Il est évident que la modernisation de l’agriculture française s’est considérablement développée après la Seconde Guerre mondiale, mais on ne peut dire qu’il ne s’est rien passé pendant la centaine d’années qui a précédé. Si l’on sent, depuis la fin du XVIIIe s. même, un regain d’intérêt pour les choses de l’agriculture – développement des villes oblige –, la grande vogue des instruments mécaniques commence sous le Second Empire, époque à laquelle la moissonneuse américaine McCormick fait son entrée.
La période qui a été retenue ici est celle où les notables, qui se considéraient traditionnellement « directeurs » de l’agriculture, voire des agriculteurs, sont concurrencés sur leur gauche par la montée en puissance des ingénieurs, des hommes de science, des écoles d’agronomie et du ministère de l’Agriculture. Le Journal d’agriculture pratique est rédigé par un aréopage de savants qui sont pour la plupart spécialisés, mais non au point de ne pouvoir traiter les sujets les plus divers. Malgré le raidissement propre aux hommes de science de la fin du XIXe siècle sous la forme du scientisme et du positivisme, les agronomes du Journal d’agriculture pratique rendent compte avec le même intérêt du broyage de l’ajonc en Bretagne aussi bien au pilon (figure 3) que mécanique avec le broyeur Texier (figure 2). Leurs projets pour le futur, comme la vacherie en stabulation permanente de Ringelmann (figure 23) côtoie le système de dépiquage des céréales futuriste d’un propriétaire de Perpignan (figure 31).
L’intensification des tâches agricoles dans les fermes – la journée s’allonge même en hiver, de nouveaux bâtiments sont nécessaires, les ouvriers agricoles doivent être mieux logés, etc. – entraîne des innovations. On cherche à construire de nouvelles étables et de nouveaux logements à bon marché en s’emparant des techniques récentes comme le béton armé (figures 14, 23, 29, 33, 35, 47, 49). On cherche également à introduire l’éclairage électrique dans les bâtiments et les cours, et même la torche électrique, pour pouvoir travailler plus commodément le soir et le matin qu’avec des lanternes (figures 18 et 42). La miniaturisation des écrémeuses industrielles et l’augmentation de la production laitière permettent leur diffusion rapide, même dans les fermes les plus reculées et les plus petites (figures 20 et 22), tandis que les gros fermiers du Bessin restent fidèles à l’écrémage spontané.
À cette époque, le foisonnement des techniques et des pratiques n’effraye pas les agronomes, comme ce sera le cas après 1945 quand ils vont déclarer une guerre sans merci à toute forme d’hétérogénéité au sein de l’agriculture. Aujourd’hui un état d’esprit semblable à celui du Journal d’agriculture pratique est de nouveau d’actualité. Une plongée dans cette revue est de ce point de vue tout à fait revigorante et encourageante. Revue à vocation généraliste, elle traite un nombre considérable de domaines. On se rendra aisément compte de la variété des rubriques en consultant les index semestriels des articles au centre de documentation de la MRSH de Caen.
Jean-Paul Bourdon
MRSH - pôle Société, Environnement et Espaces Ruraux