De Lintz, le 9 Septembre 1683.
Le 2 de ce mois, le
Roy de Pologne
arriva à Helbron à quatre lieuës de Vienne : et le
Prince Charles de Lorraine
alla l’y trouver, accompagné des Officiers Généraux de l’Armée Impériale. Le mesme jour, le
Roy de Pologne
visita les Troupes : et il traita tous les Ministres que
Sa Majesté Impériale
avoit envoyez au devant de luy, ainsi que le Prince d’Anhalt Envoyé Extraordinaire de l’
Electeur de Brandebourg
. Le 3, on tint Conseil de guerre à Stedersdorf pres de Tuln : où se trouvérent le
Roy de Pologne
, le
Prince Charles de Lorraine
, le
Prince de Waldeck
Général des Troupes des Cercles de l’Empire, et le
Prince Herman de Bade
Président du Conseil de guerre. On y délibéra sur la maniére la plus seure de secourir Vienne et d’attaquer les Turcs dans leurs lignes. On proposa qu’il estoit plus seur de les attaquer par le haut de la Forest de Vienne, quoy qu’il y eût des défilez fort étroits. Le
Prince de Waldeck
représenta que les Turcs seroient obligez de faire marcher leur Infanterie de ce côté-là : que leur Cavalerie qui estoit tres-nombreuse, leur deviendroit ainsi inutile : et qu’on pourroit, en les attirant vers la Forest de Vienne, faire vn Détachement considérable des Troupes Auxiliaires, et le faire descendre par le Danube, pour attaquer les Infidéles par vn autre endroit. Le
Roy de Pologne
approuva cet avis : et il fut suivi par le
Prince Charles de Lorraine
et par le
Prince Herman de Bade
. Ensuite de ce Conseil, les deux Armées commencérent à passer le Danube à Tuln sur vn pont de bateaux. Le
Roy de Pologne
marchera séparément à la teste de ses Troupes, qui sont d’environ dix-huit mille hommes. Les Troupes de l’
Empereur
, et les Troupes Auxiliaires de Baviére, de Saxe, de Franconie, et toutes les autres de l’Empire, qui composeront vne Armée de quarante à quarante-cinq mille hommes, marcheront et agiront sous les ordres du
Prince Charles de Lorraine
et du
Prince de Waldeck
. Le Grand
Visir
a esté joint par les Troupes des Mécontents sous le commandement du
Comte Thékéli
.
Il a envoyé ordre à
Michel Apafi
Prince de Transsylvanie, et aux Hospodars de Moldavie et de Walachie qui estoient aupres de Raab, de le venir joindre chacun à la teste des Troupes de leur Païs. On asseure qu’il est résolu de hazarder le Combat, parce qu’il ne pourroit lever le siége sans exposer son Armée à tous les périls qui suivent ordinairement vne retraite précipitée lors qu’elle se fait en présence d’vne Armée ennemie, et devant des Places fortes, dont les garnisons pourroient tailler en piéces vne partie de son Arriére-garde. Il y a eu quelques difficultez a régler touchant le rang et la main que le
Roy de Pologne
prétend lors qu’il sera avec l’
Empereur
. Sa
Majesté Impériale
juge à propos de ne rien entreprendre qu’apres l’arrivée des Troupes de Franconie, de Wirtemberg, de Saxe-Gotha, et d’autres Troupes Auxiliaires qui sont en marche, et qui filent par cette ville, pour se rendre à Crembs. Cependant, les Colonels Halwiel et Heusler estant arrivez sur des bateaux, entre les deux ponts devant la ville de Vienne, le premier avec son Régiment de Cüirassiers, et l’autre avec le Régiment de Savoye, se sont saisis de la Redoute et des Isles qu’ils gardent pour faciliter l’approche des Troupes Auxiliaires. Le
Comte de Staremberg
Gouverneur de Vienne, est toûjours appliqué avec la mesme vigilance et la mesme activité à la défense de la Place, jusqu’à ce que les Impériaux se mettent en devoir de la secourir. Il écrivit le 1r de ce mois, au
Prince Charles de Lorraine
, pour luy faire sçavoir que les Mineurs des Turcs continüoient de miner sous le bastion du Château : que ceux de la place faisoient inutilement leurs efforts pour les rencontrer : et qu’ainsi il estoit absolument nécessaire de tenter le secours sans aucun delay. On a depuis sçeu qu’il avoit fait travailler ses Mineurs avec tant de diligence, et qu’il avoit fait en mesme temps creuser des püits si profonds, qu’on avoit découvert vne grande mine préparée par les ennemis, qui estoit chargée de plusieurs milliers de poudre dont les assiégez ont profité. Vn Courier dépesché à l’
Empereur
par le Comte de Schafgotz, a rapporté que le 7, les Turcs firent joüer deux mines, dont l’vne avoit renversé vne grande partie du bastion du Lyon, qui a esté tant de fois attaqué par les Turcs, et au pied duquel ils avoient fait vn grand logement. En mesme temps, les Infidéles donnérent vn assaut par la bréche avec beaucoup de vigueur : mais ils furent aussi repoussez avec toute la bravoure possible. Les assiégez firent ensüite vne grande sortie pour les chasser des logements qu’ils avoient faits à la pointe du ravelin, sur la contrescarpe et dans le fossé. Les Turcs défendirent courageusement les postes qu’ils avoient occupez : et le combat fut tres rude de part et d’autre. Néantmoins, ils furent chargez si vaillamment par les Chrestiens, que ne pouvant résister au feu continüel de leur mousqueterie, et aux grenades, ils furent obligez à se retirer. Leurs galeries, leurs gabions et tous leurs ouvrages furent brûlez. Ils perdirent quantité de monde en cette occasion : et les assiégez y perdirent plusieurs soldats, avec vn assez grand nombre de braves Officiers, parce que cette action, dont la conservation de la place dépendoit entiérement, ne pouvoit estre faite sans y employer beaucoup de troupes. Aussitost que les Turcs eurent esté chassez de leurs postes, le
Comte de Staremberg
fit travailler avec vne extréme diligence à de nouveaux retranchements dans le bastion et dans le ravelin, qui sont présentement comme des montagnes de terre, à cause que ces ouvrages ont esté souvent renversez par les fourneaux des ennemis et par ceux des assiégez. Ces avantages qui ont donné le temps à ceux de la ville d’attendre le secours leur ont coûté beaucoup de sang. La garnison a esté fort diminüée par le grand nombre des morts, des blessez et des malades : et ce qui en reste est tellement fatigué des sorties, des travaux et des veilles continüelles, que la place ne pourra pas encore résister long temps. On a appris par le mesme Courier, que le Sieur Jablanowski Grand Général de Pologne avoit passé le Danube à Tuln, avec vne partie des troupes Polonoises. L’armée Impériale s’avance du costé de Vienne, par trois routes différentes. L’infanterie prend sa route vers Maurbach : vne partie de la cavalerie marche du costé de Wolkersdorf : et l’autre marche vers Closter-Neubourg. On avoit crû que les Impériauxs’estoient saisis des postes principaux de la forest de Vienne : mais ce dessein n’avoit pas encore esté exécuté. Le 8, quelques troupes furent commandées pour l’aller reconnoistre : et on trouva que les Tartares y estoient campez depuis la petite riviére de Vienne jusqu’à Wolkersdorf. Le 7, entre six et sept heures du matin, l’
Impératrice
accoucha d’vne fille, qui fut baptisée le jour mesme. L’
Electeur de Baviére
la tint sur les fonts, et la nomma Marie Anne Ioseph Antoinette Reine. L’
Empereur
partit le lendemain sur le soir, avec le Conseil Aulique pour se rendre à Crembs.