Ces ouvrages consistent, en principe, dans l’établissement d’une ossature métallique (fer ou acier) qu’on enrobe dans du mortier ou du béton de ciment. Le procédé était connu depuis longtemps et des brevets avaient été pris par M. Monier père, qui fit de nombreuses applications agricoles et horticoles du système. En l880, les brevets Monier furent achetés par une Société qui exécuta d’importants travaux en Autriche-Hongrie, où des expériences très sérieuses furent effectuées ; c’est à la suite de ces essais, entrepris sous les auspices de l’Association des ingénieurs et architectes autrichiens, qu’on s’occupa d’appliquer le système en France à de grands travaux publics, pendant qu’on cherchait à en établir une théorie rationnelle.
Les maçonneries résistant bien à la compression, et les métaux à l’extension, ces deux façons de faire travailler ces corps sont, par conséquent, l’idéal vers lequel on doit tendre dans l’établissement des ouvrages en ciment armé, lesquels, présentant une grande résistance, permettent de réduire l’épaisseur des parois.
L’adhérence du ciment au fer est très élevée (45 kg par centimètre carré) et la liaison des deux matériaux étant intime, le ciment joue le rôle d’une gaine protectrice contre la rouille, empêche les pièces de flamber, c’est-à-dire de se dévier ou de se déformer, et enfin en augmente la résistance au feu (les constructions métalliques ordinaires s’effondrent rapidement dans un incendie).
L’emploi d’une ossature métallique permet de donner à l’ouvrage les formes les plus variables : cuves, réservoirs, tuyaux, auges, bassins, colonnes, etc.), et le faible poids qu’on peut réaliser en facilite l’emploi pour les murs, les cloisons, les planchers, les voûtes, etc.
Le ciment présente sensiblement la même dilatation thermique que le fer, mais les résistances élémentaires [Traité de mécanique expérimentale] sont différentes : pour le fer, la charge de rupture à l’extension est de 35 à 40 kg en moyenne (par millimètre carré), alors qu’elle n’est seulement que de 0,2 à 0,4 kg pour le ciment à prise lente (essais de traction simple, effectués sur du ciment non armé). Si l’on ne se base que sur ces données, on constate que le ciment étant obligé d’éprouver les mêmes déformations que le fer, par suite de son adhérence, doit subir, dans certaines parties des pièces, des fatigues très élevées et il serait toujours à craindre que la flexion des ouvrages tendît à en disloquer les divers éléments constitutifs. Nous verrons, à la fin de cette étude, les théories qui permettent d’expliquer le travail d’extension auquel les mortiers peuvent résister dans les ouvrages en ciment armé.
Les conditions principales de la partie du travail relative à la maçonnerie, sont : l’emploi du ciment à prise lente et d’un mortier gras, adhérent au métal ; il faut éviter le mortier maigre au contact ou même au voisinage immédiat du métal ; il y a avantage à pilonner énergiquement le mortier si toutefois cela est possible, et, dans ce cas, on doit employer un mortier peu mouillé. Comme les pièces principales sont cachées à la fin du travail, il est indispensable de n’en confier l’exécution qu’à des ouvriers consciencieux et attentifs, aussi bien pour l’établissement de l’ossature métallique que pour le dosage et l’emploi du mortier.
Les fondations des grandes maisons de Chicago sont établies sur un plancher en ciment armé, posé au fond de la fouille qui est faite dans les terrains marécageux du bord du lac Michigan ou de la Chicago River ; plusieurs couches croisées de fers profilés, ou même de vieux rails de chemins de fer, sont ainsi noyées dans une masse de béton pilonné.
Pour les travaux autres que ceux des fondations, dont l’ensemble ne travaille qu’à la compression, on a recours à des ossatures métalliques dont les dispositions varient avec les constructeurs (des applications de ce principe avaient été faites dès 1861 par M. F. Coignet).
Dans le système Monier père, l’armature se compose de fils de fer ronds, les uns a (fig. 56) de 3 à mm de diamètre, espacés de 0,05 à 0,1 m d’axe en axe, les autres b placés avec le même écartement ; les pièces a ou b qui doivent résister le plus ont une section et un écartement qui dépendent de la fatigue l’ouvrage, les unes portent le nom de pièces de résistance, les autres celui de tiges de répartition. Les deux systèmes a et b sont réunis à leurs points de croisement f avec du petit fil de fer recuit de 1 à 2 mm de diamètre. Lorsque l’ouvrage doit avoir un bord apparent en fer (cas des réservoirs, des auges et des bassins), les pièces a sont également attachées avec la lame d’un fer profilé F, par des petits fils de fer passant dans des trous percés d’avance dans cette lame.
En Amérique, les pièces résistantes de l’ossature sont souvent constituées par des fers méplats f (fig. 57) percés de trous dans lesquels on passe les fers ronds a de répartition. Dans un système Monier fils, les fers m, m’ (fig. 58), dont la figure géométrique de la section est variable, sont préalablement tordus afin d’empêcher leur glisse éventuel dans la masse du béton de ciment C.
L’armature du système Cottancin se compose d’un treillage constitué par un fil de fer rond de 4,5 mm de diamètre, formant des boucles b aux extrémités ; la dimension donnée aux mailles n (fig. 59) dépend de la résistance que doit avoir l’ouvrage.
On confectionne encore l’âme avec de la tôle ondulée et perforée de diverses façon, ou avec un treillage découpé à la machine dans des feuilles de tôle ; ce dernier système est connu dans le commerce sous le nom de métal déployé (fig. 60 [non reproduite ici]). Les mailles m, dont la section est représentée en m’, ont un angle a de 45 à 50 degrés et une largeur a, variant de 1 à 1,5 cm ; elles sont découpées, avec une machine spéciale, dans des feuilles de tôle d’acier ayant une épaisseur e variant de 5 à 6 mm ; on confectionne ainsi des panneaux de toute longueur, sur 2,4 m de largeur maximum, et pesant de 1,1 à 7 kg le mètre carré. Ce lattis métallique, en métal déployé de 0m,010 de maille, sert également aux ouvrages en plâtre pour lesquels il remplace avantageusement le lattis en bois. L’avantage que paraît nous présenter le métal déployé pour les applications des ouvrages en ciment armé destinés à certaines parties de nos constructions rurales, est que l’âme du travail, c’est-à-dire l’ossature métallique, se trouve de fabrication courante dans le commerce et ne nécessite pas des ouvriers spéciaux pour sa confection.
On a cherché à écarter les pièces principales de l’ossature en leur donnant une section spéciale ; dans le procédé Bordenave les fers cornières, en U ou à double T (fig. 61 [non reproduite ici]) ont une épaisseur variant de 1 à 1,5 mm ; les fers f sont reliés entre eux, à leurs points de croisement, par des étriers e en fer rond.
Dans le système Hennebique on confectionne des poutres à simple T (fig. 62 [non reproduite ici]) en disposant à la partie inférieure de l’âme une ou plusieurs tiges rondes a, en acier, reliées au patin supérieur par des étriers e, en fer feuillard, qui sont agraffés avec d’autres barres plus faibles b c.
Pour de semblables poutres, on peut employer des fils ayant 6 mm de diamètre dont la section totale représente 1 % de la section du ciment ; la hauteur de la poutre est d’au moins de 3,6 à 3,3 % de sa portée ; enfin, on peut réaliser, par l’emploi de ce système, une économie de 25 à 30 0/0 sur les travaux formés de poutrelles métalliques reliées entre elles par des voûtes en briques.
On voit par cet examen rapide, les grandes variétés de formes qu’on peut donner à l’ossature métallique, suivant la nature des résistances que doit supporter l’ouvrage ; ainsi par exemple, un pont du système Monier, comprend deux ossatures métalliques a et b (fig. 63 [non reproduite ici]), noyées dans les culées constituées par un massi de béton B.
Max. RINGELMANN
Source : M. Ringelmann , «Des ouvrages en ciment armé»,
Journal d'agriculture pratique, 1899, vol. 1, p. 323-326.