De Vienne, le 21 Aoust 1689.
Vn courier dépesché par
le Prince Loüis de Bade
, a rapporté les nouvelles suivantes. Depuis le 3 jusqu’au 11 de ce mois, il a détaché plusieurs partis pour avoir des avis certains de l’estat de l’armée des Turcs : et il a fait travailler à des retranchements et à des redoutes pres du pont qu’il a fait constrüire sur la Morava, à vne demie lieuë de Bassarowitz. Ensuite, ayant pris des vivres pour trois semaines et fait charger soixante petits bateaux ou pontons sur des chariots, afin d’en faire vn pont en cas de besoin, il s’est mis à la teste de l’armée qui est d’environ trente mille hommes, Allemans, Hongrois ou Rasciens : et il est allé vers Nissa, où il esperoit arriver dans treize ou quatorze jours de marche. Le Seraskier estoit alors à quinze lieuës des Impériaux avec son armée, qu’on dit estre forte de cinquante mille hommes : et
le Prince Loüis de Bade
avoit dessein de hazarder le combat s’il en trouvoit l’occasion favorable : ou de faire mettre le feu aux magazins de l’armée des ennemis. On souhaiteroit icy qu’il en pust venir à vne action décisive, dans l’esperance qu’on a conceuë sur ses dernieres lettres, que si les Turcs perdoient vne bataille, on pourroit facilement les obliger à faire la paix. Le General Heusler qui est sur les frontieres de Transylvanie et de la Haute-Hongrie, a mandé par des lettres du 26 du mois dernier, qu’il avoit appris de divers endroits, que les Tartares depuis la retraite des Moscovites, assembloient vn grand corps dans le Budziac, pour venir joindre l’armée Othomane en Hongrie : et que le Hospodar de Walaquie avoit re--ceu ordre de la Porte d’envoyer deux mille hommes de ses troupes au
Comte Thékéli
qui estoit encore campé à Caransebes : ce qui faisoit apprehender qu’il n’eust dessein d’entrer en Transylvanie. Il a mis garnison dans Orsoüa depuis que les Impériaux l’ont abandonné : et il y fait faire de nouvelles fortifications. Le Commandant de Zwornick ayant esté obligé de rendre cette place, parce que les Hongrois qui y estoient en garnison ne voulurent pas se défendre, arriva le 6 de ce mois, avec les troupes Allemandes, à Sabatz dans la Bossine. On a eu avis que les Turcs avoient aussi formé vn dessein sur cette derniere place. Le Lieutenant Colonel Malvezzi qui y commande, envoya des partis pour tâcher d’en avoir des nouvelles certaines : et cependant, il fit travailler en diligence à quelques ouvrages dans les dehors, à démolir le fauxbourg, et couper les bleds aux environs. Le 7, les ennemis au nombre de neuf mille hommes, firent avancer vn détachement de ce costé là : et on croid presentement la place assiegée, nonobstant la diversion que le Comte de Herberstein Gouverneur de Carlstat en Croatie, se proposoit de faire
dans les provinces de Licca et Corbavia : où il a fait piller et brûler plusieurs châteaux, bourgs et villages de l’obéïssance des Turcs.
On a eu avis le 3 de ce mois, qu’vn parti des troupes du Colonel Corbelli, qui continuë le blocus du Grand-Waradin, en avoit chargé vn de la garnison de la place, et fait quelques prisonniers, qui ont confirmé que la disette y estoit extreme
: mais que le Commandant persistoit dans la resolution de se défendre, attendant vn promt secours du
Comte Thékéli
. Vn détachement des garnisons Turques de Giula et de Ieno à tâché de surprendre le chasteau de Fregetabor : et il a esté repoussé avec perte. Le Comte Budiani qui commandoit au blocus de Canischa a joint l’armée du
Prince Loüis de Bade
: où quelques chefs de Rasciens font esperer de se rendre avec quatre mille hommes de milices. Les garnisons de Belgrade et de Semendria ont esté augmentées : et les fortifications ont esté reparées autant qu’il a esté possible de le faire, depuis que la negociation de la paix avec lesTurcs est entierement rompuë. Les Envoyez de la Porte attendent impatiemment le retour du courier qu’ils ont dépesché à Andrinople : et cependant, ils commencent à vendre leurs chevaux pour subsister, parce que le Conseil Imperial a jugé à propos de cesser de leur payer la somme qui avoit esté ordonnée pour leur entretien.