De Vienne, le 30 Ianvier 1689.
Le 24 de ce mois, les deux Agas envoyez par la garnison de Sighet, arriverent icy, avec la capitulation qui leur avoit esté accordée par le Baron Heusler, afin de la faire ra-
- tifier par
l’Empereur
. Ils eurent le mesme jour, audience du
Comte de Staremberg
Vice-President du Conseil de guerre. Il ne jugeoit pas à propos que
Sa Majesté Impériale
la ratifiât sans y faire quelques changements : disant que depuis la reduction de Belgrade, les Turcs n’estoient plus en estat de demander des conditions si avantageuses. Mais
l’Empereur
n’a pas laissé de la signer dans l’esperance que cette condescendance pourroit faciliter la reddition des autres places : et ainsi, les deux Agas partirent le 27, avec la ratification. Ils assurerent que la garnison de Sighet estoit redüite à quatre cents hommes, de neuf mille dont elle estoit composée au commencement de la derniere Campagne : et que le Commandant n’avoit differé à capituler que parce qu’il avoit ignoré la prise de Belgrade, d’où il attendoit toûjours du secours. On dit qu’ils ont proposé l’échange des prisonniers Turcs avec des Chrestiens, si on ne veut pas les mettre en liberté en payant leur rançon.
L’Empereur
fit incontinent apres le départ des deux Agas, dépescher vn courier au Colonel Makaire et au Comte de Vecchi, pour leur porter ordre d’aller avec les troupes qui formoient le blocus de Sighet, renforcer celuy de Canischa : et de serrer cette place de si pres qu’elle pût estre bientost obligée à se rendre. Le Baron Heusler a aussi receu ordre de se raprocher du Grand-Waradin, sur l’avis qu
’il y avoit vne disette extreme de vivres : et que la garnison manquoit de bois et d’argent.
On assure qu’il est presentement posté à vne lieuë de la place : et qu’il occupe tous les passages des environs. Le Comte de Taun Lieutenant de cette ville a esté nommé pour aller à Sighet, dresser vn estat de l’artillerie et des munitions que les Turcs y doivent laisser. La garnison y demeurera jusqu’à ce que les rivieres soient navigables pour estre condüite par eau, jusques sur la frontiere : et cependant, les portes doivent estre remises aux Impériaux. Vn courier expres dépesché de Transylvanie, a rapporté que le nouvel Hospodar de Walaquie s’estoit laissé persüader par
le Comte Thékéli
, de demeurer dans vne espece de neutralité, sans abandonner les interests de la Porte, ny rompre le traité avec
l’Empereur
, sur ce qu’illuy avoit representé que les forces des Impériaux en Hongrie, ne seroient pas suffisantes pour mettre le pays à couvert de l’invasion des Turcs et des Tartares : et que les Transylvains accablez des logemens des gens de guerre, ne pouvoient dissimuler leur mécontentement, et qu’ils menaçoient mesme de se soûlever. On a esté d’autant plus surpris de cette nouvelle que les Envoyez de Walaquie avoient presté serment à
l’Empereur
, pour le reconnoistre Protecteur de cette Principauté, suivant le traité conclu avec le feu Hospodar Basile. On mande de Croatie, que les Turcs des places sitüées aux environs de la riviere d’Vnna, ont attaqué la forteresse de Novi : mais qu’apres quelques escarmouches avec vn détachement de la garnison, ils ont esté obligez à se retirer avec quelque perte. Huit mille Turcs commandez par trois Bachas ont paru pres de Nissa : et on croid qu’ils avoient quelque dessein sur Semendria ou mesme sur Belgrade, esperant de surprendre ces places, dont les breches ne sont pas encore bien reparées. Le Comte
Guy de Staremberg
et le Comte de Hoffkirck se sont mis en marche de ce costé là, avec vn détachement pour observer les mouvements des Infideles. Les Envoyez de la Porte n’ont pas encore eu audience de
l’Empereur
à cause que les difficultez sur le cérémonial n’ont pû jusqu’à present estre reglées, quoy que la Cour Impériale se soit relâchée sur les principaux points qu’elle avoit tousjours contestez aux Ministres de la Porte, mesmes dans l’estat le plus florissant de leurs affaires. On dit que ces Envoyez ont enfin, offert de faire voir aux Commissaires Impériaux, la lettre originale du
Grand Vizir
: mais qu’ils ne veulent donner qu’vne copie de leurs pleins pouvoirs. Les honneurs qu’ils avoient demandez leur ont esté accordez : et il a esté resolu qu’ils seront amenez et conduits à l’audience, par le sieur Meninski premier interprete, dans les carrosses de
l’Empereur
. La Chambre des Finances a fait vn fonds de trente six mille florins pour les traiter, et les defrayer durant le temps des conferences, Le sieur Hop Envoyé Extraordinaire des Estats Generaux des Provinces Vnies ayant eu du consentement de
l’Empereur
, quelques conferences avec ces Envoyez pretendoit faire l’ouverture de la negociation. Mais Mauro-Cordato luy adeclaré positivement qu’il ne pouvoit traiter avec luy, comme mediateur de la Paix entre les deux Empires, s’il ne faisoit paroistre que
l’Empereur
acceptoit la mediation des Estats : ce que le sieur Hop n’a pu faire, la Cour Impériale ne s’étant pas encore declarée sur ce sujet. Le 26 de ce mois, vn Deputé des Estats de Bohëme arriva en cette ville, pour donner avis que l’infanterie que ce Royaume s’est engagé de lever, seroit bientost en estat de marcher, où
Sa Majesté Impériale
l’ordonneroit. On travaille à vne declaration qui sera publiée touchant
l’establissement et la levée de la nouvelle imposition sur tous les biens Ecclesiastiques
: mais on ne sçait pas encore,
si l’Empereur
la veut exiger d’autorité absoluë, ou en vertu d’vne concession du
Pape
. Les Estats de la Basse-Austriche continüent à deliberer sur la demande de six cents mille florins qui leur a esté faite : declarant que ce subside extraordinaire est absolument au dessus de leurs forces. Les preparatifs de la Campagne sont continüez lentement à mesure que les deniers sont apportez dans les coffres de
l’Empereur
. On juge selon l’estat de guerre, que
Sa Majesté Impériale
demeurera sur la défensive en Hongrie, si la paix ne peut estre concluë avec les Envoyez de la Porte.
Le Prince Charles de Lorraine
est attendu dans peu de jours : et on croid que les dernieres resolutions ne se prendront qu’apres son arrivée.
Le Prince Loüis de Bade
revint hier, des quartiers des troupes de l’Empire : et en mesme temps, il rendit compte à
l’Empereur
, de ses negociations aupres des Electeurs de
Baviere
et de
Saxe
touchant la jonction de leurs troupes sur le Rhin. On a publié icy, vn Decret portant défense aux Marchands d’entretenir aucun commerce avec les François, mesmes par lettres de change.