De Vienne le 23 Ianvier 1689.
Le 21 de ce mois, vn Prince de Holstein Capitaine dans le regiment de Tingen arriva du camp devant Sighet : d’où il estoit parti quatre jours auparavant. Il rapporta que la garnison apres avoir souffert autant qu’il estoit possible,
l’extreme disette qui duroit depuis plusieurs mois
, avoit enfin le 15 à la pointe du jour, envoyé demander à capituler : et que sur le midy, deux Agas avoient esté envoyez pour ostages au Baron Heusler, qui avoit aussi envoyé dans la place deux Capitaines Allemans. Ils ont demandé la mesme capitulation que cel--le qui fut accordée aux garnisons d’Agria et d’Albe-Royale : et que
l’Empereur
la ratifiât. Toutes ces conditions leur ont esté accordées : et on dit que les deux Agas estoient déja partis pour apporter les articles à
Sa Majesté Impériale
, et les luy faire signer. On espere que la reduction de cette place servira à serrer de plus pres Canischa : qu’elle mettra tout le pays entre Bude et Belgrade, à couvert des courses des Infideles : et qu’elle pourra faciliter la conclusion de la paix avec les Turcs, qui ne paroissoient pas disposez à ceder aucune des places qu’ils tiennent encore, puisque mesme on croid que leurs Envoyez sont chargez de demander la restitution de quelques vnes de celles qui ont esté conquises. Vn parti de la garnison de Canischa qui alloit chercher des vivres dans les villages voisins, ayant esté enlevé par des Hussars, a confirmé que
la necessité y estoit extreme
: et neanmoins, que le Commandant et la garnison estoient toûjours déterminez à souffrir plus tost les dernieres extremitez, que de se rendre avant que de voir le succez des négociations des Envoyez de la Porte.
Le Comte Thékéli
est tousjours à Widin pres de Nissa dans la Servie. Il tâche par toutes sortes de moyens, d’exciter les Hongrois qui estoient autrefois engagez dans son parti à reprendre les armes, et de persüader au
Prince de Transylvanie
à renoncer à la protection de
l’Empereur
. Les derniers avis qui en sont venus portent que
les peuples continüoient à se plaindre hautement des garnisons Impériales
: et qu’il s’estoit trouvé en divers endroits, quantité de billets qu’on croid avoir esté repandus par ordre du
Comte Thékéli
, pour exciter les peuples à la revolte : de sorte que
le Comte Esterhasi
Palatin de Hongrie a mandé qu’il ne se croyoit pas en sureté. Le froid extraordinaire a fait cesser les travaux des fortifications de Belgrade. Le 14 de ce mois, le Sieur Racinski Ministre de Pologne arriva icy, pour assister avec le Sieur Proski, aux conferences avec les Envoyez de la Porte. Il a eu audience de
l’Empereur
: et il luy a presenté sa lettre de creance et son plein pouvoir, pour traiter au nom du
Roy
et de la Republique de Pologne. Le Sr Hop Envoyé Extraordinaire des Estats Généraux, qui a offert leur mediation, a esté deux fois à Pottendorff : et il a eu de longues conferen--ces avec ces Envoyez, dans l’esperance qu’il a donnée de les disposer à entrer facilement en negociation. Ce qu’on sçait de ces entretiens est qu’il a tâché de leur persüader que l’interest de la Porte estoit de conclure promtement la paix : et qu’il leur a offert tous ses bons offices pour faire reüssir cette negociation. On dit qu’ils l’ont écouté avec beaucoup d’indifference : et qu’ils ont fait connoistre que dans les conjonctures presentes, ils ne croyoient pas qu’on deust leur proposer des conditions aussi peu avantageuses que celles dont on s’estoit flaté d’abord. L’audience que
l’Empereur
devoit leur donner est encore differée, non seulement parce qu’ils persistent à refuser de donner vne reponse positive sur la nature de leurs pouvoirs, mais aussi à cause de plusieurs contestations sur le cérémonial.
Dulficar Effendi a declaré qu’il n’iroit point à l’audience, s’il ne parloit couvert. On luy a repr esenté que n’ayant pas la qualité d’Ambassadeur il ne pouvoit suivant l’vsage ordinaire, pretendre cet honneur
: et cependant, la Cour Impériale s’est relâchée sur ce point. Mais elle persiste à refuser le mesme traitement à Mauro-Cordato Drogman Bachi ou premier Interprete, qui le pretend sur ce qu’il a le mesme caractere que Dulficar Effendi. On luy a dit qu’estant Grec et Chrestien il ne pouvoit pretendre l’égalité avec l’autre : puisqu’il n’étoit venu que pour luy servir d’adjoint et pour luy donner conseil. Mais il ne s’est pas contenté de ces raisons : disant qu’il ne croyoit pas que dans vne Cour Chrestienne, sa Religion luy deût porter aucun préjudice : que ses pouvoirs estoient égaux à ceux de Dulficar-Effendi : et qu’on verroit dans la suite, que la negociation dépendoit autant de luy, que de l’autre. Ils demandent aussi les mesmes honneurs que les Ambassadeurs Extraordinaires : et ils veulent estre logez dans cette ville, ce qui leur avoit esté refusé jusqu’à present. On a proposé divers expedients pour terminer ces difficultez preliminaires : et entre autres que
l’Empereur
inviteroit ces Envoyez à vne partie de chasse, et qu’il leur donneroit audience sous vne tente : ce qu’ils n’ont pas voulu accepter. Il y a aussi de grandes contestations entre les Commissaires Impériaux, et les Ministres de Pologne et de Venise sur la maniere de negocier. Ils pretendent setrouver à toutes les conferences : et
l’Empereur
ne veut pas le permettre sous pretexte qu’ils ont des pouvoirs trop limitez qui se redüisent, à entendre les propositions des Envoyez de la Porte, et à en faire simplement le rapport à leurs Maistres. Il leur a fait offrir de leur donner communication de tout ce qui se passera dans les conferences : surquoy ils n’ont encore rien répondu. Elles se tiendront dans l’Hôtel des Estats des Pays Hereditaires, appellé le Landhaus. Le Comte Caraffa a dressé vn estat des dépenses de la Campagne prochaine qui monteront à plus de six millions six cents mille florins : et la Chambre des finances a declaré qu’il seroit fort difficile que les taxes ny les emprunts pussent produire cette somme. Apres avoir examiné tous les expedients proposez sur ce sujet, et reconnu que la pluspart des moyens qui ont esté mis en vsage ne pouvoient produire que des sommes fort mediocres,
il a esté resolu de mettre vne imposition sur le Clergé
, et d’y soûmettre les Eveschez, les Abbayes et généralement tous les biens d’Eglise.
Le brüit court que
le Pape
a accordé vn bref pour establir cette imposition
: et que la publication en doit estre faite au premier jour. Mais le Clergé qui pretend que ce bref ne peut avoir esté obtenu que par surprise et sans sa participation, a declaré qu’il ne pouvoit consentir à cette imposition qui estoit au dessus de ses forces, et dont les consequences estoient trop préjudiciables à ses privileges et immunitez. Les Estats de la Basse-Austriche n’ont encore rien resolu, sur la demande qui leur a esté faite, quoy qu’on leur ait representé que les besoins pressants, demandoient vne promte resolution.
L’Empereur
dans la proposition qu’il leur fit à l’ouverture de l’assemblée, leur declara qu’il avoit esté obligé d’employer des sommes immenses pour les dépenses de la derniere Campagne : et que celles de la prochaine seroient encore plus considerables si la paix ne se concluoit avec les Turcs. Il leur representa qu’il estoit obligé de faire reparer les fortifications des places conquises, d’y en faire de nouvelles pour les mettre plus en estat de défense, d’establir des magasins en plusieurs endroits, de faire des recrües pour les vieux régiments, d’en lever de nouveaux, et de payer vn tres grand combre de troupesafin d’estre en estat de continüer la guerre contre les Turcs, et de la soûtenir en mesme temps, contre la France. Mais l’assemblée n’a encore rien résolu sur la demande de six cents mille florins qui luy a esté faite, à cause de la difficulté qu’il y a de lever cette somme sur les peuples, que la guerre contre les Infidéles, les quartiers d’hyver, et les contributions extraordinaires ont presque entiérement rüinez. Le Comte Marsilii Commissaire et principal Ingénieur des armées de
l’Empereur
, est allé visiter le passage de Hongrie en Transylvanie, appellé la Porte de fer, où il a esté résolu de faire quelques nouvelles fortifications.