De Vienne, le 5 Iuillet 1683.
Le Prince
Charles de Lorraine
, qui avoit fait marcher l’Armée Impériale du côté de Schidaï pour y passer le Raab, fut obligé de revenir au lieu d’où elle estoit décampée, parce que le pont de bateaux qu’on avoit fait dresser sur cette riviére, se trouva rompu par les grandes eaux. Il fit ensuite camper l’Armée, pendant quelques jours, entre Raab ou Javarin, et Rabnitz : d’où il dépêcha à l’
Empereur
vn Officier pour luy rendre compte de l’état où elle se trouvoit, et pour recevoir les ordres de
Sa Majesté Impériale
, sur ce qu’il devoit faire en cas que les Turcs s’avançassent pour l’attaquer. Cet Officier rapporta que l’Armée souffroit vne
extrême disette
de vivres et de fourrages : et que si les Infidéles marchoient, comme on le disoit, avec toutes leurs forces, elle ne pourroit tenir la campagne, ny mesme qu’avec beaucoup de peine, se retirer sans se diviser et sans exposer les Païs Héréditaires aux courses des ennemis. Le Duc de Saxe-Lawembourg, qui arriva en poste le 30 du mois dernier, confirma ces nouvelles à l’
Empereur
: et il rapporta aussi que le
Grand Visir
estoit arrivé à Stul-Weissembourg ou Albe-Royale, avec le principal Corps de l’Armée Othomane, qui est de cinquante mille hommes de pied, de trente mille Chevaux et de vingt mille hommes tirez des garnisons : que ces troupes occupoient sept à huit lieuës de païs, depuis Albe-Royale jusqu’aupres des montagnes voisines de Raab : de sorte que l’avant-garde n’estoit qu’à vne lieuë du camp des Impériaux. On a sçeu par vne autre voye, que depuis la marche du
Grand Visir
, les Turcs avoient détaché vn grand nombre de Tartares pour faire le dégast dans tous les païs d’où l’Armée Impériale pouvoit tirer des vivres et des fourrages : ce qui avoit augmenté la
disette
et causé plusieurs maladies parmi les Troupes. Les derniéres lettres de Hongrie portent aussi que huit cens hommes des Infidéles s’avancérent le 30 du mois dernier, pour se saisir de la hauteur de la Montagne de Raab : et qu’ils furent repoussez avec perte de cinquante hommes tüez et de quelques autres faits prisonniers. Le 3 de ce mois, l’
Empereur
reçeut avis par vn Courier Expres, que les Turcs avoient tenté, avec vn petit nombre de Troupes, le passage du Raab, et qu’ayant trouvé quelque résistance ils s’estoient retirez : mais que vingt mille chevaux, la pluspart Tartares, avoient depuis passé cette riviére au pont de Kirmend, qui estoit abandonné : et qu’ils s’approchoient des quartiers de l’Armée Impériale, la tenant si serrée qu’ils enlevoient presque tous les fourageurs : de sorte qu’elle ne pouvoit pas y subsister encore plus de deux ou trois jours, sans s’exposer à la nécessité de combattre ou de périr faute de vivres. Ces nouvelles ont causé icy, vne
épouvante générale
: et on craint que les Turcs n’assiégent Raab ou Comorre. Les fortifications n’en sont pas achevées : et il seroit tres-difficile de secourir ces places sans hazarder vn combat que le Prince
Charles de Lorraine
a ordre d’éviter. Il a fait entrer dans Raab les Régiments d’Infanterie de Grana, de Bade et de Souches : et il a donné le commandement de la place au Colonel Wallis. On a juge par les premiéres démarches des Infidéles, qu’ils n’avoient pas dessein d’agir dans la Haute Hongrie ny vers la Croatie-Ainsi on a ordonné au Général Schultz de venir joindre incessamment le Prince
Charles de Lorraine
avec les Troupes qu’il commande, et cinq mille Polonois qui ont esté levez par le Chevalier Lubomirski. Les Régiments de Croates qui estoient dans l’Isle de Sérin ont aussi esté commandez pour le joindre. Les Polonois refusoient de marcher et menaçoient mesme de se retirer, parce qu’ils n’avoient pas encore reçeu la paye qui leur avoit esté promise. On a esté obligé de les satisfaire : et on croid qu’ils se sont joints depuis au Général Schultz. Le
Comte Thékéli
, apres la conférence qu’il a eüe à Esseck avec le
Grand Visir
, envoya aussi-tost vn manifeste dans toutes les Villes et dans tous les Bourgs de la Haute Hongrie. Il contient que le
Grand Seigneur
recevra sous sa protection tous les Hongrois qui se soûmettront au
Comte Thékéli
, et qu’il les maintiendra dans leurs libertez, leurs loix, leurs priviléges et leur Religion : mais qu’il ne sera fait aucun quartier à ceux qui refuseront de se soûmettre. Le
Comte Thékéli
est parti ensuite, du camp du
Grand Visir
: et en mesme temps, les villes de Papa, Totis et Vesprim luy ont ouvert leurs portes et reçeu garnison de ses Troupes. La ville de Neutra ne s’est pas encore déclarée : mais comme elle est dépourvûë de tout ce qui seroit nécessaire pour sa défense, on craind qu’elle ne soit obligée à suivre l’exemple des autres. C’est pourquoy l’
Empereur
a envoyé ordre au Comte Chacki Gouverneur de cette place, de tâcher d’en tirer le gros canon, les armes et les munitions, et ensuite de l’abandonner.
Sa Majesté Impériale
a envoyé vn ordre semblable aux Officiers des villes des Montagnes et des mines d’argent, parce que les Mécontents estant maistres de tous les passages, il estoit impossible d’y envoyer aucun secours. Ces Officiers se sont déja rendus au camp du Général Schultz, avec vn grand nombre d’Ecclésiastiques et de Religieux qui ne se croyoient pas en seureté sous le
Comte Thékéli
. On se dispose à abandonner pareillement Patac, apres avoir enlevé le canon, pour en tirer la garnison, et en fortifier celle de Zathmar. Cette résolution a causé vne
allarme générale
dans la Haute Hongrie : et les villes et les Communautez ont déclaré qu’elles ouvriroient leurs portes au
Comte Thékéli
, pour ne pas s’exposer au feu et au pillage en luy résistant sans aucune espérance d’estre secourües. La
consternation
s’est aussi répanduë dans toutes les villes les plus exposées : et celle-cy n’en est pas exempte. La nouvelle de l’approche des Tartares y a déja causé plusieurs
émotions
: et l’
Empereur
pour en prévenir les süites, a fait publier des
défenses de parler sur les conjonctures présentes
sous peine de la vie
.
Sa Majesté Impériale
ne se croyant plus ici en seureté, a résolu d’en partir promptement pour aller à Lintz. Elle a esté obligée d’interposer son autorité pour terminer des différents entre les principaux Officiers de l’armée, et pour les empescher de
publier des manifestes
, par lesquels ils rejettoient les vns sur les autres la cause du mauvais succez du Siége de Neuhausel. Le sieur Kops Lieutenant Colonel du Régiment de Beck et presques tous ceux qui avoient esté blessez au siége de Neuhausel sont morts : ce qui
fait croire que les Turcs avoient empoisonné leurs fléches
et leurs bales. On attend avec impatience que le
Roy de Pologne
se mette en campagne pour faire diversion en Vkraine, ou qu’il vienne au secours de la Hongrie. Mais on a sçeu par les derniéres Lettres, que
Sa Majesté Polonoise
estoit encore à Villanova : et qu’elle n’en partiroit pour venir à Cracovie que le 15 du mois prochain, parce que les levées se font fort lentement, à cause du retardement des sommes qui luy ont esté promises par l’
Empereur
. On n’a eu depuis quelque temps, aucune nouvelle du Comte
Caprara
Internonce de Sa Majesté Impériale à la Porte : ce qui fait juger que non seulement il n’a pas eu la permission de revenir en cette Cour, mais que le
Grand Visir
ne luy permet plus d’écrire. Le 28 du mois dernier, le sieur Stratman presta le serment pour la charge de Chancelier de la Cour : et le lendemain, il fut présenté aux Chancelleries. Le 30, les Obséques du Prince
Wolfang
de
Neubourg furent faites avec beaucoup de magnificence : et Leurs Majestez Impériales y assistérent. L’
Empereur
a eu avis de Breslaw par vn Courier expres, que le Chapitre de la Cathédrale a eslû pour Evesque le Prince François de Neubourg.