De Londres, le 17 Fevrier 1689.
Le 10 de ce mois, qui estoit le jour marqué pour célébrer vne feste en action de graces de la révolution présente, les Communes se rendirent en l’Eglise de Sainte Marguerite : où elles entendirent le sermon du Docteur
Burnet
. Le Docteur Gée prescha devant les Seigneurs, à la place de l’Evesque de Chichester, qui s’estoit excusé à cause d’vne legére indisposition. Apres midy, ils s’assemblérent en grand Committé, dont le Comte de
Danby
fut Président, pour examiner l’estat de la Nation.
Ensüite, la Chambre mit en délibération, si on devoit déclarer le Prince et la Princesse d’Orange, Roy et Reyne d’Angleterre. Les avis furent fort partagez : et la séance dura jusqu’à onze heures du soir. Quarante trois Seigneurs opinérent pour l’affirmative, et cinquante cinq pour la négative. Ainsi cet avis passa à la pluralité des voix.
Le 11e, les Communes ayant oüy le rapport de leur Orateur touchant le sermon du Docteur
Burnet
, résolurent de le remercier. Mais les amis du Docteur
Sharp
n’y voulurent pas consentir, si on ne faisoit le mesme honneur à ce dernier. Il fut donc ordonné qu’on les remercieroit au nom des Communes, de leurs sermons et de leurs ouvrages contre les Catholiques, et de tout ce qu’ils ont fait pour la défense de la Religion Protestante. Les Communes ordonnérent en mesme temps, que le Clergé de l’Eglise Anglicane seroit remercié, pour avoir écrit et presché contre la Religion Catholique, et particuliérement pour avoir refusé de lire dans les Eglises, la
déclaration
touchant la liberté de conscience, pour s’estre opposé à l’exécution des dispenses accordées à des Nonconformistes : enfin, pour avoir protesté contre la Commission Ecclésiastique, et avoir toûjours décliné sa jurisdiction.
Les Communes ordonnérent que les officiers et les soldats de l’armée et de la flote, et en général tous ceux qui ont pris les armes contre le Roy, seroient aussi remerciez de leur attachement à la Religion Protestante
, qui avoit servi à delivrer le Royaume des fers du Papisme et de l’esclavage du pouvoir arbitraire. On ne pût trouver de meilleurs termes pour colorer ces remerciments, parceque si les Communes avoient déclaré en les remerciant, qu’ils avoient pris les armes contre leur Souverain, cette loüange auroit pû servir quelque jour, de premiére procédure, pour les accuser du crime de haute trahison au premier chef. Le mesme jour 11, les Seigneurs s’assemblérent : mais toutes leurs délibérations se rédüisirent à envoyer aux Communes le résultat de leur derniére séance, pour les prier de s’y conformer. Les Communes avoient desja fini leur séance : et les Seigneurs remirent la leur au lendemain. Le 12, Mylord
Preston
présenta à la Chambre des Communes vne lettre du
Roy
, qui luy avoit esté apportée par vn particulier. On proposa de l’ouvrir et d’en faire la lecture : mais cet avis fut rejetté. Il fut seulement résolu de citer celuy qui avoit apporté la lettre, pour sçavoir par quelle voye il l’avoit reçeüe. Le Committé chargé de dresser des articles touchant la Religion, fit son rapport à la Chambre : et présenta vn projet compris en vingt cinq articles, pour establir la seureté de la Religion Protestante dans le Royaume. Ces articles furent approuvez à l’exception de deux. Le Committé chargé de dresser les articles touchant le gouvernement de l’Estat fit aussi son rapport : et il fut résolu d’ajoûter quelques articles au projet qui avoit esté présenté et de le remettre à vne plus ample délibération. On examina ensüite, les résolutions prises par les Seigneurs, touchant le gouvernement, qui estoient contraires à celles des Communes, pour sçavoir si on devoit s’y conformer ou persister dans les premiéres. La Chambre fut du second avis : et résolut de ne rien changer à ce qu’elle avoit arresté touchant la vacance du Royaume, et l’incompatibilité de la Religion Catholique avec la qualité de Roy d’Angleterre. Vn Committé fut nommé pour mettre par écrit, les raisons sur lesquelles les Communes prétendoient justifier leur procedé. Les Seigneurs assemblez le mesme jour, leur avoient d’abord envoyé vn message, pour leur déclarer qu’ils estoient prests de concourir à ce qui avoit esté ordonné dans la Chambre Basse, à l’exception de l’article qui concernoit la prétendüe vacance du Royaume : ce qui donna lieu à cette délibération. Ils
résolurent le mesme jour, que la feste ordonnée le 16 de ce mois, pour l’avénement du
Roy Iacques II
à la Couronne ne seroit plus célébrée. Mylord
Preston
leur présenta vne lettre de
Sa Majesté
, qu’ils refusérent d’ouvrir. Ils ordonnérent qu’elle demeureroit entre les mains du Président : et que Mylord
Preston
viendroit le lendemain, rendre compte à l’assemblée, de la maniére dont cette lettre estoit venüe entre ses mains.
Mylord
Lovelace
leur présenta vne requeste au nom des habitans de Westminster, pour demander que le Prince et la Princesse d’Orange fussent couronnez.
Les Seigneurs furent assez surpris de ce qu’vn petit canton de la ville de Londres se méloit d’vne affaire aussi importante : et la surprise fut encore plus grande lors qu’on trouva que cette requeste n’estoit signée de personne. Ainsi, ils la rejettérent avec indignation : et ne voulurent pas en permettre la lecture. Le 13, il n’y eut point d’assemblée à cause du Dimanche. Le 14, les Communes furent occupées à examiner plusieurs affaires touchant les élections : et on ordonna que l’Orateur écriroit à quelques villes, afin qu’elles choisissent de nouveaux Députez. Le sieur
Hamden
Président fit rapport du Mémoire dressé par vn Committé, touchant les raisons que les Communes prétendoient avoir de ne se point départir de leur résolution du 7 de ce mois, nonobstant l’opposition des Seigneurs. Mylord
Wiltschire
fut député pour en aller faire part aux Seigneurs, et leur demander qu’ils voulussent entrer en conférence, pour tâcher de terminer cette contestation. Le sieur
Hamden
fut député avec quelques membres des Communes, pour cette conférence. Ils dirent que les Communes persistoient à vouloir que la retraite du
Roy
fût considérée, non pas comme vne désertion, ou comme vne simple retraite hors du Royaume : et qu’ainsi il falloit se servir du terme d’abdication, qui estoit plus expressif pour signifier vne renonciation à la Couronne. Que la Chambre basse ne croyoit pas pouvoir rien changer à son résultat, par lequel elle avoit déclaré le thrône vacant, puisque les Seigneurs mesmes avoient assez témoigné qu’ils estoient dans la mesme pensée, lors qu’ils avoient prié le Prince
d’Orange
de se charger du gouvernement, d’envoyer des lettres circulaires, pour choisir des Députez de toutes les Provinces, et encore plus, lors qu’ils avoient déclaré qu’vn Prince Catholique ne pouvoit regner en Angleterre. Apres cette conférence, les Seigneurs mirent en délibération si on se serviroit du mot d’abdiquer : et il fut conclu que non, à la pluralité des voix. Ils délibérérent aussi sur l’autre point, qui estoit de sçavoir si le Royaume estoit vacant. Il y eut cinquante et vne voix pour l’affirmative, et cinquante cinq pour la négative : de sorte qu’à la pluralité des voix, il fut déclaré que le Thrône n’estoit pas vacant. Ils nommérent vn Committé pour mettre par écrit les raisons qu’ils avoient de ne point se conformer au résultat des Communes, si ces deux articles n’estoient changez. Le 15, le sieur
Hamden
et les autres Députez de la Chambre Basse conférérent sur ce sujet, avec les Députez des Seigneurs, qui déclarérent qu’ils ne pouvoient employer dans le résultat le mot d’abdiquer, parce qu’il n’est pas en vsage dans le stile ordinaire des loix du Royaume. Qu’ils ne pouvoient non plus déclarer le thrône vacant, puisque par cette déclaration, ils donneroient atteinte au droit de succession héréditaire establi de temps immémorial, et confirmé par toutes les loix fondamentales de l’Estat, et qu’ainsi le Royaume deviendroit électif. Ils ajoûtérent seulement qu’ils consentiroient à reconnoistre vne espece de vacance causée par la retraite du Roy : mais ils persistérent à demander que les termes contestez fussent ostez du résultat des Communes. Le sieur
Hambden
leur fit son rapport de la conférence, apres lequel les Communes délibérérent si on devoit faire ce changement : et conclurent à la pluralité des voix qu’il falloit se tenir au resultat du 7, sans y rien changer. Le 16, il y eut vne seconde conférence entre les Députez des deux Chambres, apres laquelle les Seigneurs consentirent enfin à se conformer au résultat des Communes, nonobstant les oppositions de quarante cinq, qui furent obligez de ceder à soixante cinq qui furent de cette opinion. On proposa ensüite, dans les deux Chambres de couronner
le Prince
et
la Princesse d’Orange
, Roy et Reyned’Angleterre : et cette proposition qui trois jours auparavant, avoit esté réjettée par les Seigneurs, passa à la pluralité des voix.
Le 17, il fut résolu, par les Seigneurs et par les Communes, que le Prince et la Princesse d’Orange, seroient proclamez le lendemain : et qu’on dresseroit le projet d’vn nouveau serment de fidélité, pour le faire prester aux Seigneurs et aux Communes.
C’est ainsi que des particuliers assemblez sans autorité, et qui par conséquent, ne peuvent représenter tout le Corps de la Nation, foulant aux pieds toutes les loix divines et humaines, et violant le serment qu’ils ont fait au Roy, ont entrepris par vn attentat sans exemple, d’établir vn vsurpateur sur le thrône. On a eu avis d’Irlande, que les troupes du Comte de Tyrconnel augmentoient tous les jours, et estoient présentement de quarante cinq mille hommes.