La Gazette de Renaudot

De Lintz, le 30 Aoust 1683.

Les Turcs avoient fait vn Détachement pour se saisir des principales avenuës de la Forest de Vienne, par où lesImpériaux peuvent attaquer leurs quartiers. Ils s’y estoient retranchez : et ils commençoient à faire abattre les arbres pour fermer entiérement les passages et oster de ce costé-là toute communication entre le camp Impérial et la ville de Vienne. Les Impériaux les ont entiérement chassez de ce poste : et le Prince Charles de Lorraine y a envoyé deux mille Soldats et trois mille Païsans pour le conserver. Le 21 de ce mois, les Turcs donnérent vn assaut général à la ville de Vienne, avec l’élite de leurs Troupes. Les Spahis eurent ordre de mettre pied à terre, et de donner le sabre à la main, parce que leur Infanterie a esté fort diminuée dans les attaques continüelles et par les maladies qui sont dans leur camp. On ne sçait pas encore toutes les particularitez de cet assaut. Nous avons seulement appris que les Infidéles le donnérent avec vne grande furie, y estans revenus jusqu’à six fois : et que les Assiégez les repoussérent avec vne extréme vigueur. On a appris par deux Couriers extraordinaires, les principales circonstances d’vn combat donné le 25, entre les Troupes Impériales et celles des Turcs. Le Grand



Visir
avoit envoyé ordre au Bacha de Bude de faire assembler vn Corps considérable de Troupes, et de les faire marcher vers Vienne, pour renforcer son Armée, qui se trouvoit beaucoup diminüée par la longueur du siége, et pour faire vn Détachement capable d’empêcher la jonction des Troupes Auxiliaires de Pologne avec l’Armée Impériale. Ces Troupes, parmy lesquelles il y avoit trois mille Tartares, passérent le Danube à Gran, et se joignirent à quelques Troupes Hongroises commandées par le Comte Thékéli : de maniére qu’elles formoient vn Corps de quinze à seize mille hommes. Les Bachas de Varadin et d’Agria qui en avoient le commandement, les firent marcher en bon ordre : et ils passérent la riviére de Mark sans aucun obstacle, dans le temps que le Prince Charles de Lorraine s’en éloignoit, pour s’avancer vers Stokeraw. Ce Prince , averti de leur dessein, et qu’ils venoient à luy pour l’attaquer, marcha droit à eux : et il les joignit pres de Pissemberg, qui n’est qu’à vne lieuë de Vienne. Illes envoya reconnoître par trois Régiments Polonois du Chevalier Lubomirski et par deux Régimens de Cavalerie Allemande. Les Polonois, au lieu d’exécuter seulement l’ordre qu’ils avoient, et d’attendre que le reste des Troupes se fût avancé pour les soûtenir, commencérent à combattre. Mais ils furent mis en desordre par le grand nombre des Ennemis. Ils se ralliérent et retournérent à la charge plusieurs fois : et ils furent enfin obligez de se retirer vers le gros de l’Armée Impériale, que le Prince Charles de Lorraine rangeoit en bataille. Les Turcs les poursuivirent et donnérent avec beaucoup de furie sur l’Avantgarde, percérent l’Escadron des Cüirassiers, qu’ils mirent en desordre, et poussérent jusqu’au Corps de bataille. Les Dragons qui estoient sur la premiére ligne leur firent teste : et par leur vigoureuse résistance, ils donnérent temps aux autres Troupes de se reconnoître. Ainsi, les Turcs chargez de toutes parts, furent obligez, apres avoir combattu avec toute la vigueur imaginable, de lâcher le pied, et de laisser les Impériaux maîtres du champ de bataille : ayant eu pres de trois mille hommes tüez, et vn grand nombre de blessez. On compte entre ceux-cy le fils du Can des Tartares, et les Bachas de Waradin et d’Agria, qui s’estoient engagez fort avant dans le combat, pour tâcher par quelque action signalée, de réparer la honte de leur défaite devant Presbourg, qui avoit esté attribuée à leur mauvaise condüite. Une partie des Turcs prirent la füite du côté de Vienne : et ils furent poursuivis jusqu’au bout du pont. Les autres tâchérent de se fauver au delà de la riviére de Mark : mais plus de trois cens hommes se noyérent : et ceux qui se trouvérent écartez furent tüez par les Païsans. Le Comte Thékéli se retira en bon ordre avec les Hongrois. Les Impériaux ont gagné en cette occasion vingt-deux drapeaux et six tymbales, avec vn grand nombre de Chevaux richement harnachez : et ils ont fait quantité de prisonniers. Ils n’ont pas perdu beaucoup de monde : mais il y a eu vn grand nombre de blessez, entre lesquels sont le Marquis Doria et le Colonel Butler. Le Prince Charles de Lorraine , depuis cetteaction, s’est campé avec l’armée prés de Korneubourg, où il attend la jonction des troupes auxiliaires. Le 25 de ce mois, l’ Empereur et l ’Impératrice arrivérent de Passau en cette ville, accompagnez de plusieurs Princes de l’Empire, et des Ministres Etrangers. L’ Archidu c et les Archiduchesses sont demeurez à Passau. L’ Empereur a résolu de partir le 1r du mois prochain, pour aller à Crembs : où le Roy de Pologne doit estre le 2, selon qu’il en a fait asseurer Sa Majesté Impériale par le Comte Caraffa, qui arriva ici le 28 de ce mois. La plus grande partie des Princes et des Généraux sont desja arrivez à Crembs : et le Roy de Pologne doit arriver aujourd’huy à Niclasbourg, avec son armée.