De Passau le 8 Aoust 1683.
On a esté durant quelques jours dans vne
grande inquiétude en cette Cour,
parce que les Turcs ont tellement fermé tous les passages, qu’il a esté tres difficile d’apprendre des nouvelles certaines de l’état du Siége de Vienne. Les derniéres qui sont arrivées portent que les Turcs depuis qu’ils furent repoussez dans les assauts qu’ils donnérent à la ville, avoyent fait vn feu médiocre de leurs bateries : et que cependant, ils avoyent travaillé à des mines et à des chemins couverts. Mais aussitost qu’ils eurent reçeu leur gros canon et quelques mortiers, ils dressérent deux nouvelles bateries, l’vne pres du Cloistre des Espagnols, et l’autre vers la Tour rouge aupres du pont de la Barriére. Ils font depuis tirer continüellement vers la ville par ces deux endroits, qui sont les plus foibles. Le
Comte de Staremberg
fit aussi-tost terrasser plusieurs maisons
fort élevées pour y poster de l’artillerie, avec laquelle il espéroit mettre en desordre les batteries des Infidéles. Il donna aussi tous les ordres nécessaires pour fortifier de ce costé là, les endroits les plus exposez, par lesquels il y avoit sujet de craindre que les Turcs n’entreprissent vne nouvelle attaque. Ces Infidéles quelques jours apres qu’ils eurent mis les deux batteries en estat, firent joüer vne mine avec succez : et ils se rendirent maistres de la contrescarpe, mais avec perte de plusieurs braves soldats. Le
Comte de Staremberg
à la faveur de deux autres mines qui réüssirent avantageusement, les en chassa presqu’aussitost : et ils perdirent vn grand nombre de leurs meilleurs soldats et plusieurs officiers, parce qu’ils se trouvérent exposez au feu continüel de deux demy-lunes, quand ils firent leur attaque et quand ils furent repoussez. On asseure qu’en cette occasion et dans les précédentes, ils ont perdu plus de quinze mille hommes : et que
l’infection et la mauvaise nourriture ont causé plusieurs maladies dans leur camp, qui font périr beaucoup de monde
. Le dégast que leurs coureurs ont fait par tout aux environs y a causé vne
grande disette de vivres : et la pluspart des soldats sont obligez de manger de la chair de cheval à l’exemple des Tartares
. Les Bachas des places voisines ont essayé d’envoyer par terre ou par le Danube, de grands convois de vivres : mais la pluspart ont esté arrestez par la garnison de Raab, et par quelques corps de troupes Impériales postées en différents endroits, qui coupent les convois qui viennent par terre, à moins qu’ils ne soient soûtenus par vne escorte considérable. On a appris ces derniéres nouvelles par quelques Chrestiens qui se sont sauvez du camp des Turcs : et qui ont aussi rapporté qu’on employe les plus robustes de ceux qui ont esté emmenez en captivité, aux travaux les plus pénibles, et particuliérement à ouvrir la terre. Le
Grand
Visir
pour relever le courage des soldats qui commencent à estre rebutez par la longueur du siége et par la résistance vigoureuse des assiégez, a publié que le
Grand Seigneur
se rendroit au camp en personne avec cinquante mille hommes de nouvelles troupes : mais on n’a eu }aucun avis qu’il soit en marche. Le Comte Palfi arriva ici le 6 de ce mois. Il a rapporté que le
Prince Charles de Lorraine
estoit campé à deux lieües de Presbourg sur la riviére de Mark : et qu’il s’étendoit dans la plaine voisine de Markfeldt au dessous de cette ville, pour conserver la communication libre avec les troupes qui sont demeurées aupres de Crembs, avec l’artillerie sous les ordres du Comte Leslé. Le
Prince Charles de Lorraine
fait espérer au
Comte de Staremberg
qu’il marchera dans peu de jours, avec vn puissant corps de troupes pour le secourir : mais il a mandé qu’il estoit nécessaire de faire avancer les troupes auxiliaires avec vne extréme diligence, puis que les Infidéles qui craignoient l’arrivée du secours, faisoient tous leurs efforts pour se rendre maistres de la ville, avant qu’elles pussent le joindre. On a aussi appris que les Turcs avoient commencé de faire vn détachement de vingt cinq mille hommes, qui camperont sur le Turnerfeldt, afin d’empescher le passage de ces troupes auxiliaires : et qu’ils ont attaqué la ville de Duln, qui est vn passage à trois lieües de Lintz, Closter-Neustadt, Molk et Piltzen. Mais on asseure que ces Places se défendent vigoureusement, quoy que la premiére soit attaquée par vn grand corps de Ianissaires sous le commandement de deux Bachas. Ces nouvelles ont fait connoistre qu’il estoit nécessaire de faire incessamment marcher les secours : et comme l’
Empereur
n’avoit point encore avis de la marche des troupes Polonoises, il a esté mis en délibération si on attendra leur arrivée, ou si on tentera le secours avec les troupes auxiliaires : mais on n’a encore pris aucune résolution. L’
Empereur
a dépesché cependant vn Courier au
Roy de Pologne
pour l’avertir du rendez-vous marqué pour la jonction de ses troupes avec l’armée Impériale.
Sa Majesté Polonoise
a mandé depuis, qu’Elle arrivera vers le 20e de ce mois. On a intercepté vne lettre que le
Comte Thékéli
écrivoit au
Grand
Visir
, pour l’informer de ce qui s’est passé entre ses troupes et les nostres devant Presbourg. Il accuse vn Bacha d’avoir esté cause du mauvais succez qu’il a eu en cette occasion : et il demande du secours pour estre en estat de faire teste à l’armée Impériale et aux troupes de Pologne. Le Comte de Sérin a esté amené de Lintz en cette ville : et il fut interrogé hier : mais il n’a voulu nommer aucuns de ses complices. On n’a pas jugé à propos de continüer à travailler à son procez, parce que le
Grand
Visir
a fait sçavoir au
Prince Charles de Lorraine
que le Comte Albert
Caprara
Envoyé Extraordinaire de l’Empereur à la Porte, sera traité de la mesme sorte qu’on traitera le Comte de Serin. Le Prince d’Anhalt arriva ici le 6 de ce mois : et il eut hier, audiance de l’
Empereur
. Il est venu déclarer à
Sa Majesté Impériale
, les intentions de l’
Electeur de Brandebourg
, touchant le secours de troupes qui a esté demandé de sa part à son
Altesse Electorale
, et qu’Elle offre à certaines conditions, dont la principale est l’établissement de la Paix avec la France. Le Baron Gœurtz arriva hier, en cette ville venant de Franconie : et il a rapporté que huit mille hommes des troupes de ce Cercle arriveront ici dans huit jours. Les troupes de l’
Electeur de Baviére
qui estoient campées pres de Lintz, ont refusé de marcher pour repousser quatre mille Turcs qui avoient passé par le bois de Vienne, et qui faisoient de grands desordres. Le Général Dagenfeldt qui commande ces troupes a refusé d’obéïr, sur ce qu’il avoit ordre de se joindre d’abord à l’armée Impériale, et d’agir conjointement avec elle. L’
Empereur
en a envoyé donner avis en diligence à l’
Electeur de Baviére
, afin qu’il envoye d’autres ordres à ce Général. Le Duc de
Neubourg
a promis à
Sa Majesté Impériale
vn secours de douze cens hommes. On dit qu’aussitost que toutes les troupes auxiliaires seront arrivées, Elle retournera à Lintz pour estre plus pres de l’armée.