De Vienne, le 24 Octobre 1683.
On améne continüellement les Turcs qui ont esté faits prisonniers dans la derniére occasion, et à la prise du Chasteau de Barkan, dont nous avons reçeu de nouvelles particularitez. Apres la rencontre des Polonois et des Infidéles, du 8 de ce mois, dans laquelle les premiers perdirent le Comte Denhoff avec plus de quinze cens hommes, on tint Conseil de guerre : où il fut résolu d’attaquer les Turcs. Suivant cette résolution, les deux Armées se joignirent le 9. Elles s’avancérent le lendemain, vers Barkan : et à demie lieuë de ce poste, elles trouvérent vn Corps des Ennemis de six mille Chevaux et de deux mille Ianissaires, toutes Troupes choisies et commandées par le Bacha de Bude, par le Bacha d’Alep et par le Bacha Cara-Mehémet. Ils couvroient le Pont de Barkan avec ce Corps rangé en bataille dans vne plaine. Les nostres craignant qu’ils ne fussent soûtenus par quelque corps de réserve, marchérent lentement, en les canonant toûjours. Les Turcs essüiérent le feu avec vne grande fermeté : et ils commencérent le combat, ayant attaqué d’abord le Régiment de Vétérani qui les soûtint fort vaillamment. Ils tournérent teste en mesme temps, du costé des Polonois : et poussant leurs cris accoûtumez, les chargérent avec beaucoup de vigueur. Le Grand Général de Pologne soûtint le choc avec deux Compagnies de Hussarts : les autres Troupes Polonoises n’ayant pas voulu obéïr à ses ordres. Mais il fut si bien secouru par les Régimens de
Caprara
et de Castel, que les Turcs furent contraints de plier et de prendre la fuite avec précipitation, vers Barkan, apres avoir eu environ deux à trois mille hommes tüez et plusieurs faits prisonniers. Il y en eut presque autant de noyez dans le Danube : le pont s’estant rompu par le milieu, sous
le grand nombre des füyards. Beaucoup d’autres furent tüez ou faits prisonniers en voulant se sauver dans les marais. Hali nouveau Bacha de Bude fut tüé avec le Bacha Cara-Mehémet : et les Bachas de Silistrie et d’Alep furent faits prisonniers. Vn Turc combatit long-temps seul le sabre à la main à l’entrée du pont : et son sabre s’estant rompu, il se défendit encore avec le foureau. Il se jetta mesme dans vne barque avec laquelle des Turcs se sauvoient, prit le sabre de l’vn, revint au bas du pont, tüa encore plusieurs Soldats : et il fut enfin tüé par les Polonois. Les Chrestiens prirent plusieurs Etendarts et Tymbales, outre vn grand butin : et ils l’ont depuis augmenté par la dépoüille des Turcs qu’ils ont repêchez dans le Danube. Ensuite de cette action, où les Chrestiens perdirent aussi beaucoup de Soldats, le Prince
Loüis de Bade
avec son Régiment et trois autres Régimens de Dragons, emporta la petite Ville de Barkan l’épée à la main. Le Chasteau se rendit par capitulation. Mais les Polonois au lieu de l’observer, firent main basse sur vne partie de la Garnison, et firent prisonniers cinq cens Ianissaires. Les Polonois mirent le feu à la Ville : mais il fut éteint, et on y a mis garnison. Les Bachas prisonniers ont asseuré que le
Grand Visir
les avoit détachez pour couvrir le pont de Barkan. Il s’estoit mis en marche avec trente mille hommes, pour les soûtenir : mais il se retira, ayant appris que le pont s’estoit rompu. On a pareillement eu avis que le Comte d’Erberstein a bloqué la forteresse de Canisa avec les Troupes qu’il commande en Croatie, renforcées par d’autres de la Nation Hongroise, sous les ordres des Comtes Nadasti et Budiani, qui sont rentrez depuis peu dans l’obéissance de l’
Empereur
. Les
maladies commencent de cesser
ici. On y travaille lentement aux réparations des maisons et aux fortifications nécessaires, parce que les matériaux et les Ouvriers nous manquent. Ainsi, il sera assez difficile de loger cet hiver les habitans qui sont revenus de divers lieux où ils s’étoient retirez pendant le Siége. Nous attendons l’Estat Major de l’Armée Impériale.