De Vienne, le 19 novembre 1688.
On ne reçoit point d'autres nouvelles de Hongrie depuis que les troupes Impériales y sont entrées en quartiers d'hyver, sinon qu'elles y sont fort en repos : & que les Turcs ne font aucun mouvement. Les Commandants de Canis-cha, de Sighet, de Giula & de Temeswar temoignent encore la mesme resolution de se défendre, nonobstant
l'extreme disette
qu'ils souffrent. On croid neanmoins, qu'ils pourront se determiner à capituler, selon le succez de la negociation des Envoyez de la Porte. Trois cents Turcs de la garnison de Temeswar ont fait une course jusqu'à Lippa : mais les dragons de Herbeville joints à quelques Hussars, les ont repoussez apres en avoir tué trente-deux, & fait dix huit prisonniers, sans autre perte que de deux dragons. Le sieur Capella Secretaire de la Republique de Venise, est arrivé avec les instructions necessaires pour écouter avec les Ministres de
l'Empereur
, les propositions des Envoyez de la Porte. On a déjà eu une conferece sur ce sujet : & le Comte Carassa Commissaire general, est ensuite retourné à Pottendorf où ils sont encore. On croid qu'ils seront bien-tost, amenez à l'audience : mais qu'on attendra l'arrivée des Ministres de Pologne avant que d'entrer en negociation. Cependant, on paroist tousjours disposé à se mettre en estat de pouvoir continüer la guerre contre les Turcs, & de la soûtenir en mesme temps contre la France, quoy qu'il se rencontre de grandes difficultez dans l'execution de ce projet, particulierement à faire les preparatifs de la Campagne prochaine, tant sur le Rhin, que dans la Hongrie. Outre les deix régiments Impériaux qui sont en Bohëme pour y demeurer en quartier d'hyver, il a esté resolu d'en envoyer encore quatre du costé du Rhin. Ainsi, il y en aura huit de cavalerie & six d'infanterie qui hyverneront dans la Boheme & sur les frontieres de l'Empire, pour estre prests à se joindre avec les troupes de Cercles de Baviere, de Franconie & de Süabe, & agir où il sera necessaire, en attendant qu'on puisse au printemps, faire marcher le reste des troupes avec l'artillerie, pour former le corps d'armée qui doit servir sur le Rhin. Les propositions du Baron Heusler pour la levée de deux mille dragons qu'il offre de mettre sur pied à ses dépens, ont été acceptées. Ils seront partagez en deux régiments dont il commendera l'un, & son Lieutenant Colonel l'autre : & ils seront envoyez vers le Rhin. On est en traité pour trois nouveaux régiments d'infanterie sur le pied de la convention faite avec le Baron Heusler qui est que de dix ans, ces régiments ne pourront estre cassez ny distribüez en d'autres corps. On a delivré ces jours cy, des commissions pour la levée de quelques régiments que les Seigneurs Allemans & Hongrois ont offert de mettre sur pied. Il y en a d'autres qui ont proposé de semblables levées à des conditions qui ne sont pas encore reglées. Le brüit court que
l'Empereur
fera razer les fortifications de vingt places dans la Haute-Hongrie afin d'en tirer les garnisons : & qu'il ne conservera que les plus importants, particulierement celles des frontieres. L'Estat de guerre pour la Campagne prochaine est tousjours sur le mesme pied. Il ne reste plus qu'à establir les fonds necessaires pour cette dépense : & on a desja proposé des emprunts &
des taxes extraordinaires
, qui ne peuvent prodüire de grandes sommes.
L'Empereur
a envoyé ordre au Marquis de Lusignan Envoyé Extraordinaire de France, de sortir de cette ville dans quatre jours. Le terme a esté prolongé jusqu'à huit : & le Mareschal de la Cour luy a porté les passeports necessaires.
L'Empereur
a aussi écrit à tous les Electeurs & Princes de l'Empire, pour les exhorter à congedier les Ministres de France qui sont aupres d'eux. Cependant la consternation augmente icy, sur les avis qui arrivent tous les jours, des progrez des François en plusieurs Provinces : d'où ils tirent de grandes contributions. Les Deputez de Walaquie ont eu leur premiere audience de
l'Empereur
: & depuis, ils sont entrez en conference avec ses Ministres.
Le Prince Charles de Lorraine
se porte de mieux en mieux : & il a mandé qu'il esperoit estre en estat de venir icy à la fin de Ianvier, & de servir la Campagne prochaine. Le
Comte de Staremberg
cy devant Gouverneur de Philisbourg a eu audience de
Sa Majesté Impériale
: qui luy a donné pour Commissaires les Comtes de Dunewald, de Palsi, de Houchin, d'Aversberg & de Gall, qui doivent entendre les raisons sur lesquelles il pretend se justifier touchant la reddition de la place. On dit qu'il produit une lettre que
l'Empereur
luy a écrite, par laquelle il luy ordonnoit de ne pas attendre la derniere extremité, & de conserver la garnison en se rendant avec une capitulation honorable.