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Les bonnes poires à poiré

Les fruits que produisent les pommiers et les poiriers plantés dans les champs, le long des routes, dans les herbages ou les terres labourables, servent à fabriquer le cidre et le poiré, boissons d’une grande ancienneté dans la Normandie, la Bretagne, le Maine, la Picardie, etc.

Le pommier à cidre est beaucoup plus répandu que le poirier à cidre dans toute la région septentrionale, principalement dans les localités où la vigne n’est pas cultivée parce qu’elle y mûrit difficilement ses raisins. Le cidre qu’on obtient en pressurant les pommes est de qualité très variable suivant les variétés auxquelles elles appartiennent et le mode de fabrication adopté. De nos jours, ainsi que je l’ai constaté, on compte plus de 2000 variétés de pommes à cidre qui diffèrent les unes des autres par leur forme, leur coloration, leur richesse en sucre et en tanin et l’acidité qu’elles contiennent. Les bons cidres, ceux qui ont une belle couleur dorée, une saveur rappelant la pomme, qui ne noircissent pas et ne deviennent pas acides, constituent des boissons alimentaires, hygiéniques et agréables qu’on consomme partout avec plaisir.

En général, on préfère le cidre au poiré, auquel on reproche de troubler le système nerveux ; on lui attribue une action enivrante lorsque, au moment de sa fabrication, on a négligé de choisir les poires les plus sucrées, modérément acides et surtout les plus riches en tanin. Il est utile dans cette fabrication de ne pas oublier que le tanin amoindrit très sensiblement et très heureusement l’ivresse que l’alcool produit sur le cerveau. Les poirés riches en acide ne doivent fournir que des boissons destinées à la distillerie ou à la fabrication de l’eau-de-vie normande. Cependant, les poires à cidre ne contiennent pas autant d’acide malique et de tanin que les pommes à cidre. C’est pourquoi le poiré n’a jamais les qualités hygiéniques qui font partout rechercher le cidre bien coloré, bien soutiré, très parfumé et convenablement conservé.

Le poirier à cidre, particulièrement répandu en Normandie, acquiert ordinairement plus de développement que le pommier à cidre ; il est aussi plus productif. C’est toujours avant le pommier qu’il épanouit ses nombreuses et belles fleurs blanches. On lui destine généralement les terres argileuses un peu froides dans lesquelles il végète assez facilement. Les variétés de poires à cidre ne sont pas très nombreuses. La planche coloriée ci-jointe représente quatre variétés signalées à bon droit comme très méritantes par M. Power. Ces variétés, ainsi que je l’ai constaté l’an dernier, sont douées d’une grande vigueur.

La poire Souris (fig. 1) est une variété très ancienne ; elle est répandue dans le pays d’Auge (Normandie). Ce poirier est très fertile ; ses branches semi-verticales portent des feuilles moyennes très légèrement arrondies. Il fleurit pendant la seconde quinzaine d’avril. Son fruit ovoïde, petit ou moyen, est vert jaunâtre, marbré de brun ou de roux ; souvent on y remarque des plaques irrégulières teintées de rouge carminé sur la partie exposée au soleil. Les fruits mûrissent au commencement de novembre ; leur jus est de bon goût et un peu ambré. Un litre de moût, d’une densité de 1 059 à 1 075, contient 138 à 173 g de sucre et 2,75 à 13,77 g de tanin. La poire Souris convient très bien pour la fabrication d’un poiré destiné à la distillerie, bien que la forte proportion de tanin qu’elle contient ne soit pas sans importance. Son jus est assez astringent, sucré et parfumé.

La poire Carizi (fig. 2) est aussi connue depuis les temps les plus anciens. Cette variété a produit diverses races que l’on nomme Carizi rouge, Carizi vert, Carizi gris. Celle figurée sur la planche ci-jointe est le Carizi blanc ou Carizi blanche. Elle est répandue dans le pays d’Auge. La poire Carizi a été signalée par Olivier de Serres et Paulmier. Elle est vigoureuse, fertile et rustique. Son fruit est moyen et un peu arrondi ; à la maturité, il est jaune verdâtre plus ou moins foncé et très pointillé de roux avec taches rousses inégales. Sa chair est blanc jaunâtre et un peu pierreuse près du cœur.

Cette variété fleurit au commencement de mai. Ses branches sont semi-verticales. Ses feuilles sont petites, lancéolées, pointues et peu dentées. Elle mûrit ses fruits à la fin de septembre ou au commencement d’octobre. Sa pulpe est blanc jaunâtre, cassante, ferme et peu acide. Son jus a bon goût, mais il est peu coloré. Un litre de moût, d’une densité de 1 041 à 1 063, contient de 77 à 150 g de sucre et 0,45 à 5,5 g de tanin. On reproche à cette variété d’être parfois peu riche en sucre et en tanin, mais elle rachète ces défauts par sa grande productivité. Toutefois la promptitude avec laquelle blettissent ses fruits, oblige de les pressurer huit à dix jours après qu’ils ont été récoltés.

La poire de Grise (fig. 3), qu’il ne faut pas confondre avec la Grosse Grise, est également répandue dans le pays d’Auge. Elle est rustique, vigoureuse et très fertile. La tête de l’arbre est élevée par suite de la direction verticale de ses branches charpentières ; ses feuilles sont moyennes et très peu dentelées. Cette variété fleurit à la fin d’avril et mûrit ses fruits vers le 15 octobre. Son fruit est moyen ou assez gros, mamelonné, irrégulier, gris roux uniformément et un peu rugueux. Sa chair est blanc jaunâtre, teintée de jaune à la périphérie. Son jus ambré a très bon goût et est légèrement acidulé. La poire de Grise fournit un très bon poiré qu’on vend parfois comme vin blanc. La facilité avec laquelle elle se conserve jusqu’en janvier permet de l’expédier au loin. Un litre de jus, de 1 051 de densité, contient 137 g de sucre, et 1,7 g de tanin. Le poiré produit par la poire de Grise convient aussi très bien pour la distillation.

La poire Gros-Dudan (fig. 4) est aussi une ancienne variété assez commune dans le Roumois ; elle est vigoureuse et fertile ; ses feuilles sont moyennes, bien arrondies et très peu dentées. Cette variété fleurit au commencement de mai et mûrit ses fruits à la fin de décembre. Son fruit est moyen, assez régulier et muni d’un long pédoncule. Il est jaune verdâtre, marbré de brun rougeâtre et de points bruns. Son jus est jaune, un peu acide, mais peu astringent. Ce fruit se distingue, en outre, par sa longue conservation. Un litre de moût d’une densité de 1 065 contient 135 g de sucre et 1,9 g de tanin. Les variétés dites : Souris, Carizi et de Grise peuvent être propagées par la greffe en pied. M. Power recommande de greffer principalement le Gros-Dudan en tête.

En résumé, les quatre variétés de poire à cidre qui viennent d’être signalées, et qui existent dans le verger créé à Rouen par la Société centrale d’horticulture présidée par M. Héron, ont toutes les qualités requises pour fournir de bons poirés comme boisson ou pour la distillation.

Gustave HEUZÉ

Source : G. Heuzé , «Les poiriers à cidre», 
Journal d'agriculture pratique, 1898, vol. 2, p. 306-308.

 

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