De Vienne, le 27 Mars 1689.
Vn courier dépesché par le Comte Picolomini, a rapporté que les Turcs avoient le 2 de ce mois, abandonné le siege du Chasteau de Zwornick, apres y avoir donné trois assauts avec perte de cinq cents hommes : et qu’ils s’estoient retirez du costé de Nissa. Ils avoient dessein apres la prise de Zwornick, de tâcher à surprendre Dubitza et quelques autres places occupées par les Impériaux dans laBossine : et le mauvais succez de leur premiere entreprise fait esperer qu’on aura le temps de pourvoir à la sureté de ces places. La garnison Turque de Sighet n’est sortie que le 14 de ce mois, avec trois cents chariots chargez de bagage. Vn parti des troupes du Comte Picolomini a intercepté des lettres du Bacha de Canischa, par lesquelles il assuroit
le Grand Vizir
qu’il pouvoit encore se défendre quelque temps. Le brüit court de quelques nouveaux troubles excitez dans l’Empire Othoman : et que Yeghen Bacha persistoit dans la rebellion. Ces avis n’ont esté confirmez par aucunes lettres : mais on en a eu de certains, que
le Comte Thékéli
a esté joint par douze mille Tartares et huit ou dix mille Turcs. Les négociations avec les Envoyez de la Porte sont encore au mesme estat : et les Ministres Impériaux ont presque perdu toute esperance de conclure la paix. Le 23 de ce mois, le Comte Caraffa alla les trouver par l’ordre de
l’Empereur
, à cause que Dulficar Effendi estoit indisposé : et il leur demanda leur derniere resolution. Ils répondirent suivant la declaration qu’ils avoient donnée par écrit, qu’ils ne pouvoient rien accorder, sinon la cession des places conquises depuis la rupture entre les deux Empires. Ils offrirent encore de dépescher vn courier au
Grand Vizir
, pour avoir de nouveaux ordres sur les autres propositions qui leur estoient faites. Le Comte Caraffa leur dit que
l’Empereur
ne jugeoit pas à propos de leur donner cette permission : et il leur declara en mesme temps, que si leurs pouvoirs estoient si limitez, il estoit inutile de continüer la négociation, et que
Sa Majesté Imperiale
estoit resoluë de les congedier. On tâche de découvrir s’ils n’ont point receu quelque ordre de se retirer. Le brüit court qu’vn Chaouz est arrivé à Belgrade : et qu’il a fait demander des passeports pour venir icy. On ne sçait si ce n’est point pour leur apporter cet ordre. L’Ambassadeur de Venise quoy qu’il ait les pleins pouvoirs necessaires, n’a jusqu’à present, demandé aucune conference particuliere avec eux. Les Ministres de Pologne insistent tousjours sur la restitution de Kaminietz et sur les dédommagements que
le Roy
et la Republique pretendent pour les degasts faits par lesTurcs et par les Tartares. Les Envoyez de Moscovie estant arrivez ces jours passez, à Wolkendorff, à quelques lieuës d’icy, en firent donner avis à
l’Empereur
. Hier, ils furent amenez dans deux carrosses de
sa Majesté Imperiale
: estant conduits par le premier Interprete. On dit qu’ils sont particulierement chargez de tâcher de faire differer la négociation de la paix avec les Turcs, jusqu’à la fin de la Campagne prochaine : promettant que les Czars feront vne puissante diversion dans la Krimée, tandis que les forces des Tartares seront occupées sur les frontieres de Pologne et de Hongrie. Ils assurent que les Infideles seront ainsi contraints à demander la paix à des conditions beaucoup plus avantageuses pour les Alliez. Les Ministres Impériaux n’ont pas encore fait reponse sur ce sujet, parce qu’ils ne croyent pas pouvoir prendre aucunes mesures certaines sur des promesses, qu’vne longue experience a tousjours fait considerer comme fort douteuses. On croid neanmoins, qu’ils affectent de leur faire tout le bon traitement possible, et de tâcher à les satisfaire par des réponses générales, pour donner de l’ombrage aux Envoyez de la Porte, et faciliter ainsi à
l’Empereur
, la conclusion d’vne paix particuliere à des conditions plus avantageuses. Cependant, pour ne pas se laisser surprendre par les Turcs, les Tartares et les Mécontents qui se rassemblent aupres du
Comte Thekeli
, on continuë en diligence, les preparatifs necessaires pour recommencer la guerre en Hongrie. Si l’estat qui fut reglé il y a quelques jours, peut estre executé, il y aura vingt cinq régiments sous les ordres du Comte
Caprara
du costé de Belgrade et dans la Bossine : et il y en aura quatorze sur la Teysse dans la Transylvanie et dans la Haute Hongrie, sous le commandement du Baron Heusler et des Comtes d’Aspremont et d’Herbeville. Il n’y a encore rien de reglé pour l’armée sur le Rhin : et elle seroit fort mediocre si celle de Hongrie est aussi nombreuse qu’on le publie. Mais les dernieres resolutions ne seront prises qu’apres l’arrivée du
Prince Charles de Lorraine
qui devoit partir d’Inspruck le 26 de ce mois, pour arriver la semaine prochaine en cette ville. Les Estats de Stirie, de Croatie et d’Esclavonie se sont assemblezpour deliberer sur la proposition qui leur a esté faite au nom de
l’Empereur
, de fournir en déduction de ce qu’ils payent tous les ans, les farines, les avoines et les fourages pour l’armée qui agira dans la Bossine et vers Belgrade. Le Marquis Spinola a esté nommé Conseiller du Conseil d’Estat.
L’Imperatrice
accoucha hier, d’vne fille qui fut en mesme temps baptisée et tenuë sur les fonts par la Princesse Electorale Palatine, et nommée Magdeleine, Iosephe, Antoinette, Gabrielle.