De Venise, le 3 Avril 1683.
Hier, vne des galéasses de la République employées au commerce arriva en ce port, avec quantité de riches marchandises qu’elle avoit chargées à Spalatro. Elle estoit accompagnée d’vn caïque venu de Corfou : par lequel nous avons appris que le sieur Delfino nouveau Capitaine des navires, a pris possession de cette charge avec les cérémonies accoûtumées. Vn vaisseau est parti d’ici, par l’ordre du Sénat, avec les sommes destinées pour le payement de l’Armée. Le vaisseau de guerre nommé le Iupiter foudroyant est aussi parti depuis quelques jours, pour y retourner : et il est accompagné d’vne nouvelle galére qui ira de conserve jusqu’en Istrie. Il y a présentement ici cinq nouvelles galéres, trois desquelles sont pourvües de toutes les choses nécessaires. Vn vaisseau arrivé de Brazzo di Maina, a rapporté qu’vn Aga en estoit parti avec quatre cens Mainottes et trente chariots chargez de munitions pour les condüire en Hongrie. On a eu avis qu’il est arrivé à Andrinople trois cens chameaux chargez de bagages pour les Serrails, avec quatre mille charges de poudres, trois cens piéces de canon et quantité de bétail pour la subsistance des troupes. Le Prince Césare d’Este est arrivé de Modéne pour prendre possession de la charge de Général de la cavalerie : mais il demeure incognitò jusqu’à ce qu’il se soit mis en estat de paroistre en public. On écrit de Constantinople, que le
Grand Seigneur
avoit envoyé ordre au Caimacam de déclarer au Baile de cette République, qu’il estoit fort indigné du mauvais traitement qui a esté fait aux Turcs par les Morlaques en Dalmatie : et qu’il prétendoit qu’on livrast dans peu de temps, le Provéditeur Général de Dalmatie et autant de Vénitiens qu’il y a eu de Turcs tüez par les Morlaques. Le Caimacam avoit aussi menacé le Baïle de le faire emprisonner avec tous ceux de sa Nation, en cas qu’il refusast cette satisfaction : et il luy avoit représenté que ce refus pourroit attirer les armes du
Grand Seigneur
contre la République. Les mesmes lettres portent néantmoins, que le Grand Doüanier a témoigné que
Sa Hautesse
se contenteroit d’vne somme d’argent : et que le Caimacam a accordé du temps au Baïle pour en informer la République, afin qu’elle puisse prendre ses résolutions sur ce sujet.