De Vienne, le 13 Mars 1689.
L’avis qui estoit venu la semaine derniere, de la reddition de Canischa, n’a pas esté confirmé. Hier, vn courier dépesché de Pologne, par le Baron Zierowski Envoyé Extraordinaire de
l’Empereur
, confirma la nouvelle qu’on avoit receuë de la Haute Hongrie, que douze mille Tartares estoient arrivez à Widin, pour se joindre aux troupes du
Comte Thékéli
: et entrer ensemble dans la Transylvanie. Aussitost les deux régiments de cavalerie du Baron Heusler et celuy d’infanterie du Comte Nigrelli qui estoient en marche pour venir sur le Rhin, furent contremandez avec ordre d’aller servir en Transylvanie, sous le Baron d’Herbeville. En mesme temps, on envoya vn courier au Comte Nigrelli pour l’avertir de la marche des Tartares, afin qu’il se mist en estat avec les troupes et les milices du Païs, de disputer les passages aux ennemis. On a aussi appris qu’vn corps de six mille Turcs s’estoit avancé vers Belgrade, pour y faire diversion, pendant que les Tartares entreroient en Transylvanie : et des couriers ont esté dépeschez en diligence au Comte Picolomini dans la Bossine et au Commandant de Belgrade, pour leur porter ordre d’assembler autant de troupes qu’il sera possible : et de se tenir sur leurs gardes. Ces nouvelles arriverent lors que
l’Empereur
tenoit Conseil de guerre avec ses Ministres, et qu’on deliberoit sur les preparatifs de guerre qui doivent se faire pour l’armée du Rhin Elles causerent beaucoup de surprise : et on jugea qu’il falloit sans perdre de temps, s’opposer aux entreprises des Turcs, veu mesme que l’esperance de conclure la paix diminüoit de jour à autre, à cause des nouvelles difficultez qui ont arresté la negociation. L’Ambassadeur et l’Envoyé de Pologne doivent bientost arriver avec des pouvoirs fort amples : mais les Envoyez de la Porte ayant esté informez des conditions que ces Ministres sont chargez de proposer, ont declaré par avance qu’ils ne pouvoient les écouter, sans exceder leurs pouvoirs. D’ailleurs, l’Ambassadeur de Venise, quoiqu’il ait reçeu les pleins {327}pouvoirs et les instructions qu’il attendoit, témoigne peu d’empressement : ce qui étonne assez les Ministres Impériaux qui croyoient obliger les Alliez aussi bien que les Turcs à conclure la paix, selon les conditions que
l’Empereur
voudroit prescrire. On dit que deux Envoyez de Moscovie viennent icy : et qu’ils iront aussi à Venise, pour demander que la negociation avec les Turcs soit remise à l’hyver prochain, assurant que les Czars feront entrer des troupes dans la Krimée : et qu’ensuite, ils travailleront avec
l’Empereur
,
le Roy de Pologne
et la Republique de Venise, à faire vne paix honorable et avantageuse avec la Porte. On ne sçait pas ce qui sera resolu sur cette proposition. Hier, les Envoyez Turcs eurent vne conference particuliere avec le Comte de Kinski Chancelier de Boheme : où ils declarerent encore qu’ils ne pouvoient recevoir la proposition qui leur avoit esté faite de livrer
le Comte Thekeli
: et ils ajoûterent que leurs pleins pouvoirs ne leur permettoient pas de rien accorder à
l’Empereur
, outre la cession des places conquises. Ils avoient fait proposer vne suspension d’armes pour quelques mois : mais il n’a pas esté jugé à propos d’y consentir, parce qu’il faudroit faire la mesme dépense pour entretenir les troupes durant la treve que durant la guerre. On croid qu’aussitost qu’ils auront sçeu les intentions du
Roy de Pologne
et de la Republique de Venise, ils demanderont d’aller à Andrinople, pour en informer permission le Grand Seigneur. Cependant, on leur a fait entendre qu’on alloit travailler en diligence, aux preparatifs pour commencer la Campagne en Hongrie. Le Comte
Caprara
y commandera en chef : et le Comte d’Aspremont sera Lieutenant General. Le Comte Veterani commandera aussi en la mesme qualité, dans la Transylvanie et dans la Walaquie : et le Baron Heusler servira sur le Rhin.
L’Empereur
a donné au Comte de Czernin la charge de Grand Maréchal Hereditaire de Boheme, moyennant vne avance qu’il a faite à
Sa Majesté Impériale
, de quatre cents mille florins pour les dépenses de cette guerre. Les heritiers du feu General Sporck offrent aussi d’avancer six cents mille florins en prenant quelques droits et peages pour seureté deleur debte.
On a esté obligé d’abandonner le dessein de lever la taxe qui avoit esté proposée sur les biens d’Eglise, et l’impost qu’on vouloit lever par teste sur les particuliers, parce que les Ecclesiastiques ont absolument refusé de la payer : et que les peuples ont representé qu’ils estoient dans vne entiére impossibilité de satisfaire à ces taxes excessives.
Ainsi, ces deux expedients dont la Chambre des Finances esperoit tirer vingt millions qu’elle avoit desja destinez aux dépenses les plus pressées, se trouvent entierement inutiles. On a depuis, proposé de vendre vne partie des Domaines de Hongrie : mais il se trouve peu de personnes qui veüillent hazarder leur argent, en acquerant des terres sur des frontieres qui sont déja exposées aux courses des Infideles.