De Vienne, le 4 Décembre 1689.
Les lettres écrites le 11 du mois dernier, du camp du
Prince Loüis de Bade
, pres de Czerneck, portoient qu’il avoit envoyé ses troupes en quartier d’hyver, pour les remettre des fatigues qui les avoient extremement affoiblies : que l’escorte qu’il avoit donnée à la garnison de Widin, pour la condüire à Nicopoli, avoit trouvé
le Comte Thékéli
campé entre cette place et Widin, avec quatre mille hommes et plusieurs pieces de canon : et qu’elle estoit revenuë sans aller jusqu’à Nicopoli, ayant esté renvoyée par les Turcs avec vne escorte. Les partis du
Comte Thékéli
font tous les jours des courses jusqu’aux portes de Widin, depuis que la place a esté prise. Le Kan des Tartares, avant que de se retirer vers le Budziac, a mis cinq mille hommes dans Nicopoli, pour défendre cette place en cas qu’elle fust attaquée.
Le Prince Loüis de Bade
a fait lever le pont de batteaux constrüit sur le Danube à Fetislau, pour le passage de l’armée en Walaquie, de crainte qu’il ne fust endommagé par les glaces : et il a donné tous les ordres necessaires à dessein de partir pour revenir ici, quoy qu’il fust malade de la fiévre quarte. Aujourdhuy, vn courier depesché de Bulgarie, a passé ici allant à Ausbourg porter les nouvelles suivantes : que plusieurs familles estoient rentrées dans Stipo, depuis que la ville avoit esté abandonnée par les Turcs : que l’armée ayant marché de ce costé là, avoit chassé environ trois cents Turcs d’vn fauxbourg où ils s’estoient retranchez :
qu’ensüite elle avoit mis en füite le Bacha de Scopia, qui s’estoit avancé du mesme costé, avec cinq ou six mille Turcs : que le feu avoit esté mis à la ville
: et qu’apres cette expedition, l’armée s’en estoit retournée avec vn grand butin, ayant encore chargé en chemin trois cents Turcs commandez pour reconnoistre la ville de Scopia. Le Comte Picolomini mourut le 9 du mois dernier, à Pesseren ou Pristina, dans le païs de Cossawa, d’vne colique à laquelle il estoit sujet. Cinq cents Rasciens ou Impériaux du petit corps d’armée qu’il commandoit, qui avoit esté renforcé des regiments Impériaux de Croy, de Hannover et de Serau, s’estant avancez dans le païs ennemi, ont esté taillez en pieces par vn grand parti de Turcs et de Tartares : et vn Officier Alleman qui commandoit ce détachement a esté fait prisonnier. Le Comte de Kissel Colonel d’vn régiment de dragons est aussi mort à Fetislau.
L’Empereur
a donné son regiment au Comte de Rabutin. On croid que celuy de Cüirassiers du Comte Picolomini sera donné au Comte de Schlick, qui offre vne avance de cinquante mille florins à la caisse militaire.
On a apporté des lettres interceptées du Bacha de Canischa, par lesquelles il mandoit au Bacha de la Bossine, que la disette estoit tousjours extréme dans la place : mais on a d’autant plus de peine à le croire qu’il y a tres long temps que ce brüit court, sans avoir les süites qu’il faisoit esperer.
On a eu avis du Camp devant le Grand Waradin, que le régiment de dragons du Comte de Lewenschildt y estoit arrivé, sous les ordres du Comte Schaumbourg Lieutenant Colonel : et que plusieurs transfuges avoient confirmé au Comte Corbelli ce que ceux qui estoient cy devant sortis de la place avoient rapporté touchant l’estat de la garnison. Ils ont aussi assuré que le Bacha pour obliger les Officiers et les soldats à demeurer dans le devoir, leur avoit montré des lettres qui portoient que l’armée Impériale s’estoit retirée : et mesme que pour les empescher d’en douter, il avoit fait faire vne décharge de tout le canon. Le Comte Corbelli a fait executer à mort quelques deserteurs de son camp, qui avoient esté arrestez en voulant se jetter parmi les Turcs. Deux cents Irlandois qui sont presque seuls restez du nombre de ceux que
le Prince d’Orange
avoit fait embarquer par force, pour les envoyer en Hongrie, ont esté destinez pour la recruë du régiment d’infanterie que le Comte Bielke Gouverneur General de Pomeranie a levé pour
l’Empereur
. Les Envoyez de la Porte témoignent tousjours vne grande impatience de s’en retourner, si les Commissaires Impériaux ne veulent pas remettre sur le tapis la negociation de la paix. Mais les Ministres de
l’Empereur
refusent de les écouter jusqu’au retour des couriers envoyez en Pologne et à Venise pour sçavoir les intentions du
Roy de Pologne
et de la Republique. D’ailleurs, la Cour Impériale est tellement occupée à Ausbourg, sur les préliminaires de la Diete Electorale, qu’elle ne veut pas commencer cette negociation avant que l’autre affaire soit entierement terminée. Il y a aussi tousjours de grandes difficultez sur la repartition des quartiersd’hyver, dont la pluspart des Alliez sont fort mécontents. Les Villes et les petits Estats le sont encore davantage, parce qu’on n’a eu aucun égard aux dommages qu’ils ont soufferts la Campagne derniere : qui les mettent hors d’estat de soustenir cette nouvelle dépense.