De Vienne, le 3 Avril 1689.
Le 28 du mois dernier, vn courier depeché de la Bossine par le Comte Picolomini, vint donner avis qu’vn détachement d’Allemans et de Hongrois parti de Brodt, avoit à la pointe du jour escaladé Liskina, petite ville d’où les Turcs incommodoient beaucoup les Impériaux par leurs courses : que pres de quatre cents des Infidelles avoient esté tüez : et qu’vn
grand nombre étoient peris dans l’embrasement de la place.
Environ cent Esclaves Chrestiens qui s’y trouverent furent mis en liberté
: mais le butin ne fut que de soixante et dix pieces de bestail. La garnison et les autres Turcs de Sighet qui étoient au nombre de 1700 hommes, arrivérent le 17 du mois dernier à Pali sur la Drave, avec 250 chariots : et ils furent embarquez le lendemain, sur cinquante bateaux avec vne escorte de cent hommes et d’vn Capitaine du regiment de Heusler. Le Comte Picolomini a depuis, mandé que les Turcs qui avoient levé le siege de Zwornick s’estoient remis en marche avec des forces plus considerables, pour attaquer encore la place : ce qui fait croire que leur perte n’a pas esté si grande qu’on l’avoit publié d’abord. Il a mandé que sans vn promt secours de troupes, il ne pourroit s’opposer à leurs entreprises. On a sceu en mesme temps, que treize mille Tartares estoient arrivez pres de Nicopoli, avec vn grand convoy de vivres et de munitions, à dessein de le jetter dans Temeswar : et que
le Comte Thékéli
, qui est tousjours à Widin, devoit les joindre avec vn corps de Turcs et de Hongrois Mécontens. On espere neanmoins, qu’ils auront quelque peine à reussit, par ce que le Baron Heusler qui est aux environs de Temeswar avec cinq régiments Impériaux de cavalerie, pourra en occuper les avenuës : et que d’ailleurs l’ordre a esté envoyé au Comte Veterani et au Comte d’Aspremont qui commandent, le premier en Transylvanie et l’autre dans la Haute Hongrie, d’aller le joindre avec autant de troupes qu’ils en pourront assembler. On a en mesme temps, envoyé quantité d’avoine et de foin, pour faire subsister la cavalerie employée au blocus de Temeswar. Il est aussi venu avis que les Turcs s’assembloient en assez grand nombre à Sophie : ce qui commence à faire reconnoistre qu’on a cru trop legerement les brüits qui s’estoient repandus sur des rapports fort incertains : et que les Turcs faisoient courir eux mesmes que le desordre des affaires de l’Empire Othoman les empeschoit de faire aucuns preparatifs de guerre, et leur feroit accepter la paix aux conditions que
l’Empereur
voudroit leur prescrire. Ces nouvelles ont desja fait changer l’estat de guerre et plu-sieurs régiments qui avoient reçeu ordre de marcher vers le Rhin ont esté contremandez. On dit que
l’Empereur
voyant trop de difficulté à soustenir deux grandes guerres, tâchera de faire consentir ses alliez à vne suspension d’armes avec les Turcs : mais on ne croid pas que les Envoyez Turcs veüillent écouter cette proposition. Au contraire, ils pressent les Commissaires Impériaux pour obtenir leur audience de congé. Ils demandent que les pretentions de
Sa Majesté Impériale
, des Polonois et des Venitiens, soient mises par écrit, afin que
le Grand Seigneur
puisse les faire examiner dans son Conseil et prendre ensuite les resolutions qu’il jugera à propos, avant l’ouverture de la Campagne. Ils font esperer qu’en cas qu’il prenne resolution de faire la paix il envoyera icy, des Ambassadeurs avec des instructions et des pouvoirs plus amples que les leurs. Le Comte de Kinski a eu vne conference sur ce sujet, avec l’Ambassadeur de Venise et l’Envoyé de Pologne : et leur a proposé la demande des Envoyez Turcs, les priant de donner incessamment vn memoire de leurs pretentions. L’Envoyé de Pologne vouloit s’en excuser disant qu’il ne pouvoit le faire avant l’arrivée du Palatin de Pomeranie Ambassadeur Extraordinaire. Mais il en est demeuré enfin d’accord, sur ce que le Comte de Kinski luy en a representé l’importance et luy a declaré que
l’Empereur
estant engagé dans vne double guerre contre deux puissants ennemis, pourroit sur son refus prendre les mesures telles qu’il jugeroit les plus convenables à ses interests dans vne occasion si pressante. On croid qu’il donnera aujourdhuy ou demain, sa declaration. L’Ambassadeur de Venise a envoyé la sienne, apres vne conference avec les Ministres Impériaux et l’Envoyé de Pologne. Les Envoyez de la Porte retourneront dans trois ou quatre jours, à Potendorff. On dit qu’ils y auront encore quelques conferences avec les Ministres de Pologne et de Venise : et qu’ils reprendront ensuite, la route d’Andrinople. Cependant, les peuples sont extremement surpris du peu de succez de cette négociation qui a desja couté vne dépense de cent mille florins. On doute avec beaucoup de fondement que les Turcs veüillent la continüer et envoyer des Ambassadeurspuis qu’il y a tout sujet de croire qu’ils ne l’ont fait durer si long temps que pour amuser les Impériaux. L’audience qui devoit estre donnée à l’Envoyé de Moscovie a esté remise jusqu’à demain.
Le Prince Charles de Lorraine
estant parti d’Inspruck le 26 du mois dernier, arriva icy hier au soir, et fut jusqu’à minüit en conference avec
l’Empereur
. On commencera demain, à tenir conseil de guerre sur l’ouverture de la Campagne. Ainsi, on pourra sçavoir plus certainement dans quelques jours, les forces qui seront employées en Hongrie et sur le Rhin, parce que la continüation de la guerre contre les Turcs oblige la Cour Impériale à prendre de mesures toutes differentes de ses premiers projets. L’ordre a cependant, esté envoyé aux regiments Impériaux restez dans la Haute et dans la Basse Hongrie de marcher incessamment, du costé de la Bossine et de la Servie pour se trouver au Rendez vous sous Belgrade : où se doit assembler le corps d’armée qui agira contre les Turcs. Les régiments et les recrües destinez pour l’Empire passent tous les jours icy, avec les Officiers Generaux qui commanderont de ce costé là. Le 31 du mois dernier, vn courier fut dépesché à Madrid : et le Comte de Wallenstein partira bientost, pour aller faire les compliments de condoleance sur la mort de
la Reyne d’Espagne
. L’Archiduchesse Marie Anne femme du
Prince Electoral Palatin
est fort malade depuis quelques jours.