De Lintz, le 15 Septembre 1683.
Depuis le 1r de ce mois, les Turcs avoient continüé leurs attaques avec vne telle furie, et les assauts continüels avoient tellement affoibli la garnison de Vienne, que le
Comte de Staremberg
avoit enfin donné plusieurs fois les signaux dont il estoit convenu avec le
Prince Charles de Lorraine
, pour faire connoître que la ville estoit à l’extrémité. Ainsi, il fut résolu de tenter incessamment le secours. Le 9 de
ce mois, l’Armée des Chrétiens, forte de soixante mille hommes, s’avança du côté de Vienne. Elle marcha sur trois colonnes : l’aîle droite estant commandée par le
Roy de Pologne
. Le
Prince Charles de Lorraine
estoit au Corps de bataille avec l’
Electeur de Saxe
. L’
Electeur de Baviére
et le
Prince de Waldeck
condüisoient l’aîle gauche, qui côtoyoit le Danube. Il y avoit dans l’Armée vn grand nombre de Princes et de Gentilshommes des premiéres Maisons de l’Allemagne, et des Etrangers qui estoient venus pour se signaler dans vne occasion si importante. Les principaux estoient l’
Electeur de Baviére
, l’
Electeur de Saxe
, et quatre Princes de la mesme Maison, le Prince
Eugéne de Savoye
, deux Princes de Neubourg, le Marquis de Brandebourg-Bareith, trois Princes de Wirtemberg, le
Prince de Hannover
, le Prince de Salms, le Prince Lubomirski et le Prince de Hohenzollern. Le 11, le Colonel Heusler s’empara de la hauteur du Château de Kalemberg à deux lieuës de Vienne. Le 12, l’Armée Chrétienne sortit de grand matin, de la Forest de Vienne, et se mit en ordre de bataille, pour attendre l’Artillerie qui estoit demeurée à deux lieuës de là. Les Turcs, sur l’avis qu’ils avoient reçeu de la marche de l’Armée Chrétienne, firent avancer aupres du Château de Kalemberg vn Détachement d’Infanterie, avec vn grand corps de Cavalerie qui vinrent se poster en présence de l’Armée Impériale. Les deux Armées ne furent pas plûtost en présence, que la Cavalerie des Infidéles s’avança avec de grands cris, et attaqua les Troupes commandées par le
Prince Charles de Lorraine
. Les Turcs furent vigoureusement repoussez : et ceux qui avoient commencé la mêlée estant retournez se joindre aux Escadrons qui n’avoient pas encore combattu, ils se ralliérent, et revenant à la charge ils donnérent ensemble sur les Troupes de Baviére avec beaucoup de vigueur. Ces Troupes soûtinrent courageusement l’attaque, et celles du Cercle de Franconie ayant chargé fort à propos les Infidéles, ils furent obligez de se retirer en desordre, et d’abandonner vne partie de leur Infanterie, qui ne put pas les suivre, et qui fut taillée en piéces. Apres
s’estre ralliez, ils se postérent avec le reste de l’Infanterie sur la montagne devant Vienne : et on les y attaqua l’apres-dînée, sur les trois heures. Les Troupes Allemandes les attaquérent par trois différents endroits : les Polonois par vn autre, du côté de la riviére de Vienne qui se décharge dans le Danube : et cela se fit avec tant de succez, que l’Infanterie des Turcs fut presque toute taillée en piéces : on leur prit mesme neuf piéces de canon, et ils se retirérent en desordre vers leur camp. Les Chrétiens les poursuivirent, marchant toûjours serrez et en bon ordre, afin de les empêcher de profiter du desordre qui estoit inévitable si on les eût poursuivis avec chaleur. Le
Grand Visir
avoit cependant, fait préparer toutes choses pour donner vn assaut général, à la faveur de quelques fourneaux qu’il avoit fait préparer. Les Chrétiens poursuivirent les Turcs jusques dans leur Camp : où ils ne firent pas vne grande résistance. L’Infanterie qui se trouva dans les lignes fut fort mal traitée : et huit cens Janissaires furent tüez en cette occasion. La Cavalerie se retira en assez bon ordre : et la nuit empêcha les Chrétiens de les poursuivre. On fit en mesme temps, publier dans l’Armée des défenses sous peine de la vie, à tous les Soldats de piller le bagage, ni de dépoüiller les morts jusqu’au lendemain, de peur que les Infidéles ne revinssent la nuit mesme, pendant que les Troupes seroient occupées au pillage. Le
Roy de Pologne
fit tenir l’Armée en bataille pendant toute la nuit : et le matin, il se mit, avec toute sa Cavalerie et la Cavalerie légére de l’
Empereur
, à poursuivre les Infidéles. On ne sçait pas encore combien les Turcs ont perdu de monde en cette occasion, dont on attend de nouvelles particularitez On dit qu’ils y ont perdu 7 à 8000 hommes, la pluspart Janissaires, et vne partie de leur gros canon, dont 7 piéces furent prises pres de Calemberg, et 12 autres piéces dans les batteries, avec quantité de piéces de campagne. Le
Grand Visir
avoit quelques jours auparavant, fait partir le reste de la grosse artillerie, dans le dessein qu’il avoit de lever le siége. On a aussi pris la plus grande partie du bagage que les Turcs ont laissé dans le Camp avec toutes leurs tentes, parmi lesquelles il y en a de tres-magnifiques. Le
Prince Charles de Lorraine
passa la nüit dans celle du
Grand Visir
, où il s’est trouvé quantité de richesses et plusieurs coffres forts qu’on croid remplis d’argent et de pierreries, et qui ne devoient estre ouverts qu’à l’arrivée de l’
Empereur
. On a trouvé le grand Estendard des Turcs, et le cheval de bataille du
Grand Visir
richement harnaché : et quelques prisonniers ont dit qu’il a esté tüé. On croid que les Turcs ont perdu depuis le commencement du siége plus de soixante mille hommes, qui ont esté tüez ou qui sont
morts des maladies
qui regnoient dans leur Camp. Aussitost que les assiégez virent de leurs remparts, la füite des Turcs, ils jettérent de grands cris de joye : et ils ouvrirent leurs portes aux Impériaux. On visita d’abord les travaux des Infidéles : et on découvrit deux mines qu’ils avoient préparées pour donner vn dernier assaut. Ils s’estoient logez sur la contrescarpe, et rendus maistres de deux bastions. La place estoit si pressée qu’elle ne pouvoit résister encore plus de quatre ou cinq jours, par ce que la garnison se trouvoit tellement diminuée, que de quinze mille hommes dont elle estoit composée, il en est mort plus d’onze mille dans les attaques, ou par les
maladies, qui ont fait aussi périr plus de dix mille Bourgeois
. Il n’est resté du Régiment de
Mansfeld
que six vingt hommes avec vn Capitaine. Le Régiment de Wirtemberg est rédüit à environ deux cens hommes : et les autres sont diminüez à proportion. Le 13, apres midy les Généraux permirent aux soldats de
piller
les tentes et de dépoüiller les morts : et ils ont fait vn grand butin. Ils ont trouvé parmi les morts les corps de trois Bachas, et de quelques autres officiers considérables qui ont esté reconnus à la richesse de leurs habits. L’armée Chrestienne a perdu environ cinq cens hommes dans la premiére action, et à l’attaque du Camp : mais il ne se trouve parmy ce nombre aucune personne de qualité. Il y a eu plusieurs blessez, et entr’autres le
Duc de Croy
dont la blessure est périlleuse, les Comtes de Trautmansdorf et de Schaffemberg ont esté légérement blessez. Aussitost apres la füite des Infidéles on envoya des Couriers dans toutesles villes et sur les principaux passages des Païs héréditaires pour en porter la nouvelle, et pour
ordonner aux garnisons et aux milices de courir sur les füyards, et de ne leur faire aucun quartier
. On vient d’apprendre par vn Courier qui partit hier du Camp Impérial, que le
Roy de Pologne
avoit donné sur leur arriéregarde : que les Turcs se voyant pressez avoient tourné teste, et qu’ils avoient perdu encore vn bon nombre de leurs troupes, avec quelques piéces de gros canon. L’
Empereur
entra le 14 à Vienne : où on a chanté le Te Deum. Plusieurs avis reçeus de l’armée Impériale ajoûtent que pendant le combat, le
Grand Visir
fit donner vn dernier assaut, avec des troupes choisies : et que le
Comte de Staremberg
l’ayant fait soûtenir par vn Détachement, fit en mesme temps vne sortie sur les Infidéles avec trois Régiments et avec tant de vigueur, qu’il les chassa des fossez et de la contrescarpe. On attend la confirmation et le détail de ces derniéres nouvelles.