De Vienne, le 1r May 1689.
Vn Officier des troupes commandées par le
Comte de Staremberg
, a apporté icy quelques drapeaux que les Rasciens ont pris sur les Turcs, dans la rencontre qu’ils ont euë avec vn de leurs partis pres de Semendria : où les derniers n’ont perdu qu’environ deux cents hommes, quoyqu’on eût publié que plus de trois mille estoient demeurez sur la place. Mais il paroist bien que la perte n’a pas esté fort considerable, puis que selon le rapport du mesme Officier leur armée continüoit à s’assembler entre Sophie et Nissa : et que le brüit couroit qu’elle seroit de plus de six vingt mille hommes apres la jonction des troupes d’Asie, et des Tartares. On assure aussi toûjours que
le Grand Seigneur
accompagné du
Grand Vizir
, devoit venir la commander en personne : et que le
Comte Thékéli
entreroit cependant en Transylvanie. On confirme qu’il s’estoit emparé d’vne palanque vis-à-vis d’Osowar : et qu’il s’avançoit vers la place pour tâcher de s’en assurer, à dessein de faire passer ensuite, vn convoy de vivres et d’argent à Temeswar. Depuis ces avis, on a sceu par vne lettre interceptée, écrite d’Andrinople le 3 du mois dernier, que le Kan des Tartaresavoit eu la principale part dans la conduite du dessein formé pour se saisir de Yeghen Bacha : qu’on a trouvé de grandes sommes d’argent dans ses tentes, ainsi qu’aux principaux Officiers de son parti, dont trente six ont esté étranglez, et que ces sommes ont esté destinées pour les dépenses de la Campagne : que les Turcs ont envoyé vn secours de sept mille hommes du costé de Negrepont : qu’ils faisoient tous leurs efforts pour mettre cette place en estat de soustenir vn second siege dont elle est menacée : et que selon l’estat de guerre qu’ils ont fait pour la Hongrie, ils doivent avoir cinquante mille hommes de troupes reglées, outre les milices d’Asie, de Servie, et de la Bossine, et les troupes des Tartares. Les mesmes lettres portent que
le Grand Vizir
avoit resolu de partir vers la fin d’Avril, pour venir sur la frontiere : que
le Grand Seigneur
devoit aussi se rendre à la teste de ses armées : que les troubles d’Asie estoient entierement appaisez : et qu’il avoit esté resolu dans le conseil de guerre tenu à Andrinople, de n’envoyer cette Campagne contre la Pologne, qu’vne petite armée, qui sera fortifiée par vn corps de Tartares : et de faire les principaux efforts en Hongrie. On a esté icy bien surpris de ces nouvelles si peu attenduës, et qui rüinent vne partie des projets de la Campagne prochaine. Plusieurs couriers ont esté dépeschez au Baron Heusler, pour luy porter ordre de s’opposer au
Comte Thékéli
: et on fait avancer avec toute la diligence possible, vers Belgrade, les troupes commandées pour composer l’armée de Hongrie. Vne partie a esté embarquée sur le Danube, parce qu’on craint que les Turcs ne soient les premiers en campagne : et qu’ayant déja des forces considerables assemblées entre Nissa et Sophie, ils n’attaquent quelque place avant que les troupes Imperiales soient assemblées en assez grand nombre pour les secourir. Elles ne pourront faire qu’vn corps d’environ trente mille hommes : et neanmoins, on espere que ces forces seront suffisantes pour s’opposer aux entreprises des Infideles, sur ce que le brüit court que la pluspart de leurs troupes ne sont que de gens ramassez et sans experience, quoy qu’on n’en ait aucun avis certain. On fait aussi con-düire à Belgrade par le Danube et par la Teysse, quantité de farines et d’avoines, avec des mortiers, des canons et des munitions : tant d’icy que de Presbourg, de Comorre, de Raab, de Bude et de Transylvanie.
Le Prince Loüis de Bade
qui doit commander l’armée Impériale en Hongrie, ne partira que le 15 de ce mois. On a assigné sur les biens du feu Comte Nadasti qui ont esté confisquez, la pension de vingt quatre mille florins que
l’Empereur
luy a accordée. On travaille incessamment aux reparations des fortifications de Belgrade, qui doivent estre augmentées de quelques nouveaux ouvrages. Deux Officiers des Rasciens qui se sont mis sous la protection de
l’Empereur
, ont demandé icy la paye et le pain de munition pour six mille hommes de leur nation : et l’ordre a esté envoyé aux Commissaires des vivres de leur en faire distribüer. Les Envoyez de la Porte pressent avec de grandes instances, l’Ambassadeur de Pologne de declarer les propositions qu’il est chargé de leur faire touchant les interests particuliers du
Roy
et de la Republique de Pologne. Ils demandent aussi aux Commissaires Impériaux les passeports et l’escorte necessaires pour s’en retourner : declarant qu’ils ne peuvent plus écouter ny faire aucunes propositions sur la negociation dont ils estoient chargez. Mais on dit qu’ils ne seront congediez que lors que l’armée de Hongrie sera en campagne : et cependant ils sont tousjours observez et gardez fort étroitement. On parle de les obliger à payer la dépense qu’ils ont faite icy, puis qu’ils n’avoient pas des pouvoirs assez amples pour conclure la paix : et que mesme il paroist qu’ils n’ont fait durer si long temps les negociations que pour tâcher d’apprendre quels seroient les preparatifs de guerre des Impériaux contre les Turcs. Les Envoyez de Moscovie continüent leurs conferences avec les Ministres Impériaux : mais sans qu’on sçache encore quel en sera le succez.
L’Electeur de Baviere
se dispose à partir le 4 de ce mois, pour retourner à Munich : et aller de là joindre son armée sur le Haut Rhin. On dit qu’il a obtenu que cinq régiments Imperiaux seront joints à ses troupes avec celles des Cercles de Baviere et de Süabe : & deux régiments de Wirtemberg : et que le Comte de Dunewald commandera sous ses ordres, au lieu du Comte
Caprara
qui servira avec le Comte de Souches, dans l’armée du
Prince Charles de Lorraine
. Tous les Officiers Generaux et les autres nommez pour servir dans l’Empire, sont partis pour se rendre incessamment à la teste de leurs corps. Le Comte Nigrelli est arrivé icy de Cassovie : et il a ordre d’aller de la part de
l’Empereur
vers
le Pape
et les Princes d’Italie, pour tâcher d’en obtenir quelques secours d’argent et de troupes. Le brüit court que
le Prince d’Orange
a envoyé offrir à
Sa Majesté Impériale
deux mille Irlandois : et de les faire condüire jusqu’à Hambourg.