La Gazette de Renaudot

De Vienne, le 14 Iuin 1683.

Le 2 de ce mois, le Prince Charles de Lorraine décampa d’aupres de Comorre, avec l’Armée Impériale : et apres avoir passé le Danube et le Waag, il marcha du costé de Neuhausel. Le 3, il fit investir la place : et il apprit par les füyards, que la garnison n’estoit que de huit cens Chevaux et de trois mille Janissaires, parce que le Bacha qui y commande en avoit fait de grands détachemens pour le secours de Gran. Ce Bacha envoya dire au Prince Charles de Lorraine qu’il seroit responsable de la rupture de la Tréve entre les deux Empires : et en mesme temps, il fit arborer sur les remparts deux drapeaux blancs et vn rouge. Il fit aussi mettre le feu aux Fauxbourgs, aux premiéres approches de l’Armée Impériale : mais la fumée fut si grande, que l’Infanterie s’avança jusqu’à trois cens pas du corps de la place, sans autre perte que d’environ trente ou quarante Soldats. Le 4 et le 5, le Prince Charles de Lorraine continüa ses approches avec plus de difficulté et de perte. Les Turcs firent vn feu continüel de leur canon durant deux heures : et il y eut plus de cent Soldats tüez, avec le Baron Silberberg Capitaine dans le Régiment de Grana, le sieur Craus Capitaine dans le Régiment de Staremberg et le Comte Antoine de Taxis Frére du Prince de la Tour Général des Postes , qui estoit volontaire dans le Régiment du Prince Loüis de Bade . Le Pourvoyeur des vivres du mesme Régiment fut aussi tüé, et le sieur Copp Lieutenant Colonel fut blessé au bras. Le 6, quelques Bataillons des Assiégeans s’avancérent jusqu’aux fossez de la Ville. Le Prince Charles de Lorraine fit continüer de batre la place avec trois batteries de canon et de mortiers : et les Assiégez continüérent aussi à faire vn grand feu de leur canon et de leur mousqueterie. Le 8, les Assiégez firent vne sortie : où ils perdirent soixante hommes. Les Impériaux y eurent aussi plusieurs Soldats tüez et blessez. Le Comte Esterhasi Palatin de Hongrie, ayant repris le Chasteau de Scaron, où étoient soixante Turcs, qui ont esté condüits à Novigrad, vint joindre l’Armée Impériale avec cinq ou six mille hommes. Le Comte Palfi y arriva aussi avec trois mille, qu’il avoit tirez des Milices de Presbourg. Ainsi, le Prince Charles de Lorraine se trouva encore plus en estat qu’auparavant, de continüer le Siége avec tout le succez qu’il s’en pouvoit promettre : ayant mesme appris par les Partis qu’il détachoit tous les jours, pour avoir des nouvelles des Turcs, que le Grand Visir estoit obligé de faire reposer à Belgrade l’Armée Ottomane, fatiguée d’vne marche longue et précipitée, et que le Bacha de Bude estoit toûjours posté avec ses Troupes entre cette place et celle de Gran, sans témoigner qu’il voulust faire aucun mouvement. Le Prince Charles de Lorraine dépescha vn Courier à l’ Empereur , pour lui donner avis de l’estat du Siége : et Sa Majesté Impériale lui envoya ordre de le continüer. Mais il apprit ensuite que les Turcs estoyent en marche avec vn puissant corps de Troupes : ce qui l’obligea de lever le Siége le 10. On publie aussi que le Conseil de l’ Empereur avoit jugé nécessaire de faire marcher l’Armée vers la Stirie et la Croatie, sur l’avis qu’on avoit eu que les Infidéles vouloyent y faire vne irruption. Cependant, on n’a pas encore sçeu que l’Armée soit partie du Camp pres de Comorre : où elle est revenuë apres la levée du Siége de Neuhausel. Le Grand Visir , sur l’avis que les Polonois travailloyent à des préparatifs de guerre contre la Porte, a envoye vn secours de Cavalerie et d’Infanterie au Bacha de Caminietz, avec vne somme considérable pour faire assembler vn Corps de Cosaques : et il a ordonné aux Tartares de l’aller joindre. Le Grand Visir devoit décamper de Belgrade le 1r du mois dernier, avec le reste de l’Armée du Grand Seigneur . On avoit crû que le Comte Thékéli avoit encore quelque disposition à vn accommodement : mais il a fait connoistre le contraire, ayant envoyé demander l’hommage aux Villes des Montagnes, et fait marcher des Troupes pour s’en asseurer, ainsi que des Mines d’argent. Il se dispose aussi à partir de son Camp pres de Tokay pour aller recevoir les ordres du Grand Visir . Il retient toûjours prisonnier le Baron Ioannelli. Le Régiment de Dragons de Hurag a passé ici, allant joindre l’armée Impériale. On fit il y a quelques jours, les obséques du Prince Wolffang de Neubourg : où assistérent les Ministres des Princes étrangers, les Chevaliers de la Toison d’or et plusieurs personnes de qualité. Les deux Princes ses Fréres se portent mieux.