La modernisation de l'agriculture à travers les illustrations du Journal d'Agriculture Pratique (1870-1914)
Depuis que la bibliothèque ancienne du ministère de l’Agriculture a été confié en 2005 au centre de documentation de la MRSH de Caen, une collection complète (1837-1938) du Journal d’agriculture pratique est en accès libre. Un dépouillement systématique de cette revue de vulgarisation des nouveautés agronomiques permettrait d’apporter une pierre à une histoire scientifique de la modernisation de l’agriculture qui se fait attendre. En effet, les articles de cette revue sont rédigés par les meilleurs spécialistes français du moment, les professeurs (Heuzé, Grandeau, Diffloth, Ringelmann, etc.), comme les grands propriétaires expérimentateurs et les voyageurs. Les numéros reliés du Journal d’agriculture pratique offrent chaque semestre un index non seulement des matières et des auteurs, mais aussi des illustrations (gravures, schémas, photos, etc.), distinguant même celles qui sont en couleur de celles en noir et blanc. La qualité de certaines gravures en noir ou colorées est remarquable. Les photos, apparues à la fin des années 1890, parfois colorisées, laissent plus à désirer.
Tout en publiant parfois des images que l’on rencontre aussi à l’extérieur sous forme d’affiches publicitaires, cette revue n’offre pas d’espace à la publicité, un auteur s’étonnant même d’une illustration qui vante la faucheuse Massey d’une manière irréaliste (galerie 1, figure 5). Elle n’esthétise pas non plus – ou très rarement – les campagnes françaises ou exotiques ; on rencontre peu d’images nostalgiques comme la glandée (galerie 3, figure 27) – mais l’article traite scientifiquement de la valeur alimentaire des glands –, ou pittoresques comme cet éléphant tirant une charrue au Congo (galerie 2, figure 17) – là aussi, l’article est sérieux : il essaye de promouvoir un nouvel animal de trait en Afrique, comme le faisaient déjà les Belges.
En un mot, comme son intitulé l’indique, le Journal d’agriculture pratique offre peu d’illustrations sans un objectif pratique. Cartes, plans, schémas en coupe, tableaux, diagrammes et graphiques, dont il faudrait évaluer les proportions respectives, sont là pour cautionner le sérieux scientifique des articles. Max Ringelmann va jusqu’à présenter, à l’aide de schémas, la répartition des grains au sol selon que l’on sème à la volée à simple, double ou triple jet (galerie 1, figure 36).
Les chromolithographies colorées apparaissent en 1885. Elles sont principalement consacrées au monde végétal et animal (sauvage ou domestique), mais présentent aussi parfois des étables, des maisons rurales, des écoles agronomiques, des machines, comme la moissonneuse-lieuse américaine Wood en 1888 (galerie 1, figure 6), ou deux bœufs tirant le brabant double Bajac menés par un homme qui prend vie, grâce à la couleur, avec sa chemise à carreaux rouges et son gilet vert (galerie 1, figure 44), ou encore la coupe, très technique, du tracteur-treuil du même Bajac (galerie 2, figure 18).
La centaine d’images proposée dans les 3 galeries s’échelonne des débuts de la IIIe République à la Première Guerre mondiale, époque particulièrement florissante en matière agronomique et en innovations scientifiques et techniques. Les galeries 1 et 3 s’opposent à la galerie 2 en ce sens qu’elles illustrent la variété des rubriques, y compris ce qui est parfois considéré aujourd’hui comme des « curiosités ». La galerie 2, au contraire, est centrée sur un seul sujet : l’arrivée des moyens mécaniques autonomes. Il faut savoir que ce sont les illustrations qui ont guidé notre premier choix et non les articles.
En dehors d’une analyse de contenu qui reste à faire, en les comparant par exemple avec les affiches agricoles et les publicités payantes d’autres revues, ces illustrations donneront une idée de la richesse des articles qui les ont suscitées. Dans la mesure du possible, on a reproduit les articles en entier, mais lorsque le passage qui commente l’illustration ne représente que quelques lignes dans un long article, on ne trouvera ci-après que ce passage.
Jean-Paul Bourdon
MRSH - pôle Société, Environnement et Espaces Ruraux