pour la continüer. Les Commissaires Impériaux qui en prevoyent les consequences, éluderent cette proposition, et en firent vne autre à ces Envoyez : qui estoit que
le Comte Thekeli
comme principal auteur de la guerre et celuy qui apportoit le plus d’obstacle à la paix, seroit mis en lieu de seureté durant les conferences, et aprés la conclusion du traité, envoyé à
l’Empereur
. Mais ils rejetterent cette demande avec indignation : et refusérent mesmes d’en faire mention dans leurs dépesches. On craint à present plus que jamais, que
le Comte Thekeli
ne suscite vne nouvelle revolte en Hongrie et en Transylvanie : et sur l’incertitude qui paroist du succez de la negociation avec les Envoyez de la Porte, on continüe à se préparer le mieux qu’il est possible, à soustenir la guerre en Hongrie. On a envoyé ordre depuis quelques jours, de travailler incessamment aux magazins destinez pour l’armée qui y sera commandée par le Comte
Caprara
. Il a esté mandé dans cette veuë pour assister aux conferences sur les projets de la Campagne. Trois régiments de cavalerie, de ceux qui sont destinez pour l’armée du Rhin, partirent la semaine derniere, de leurs quartiers en Boheme, pour joindre les autres qui y sont. Il y a aussi pres de cinq mille fantassins qui ont ordre de partir pour le renfort des régiments qui restent en garnison dans les places frontieres de la Haute Hongrie.