Vous êtes ici

Le contrôle laitier des vaches

Je n’ai pas à rappeler ici les avantages nombreux qui peuvent être tirés du contrôle laitier des vaches. Le Journal d’Agriculture pratique a montré, plusieurs fois, la documentation précieuse qu’apporte aux sociétés d’élevage, aux éleveurs, le contrôle laitier, en leur permettant d’éliminer tous les descendants d’animaux inférieurs, et en les encourageant à garder, par sélection, tous les sujets de grande lignée et de parents remarquables. Il faudrait rappeler ici les résultats obtenus par l’étranger, tant pour la quantité que pour la qualité du lait, dans la production de leur troupeau national. Qu’il me suffise de dire que la Société d’élevage de Leeuwarden a, en dix années, sans changer la quantité de lait, obtenu, pour la moyenne du troupeau inspecté, un lait dont la teneur en matière grasse est passée de 28 à 32 grammes. C’est une augmentation de 50 à 60 grammes de beurre par vache et par jour.

Qu’il suffise de rappeler également que cette même Société vend, à l’étranger et en Hollande, des quantités considérables de vaches laitières, à des prix très rémunérateurs, car elle peut, en vendant la vache indiquer à l’acheteur toute la lignée des ancêtres de cette bête et le contrôle de ses premières lactations. C’est une garantie qui, de l’avis des éleveurs hollandais, permet au vendeur de majorer le prix de ses animaux d’au moins 50 F par tête, sans qu’il en résulte pour lui une augmentation de frais. Ces considérations devraient être suffisantes pour encourager nos éleveurs à utiliser ces méthodes. Toutefois, le contrôle laitier présente encore des avantages directs qu’il est bon de faire ressortir.

Certaines bêtes, bien que recevant une nourriture abondante, sont encore insuffisamment alimentées, et l’éleveur ne peut aisément s’en apercevoir. La bête ne dépérit, en effet, qu’après un laps de temps assez long, et ce retard est tout à fait préjudiciable à sa santé. Le contrôle laitier met en évidence cette anomalie, dès son origine, et l’augmentation légère de la nourriture, immédiatement utilisée, permet d’obtenir des résultats efficaces et des rendements en lait bien plus importants. Notre propre expérience nous permet d’affirmer que, dans certains cas, pour une bête abondamment mais insuffisamment nourrie, l’addition d’un demi-kilogramme de tourteau représentant 0,10 F a permis d’obtenir une augmentation durable de 2 litres de lait par jour, soit un produit de 0.30 en supposant le lait à 0,15 F.

Il y avait donc lieu de trouver et d’établir, grâce au contrôle laitier, une méthode pratique qui puisse permettre de se rendre compte rapidement de l’état de santé et de nutrition des animaux et, en second lieu, des résultats économiques obtenus par l’augmentation de la ration de l’animal. Depuis plus de trois ans, sous l’impulsion de notre maître, M. Mallèvre, nous opérons trois fois par mois la pesée des vaches et la pesée du lait.

La pesée du lait se fait pratiquement à l’aide d’un peson Leddery. Un seau taré, vide, ramène l’appareil en face le 0 de la feuille de contrôle. Le lait mis dans le seau abaisse le peson en face des lignes successives correspondant à 1, 2, 3, 4, etc., kg de lait. Ce peson, qui entraîne avec lui une barrette percée de 12 trous, permet de recueillir sur une même feuille les chiffres de pesée de 12 vaches. La marque sur le papier se fait à l’aide d’une pointe. Il suffit donc de relever et d’additionner les chiffres obtenus à chaque traite de la journée pour obtenir le poids total de lait produit par jour. La bête est également pesée sur une bascule tous les dix jours.

Toutes ces pesées, ainsi exécutées, donnent des chiffres avec une approximation suffisante telle qu’il est possible de considérer comme négligeables les erreurs provenant du fait des troubles journaliers. La comparaison entre les chiffres obtenus par une pesée tous les dix jours et ceux donnés par une pesée quotidienne ont prouvé que l’erreur ne pouvait jamais dépasser 5 0/0 Il est donc suffisant d’opérer ces pesées trois fois par mois seulement.

A l’aide des chiffres ainsi obtenus on peut établir deux courbes parallèles : courbe du poids de la vache, courbe du poids de lait , que nous avons soin de dresser sur un même diagramme comme le montre la fiche reproduite page 240.

Si les courbes de poids de lait et de poids de l’animal baissent en même temps, on peut affirmer que la vache est dans un état physiologique tel qu’elle prend sur ses propres tissus les éléments nécessaires pour produire le lait. Elle maigrit, épuise ses réserves, puis, restant stationnaire, arrive à produire des quantités de lait inférieures. La bête est sur la limite de l’état d’affaiblissement dangereux où elle peut attraper toutes les maladies. L’augmentation de la nourriture s’impose ; elle donne toujours des résultats merveilleux, la bête augmente en lait et engraisse à nouveau.

Si les deux courbes montent en même temps, il y a lieu d’examiner la bête. Si la vache sort d’une période de dépression et demande une nourriture abondante, lui permettant de produire du lait et de faire à nouveau quelques réserves, il faut maintenir cette alimentation. Si la vache, au contraire, est grasse, c’est une bête qui assimile merveilleusement ; il est possible de tenter une diminution de nourriture. Cette diminution correspondra généralement à une diminution de lait, parfois très faible ; il suffira donc de savoir si la perte minime de lait qui en résulte correspond au prix de la nourriture supprimée, lui est inférieur ou supérieur. Cet examen, dans chaque cas particulier, permettra de déterminer s’il faut maintenir, rétablir ou diminuer la nourriture. Plus le lait sera vendu cher, plus il y aura intérêt à pousser la production au maximum et inversement.

Si la courbe de poids pour une bête en bon état reste stationnaire on augmente très légèrement, c’est que la bête reçoit une nourriture suffisante, et une alimentation rationnelle. Les oscillations de la courbe du lait sont alors normales, elles montent le premier mois, puis, après une période constante de quelques semaines, descendent progressivement suivant l’éloignement du vêlage de la bête. Quand le lait baissera par trop, le poids augmentera presque mathématiquement et l’examen des courbes nous ramènera au cas précédent.

Telle est, grossièrement, la méthode utilisée ; elle doit être, naturellement, modifiée suivant les cas et les circonstances. L’influence de causes étrangères est toujours à noter, avant de tirer des conclusions et d’opérer des changements à la nourriture maladies, température, etc. Il y a lieu également d’examiner l’état physiologique de la bête : le poids d’une vache pleine doit augmenter au fur et à mesure de sa grossesse pour atteindre, au moment du vêlage, approximativement le double du poids moyen du veau qu’elle est susceptible de porter. Ce n’est pas, en effet, une augmentation de poids, mais une augmentation du poids d’un parasite et de ses enveloppes. Cette augmentation de poids n’existe plus au lendemain de la naissance. Ce sont là des restrictions que comporte chaque cas particulier.

Comme on le voit, cette méthode nous conduit à avoir, pour les différentes bêtes, des alimentations différentes. Certaines étables résolvent ce problème en classant les vaches par catégories, suivant la quantité de nourriture à leur donner. Cette méthode présente, à notre avis, l’inconvénient sérieux de changer les vaches de place dans une étable, de les confier souvent à un nouveau vacher et d’amener des troubles dans la sécrétion lactée. Nous croyons plus facile de faire donner à toutes les bêtes une ration normale, facile à établir pour la plupart des animaux, quand ils sont de la même race. On ajoute en supplément à cette ration, pour les bêtes qui en ont besoin, l’excédent de nourriture qui leur permettra de rattraper l’état physiologique idéal qu’impose l’étude de leur fiche individuelle.

Cette considération nous a amené à noter le troisième élément du problème, la valeur nutritive de l’aliment, et à examiner, en parallèle, la nouvelle courbe de cette donnée. Il faut avouer que, dans la pratique, l’établissement de rations en unités nutritives effraye la plupart des éleveurs, car elle les astreint à faire des recherches dans les tables de Kellner, ce qui les oblige là de longs calculs.

D’après la remarquable conférence de M. Mallèvre, à Rouen, nous avons cru pouvoir fixer une méthode simple, donnant la valeur fourragère de chaque aliment, avec une approximation suffisante pour pouvoir être comparable. Comme le montre la fiche (fig. 34), il suffit d’une simple addition de quelques chiffres pour savoir la valeur fourragère de la ration offerte à l’animal. Cette courbe, après quelques tâtonnements, devient fixe. Elle ne varie qu’avec les changements de nourriture, imposés par l’allure comparative des courbes de poids de l’animal et de poids de lait. En parallèle, nous avons relevé, d’après la conférence de M. Mallèvre, les quantités fourragères nécessaires pour maintenir la vache laitière en bon état d’entretien, et pour lui permettre de produire un certain nombre de kilogrammes de lait.

Si les chiffres trouvés à l’étranger étaient applicables à nos races françaises, cette courbe idéale devrait se confondre avec la précédente. Nous l’avons toujours trouvée bien inférieure. D’ailleurs, il semble que c’est l’évidence même. Les chiffres enregistrés sur la fiche sont établis à l’aide de données de provenance danoise ou suédoise, c’est-à-dire à l’aide d’expériences faites sur des vaches hollandaises, dont, la teneur du lait en matière grasse est en moyenne de 32 grammes. Il paraît évident que, pour obtenir un kilogramme de lait, contenant 38 à 40 grammes de beurre il faudra une quantité d’unités fourragères plus importante. L’établissement de fiches de cette nature, d’où pourrait être déduite la quantité d’unités fourragères nécessaires pour maintenir les animaux en parfait état d’équilibre, et pour produire 1 kilogr. de lait, est nécessaire pour chacune de nos grandes races. Un grand nombre d’observations dans des milieux différents, permettra rapidement de tirer des conclusions et servira à établir la nourriture optimum pour chacune de nos bêtes.

J.-E. LUCAS 
ingénieur agronome,
agriculteur à Gournay-sur-Marne (Seine-et-Oise)

Source : J.-E. Lucas , «La pratique du contrôle laitier», 
Journal d'agriculture pratique, 1912, vol. 2, p. 238-241.

lien: 
oui
n°: 
1