De Vienne, le 27 Fevrier 1689.
Les derniers lettres de la Bossine ont confirmé que seize mille Turcs sous le commandement de trois Bachas, s’avançoient vers Zoli, à dessein de reprendre la ville de Zwornick, avant que l’armée Impériale se mette en campagne : et que le Comte Picolomini qui commandoit de ce costé là, avoit fait sortir toutes les troupes Allemandes et Hongroises de leurs quartiers, pour tâcher de combatre les Infideles, ou de les obliger à se retirer.
Le Comte Thékéli
est tousjours à Wildin, avec quatre à cinq mille hommes. Il continuë de faire solliciter des secours aupres du
Grand Vizir
et du Kan des Tartares : et on dit mesmes, qu’il travaille à se faire donner l’investiture de la Principauté de Walaquie. La garnison de Canischa a enlevé depuis peu, quatre-vingt pieces de bêtail aux Impériaux : et depuis, elle a témoigne estre résoluë à se défendre, nonobstant l’esperance qu’elle avoit donnée de capituler à l’exemple de celle de Sighet. Quoy que les conferences avec les Envoyez de la Porte ne dussent estre recommencées qu’au retour du Ministre de Pologne qui est allé à Warsovie pour demander les pouvoirs et les instructions necessaires, on n’a pas laissé de les continüer. On dit qu’ils se sont relâchez sur quelques propositions : entre autres que
le Grand Seigneur
remettra aux Transylvains le tribut qu’ils payoient à la Porte et celuy qu’il exige des Chrestiens qui vont visiter les lieux Saints : et qu’ils sembloient aussi disposez à ne plus insister sur la demande qu’ils avoient faite d’vn partage des places conquises en Hongrie et dans la Bossine : mais qu’ils persistoient à refuser les sommes que
l’Empereur
pretend pour le dedommagement du degast qui a esté fait par l’armée Othomane, et pour les frais de la guerre, et encore plus le tribut annüel. Le courier que l’Ambassadeur de Venise y avoit dépesché, revint hier au soir, avec le plein pouvoir et les instructions necessaires : et les Ministres de la Republique doivent avoir sur ce sujet, vne conference séparée avec les Envoyez de la Porte. On croid que les lettres que ceux cy ont écrites au
Grand Vizir
, sont pour demander des pou-- voirs plus amples : la Cour Impériale ayant reconnu qu’ils n’en avoient pas de suffisants pour conclure la paix, parce qu’il n’en avoient pas reçeu de nouveaux depuis leur depart. Les Deputez du Prince et des Estats de Walaquie ont achevé icy leur traité : suivant lequel on leur a promis que trois régiments Allemans seront joints à leurs troupes pour agir contre les Turcs, en cas que la paix ne puisse estre concluë. Deux de ces Deputez sont partis pour porter le traité au Prince et aux Estats de Walaquie : et deux autres sont demeurez icy jusqu’à la ratification.
L’Empereur
a cependant, mandé au Comte Veterani de donner aux Walaques tout le secours dont ils auroient besoin. Quoy que les Envoyez Turcs n’ayent reçeu aucunes nouvelles de Constantinople et qu’on n’en ait aucunes lettres,
on ne laisse pas de publier, sur des brüits incertains, que les soulevements et les desordres recommencent dans la Bulgarie, dans la Natolie et à Constantinople, de maniere que les preparatifs de guerre estoient notablement retardez
: ce qui faisoit souhaiter aux Ministres de la Porte avec impatience, la conclusion de la paix. Mais on écrit de Pologne qu’il y a des avis certains qu’ils mettent sur pied vne armée considerable pour la faire marcher vers la Hongrie. Sur cette diversité de nouvelles, le Conseil Impérial fait tousjours travailler à quelques preparatifs de guerre pour la Hongrie, et continüer ceux qui se font pour l’armée du Rhin, selon l’argent qui se trouve dans la caisse militaire.
Il y a de grandes difficultez à lever la taxe imposée sur les biens d’Eglise, de laquelle on esperoit tirer quelques millions.
Le Clergé s’y oppose avec tant de vigueur qu’il n’y a aucune apparence qu’elle puisse estre exigée, que par execution militaire. Plusieurs couriers ont rapporté que les troupes Françoises faisoient le degast dans le Palatinat et en d’autres endroits de la frontiere. On dit que
l’Empereur
a envoyé ordre de faire entrer quatre mille hommes de ses troupes dans Coblentz et dans Hermenstein, sous le commandement du Baron de Wallis.
Le Prince d’Orange
a fait proposer au nom des Estats Generaux, vne alliance offensive et défensive avec
l’Empereur
et l’Empire : et on dit que le sieur Hop Envoyé Extraordinaire de Hollande qui est allé à la Haye, doit re--venir pour ce sujet, avec les instructions necessaires. On public que suivant les projets faits pour la Campagne du côté du Rhin, il doit y avoir quatre corps d’armée en cas que la paix se fasse avec les Turcs.
Le Prince Charles de Lorraine
en commandera séparément vn qui ne sera composé que des régiments Impériaux et Hongrois.
L’Electeur de Baviere
en commandera aussi séparément, vn autre composé de huit régiments Impériaux, de dix de ses troupes et de celles des Cercles de Baviere, de Franconie, de Süabe et du Duc de Wirtemberg. L’vn des deux autres corps qui agiront sur le Bas Rhin, sera commandé par
l’Electeur de Saxe
: et le quatriéme par
le Prince de Waldeck
. Le brüit court que
l’Empereur
a resolu d’aller à Prague, pour estre en estat d’envoyer plus promtement ses ordres à ses armées, selon les occurrences : et pour faire en mesme temps, couronner le Roy de Hongrie, Roy de Boheme.
Sa Majesté Impériale
a envoyé ordre au Comte Palfi de marcher au commencement du mois prochain, avec les régiments Hongrois nouvellement levez, et les deux qui ont esté mis sur pied par le Comte Czabor, pour se joindre à ceux qui y ont esté desja envoyez, jusqu’à ce qu’il en ait autrement disposé. On écrit de Munich, que
l’Electeur de Baviere
continüoit à se mieux porter. Vn courier depesché de Rome arriva icy le 24 de ce mois, pour donner avis de la mort du Cardinal Pio. Le Cardinal de Collonitsch a esté nommé pour aller en sa place à Rome, en qualité de protecteur des affaires d’Allemagne.