Nous tenons à porter à la connaissance des lecteurs du Journal d’agriculture pratique l’existence d’une moissonneuse pour billons, fonctionnant depuis 1884 dans les deux Charentes, et dont l’invention appartient à M. Chevalier constructeur-mécanien à Pons. Ce fut en 1883, sur la demande d’un certain nombre de propriétaires désireux de posséder une petite moissonneuse faucheuse combinée pouvant travailler à plat et à billons, que ce constructeur se mit à l’étude pour résoudre le problème qui venait de lui être posé, et qui présentait, certes, de sérieuses difficultés d’exécution. En 1884, le problème était résolu, et à la moisson de cette même année plusieurs moissonneuses fonctionnaient à la satisfaction d’un grand nombre d’agriculteurs de ces deux départements, convoqués pour assister aux expériences.
Sans entrer dans tous les détails de construction, ce qui nous entraînerait trop loin, nous allons exposer le plus succinctement possible le fonctionnement des parties importantes de la moissonneuse. Elle est légère, son poids est de 390 kg, la construction en est simple et solide, et la réparation facile, trois conditions essentielles pour un instrument agricole. Elle se compose d’un bâti en fer contenant le mécanisme, et porté sur deux roues dont une grande de 0,71 m de diamètre, dentée intérieurement servant de roue motrice.
A côté du bâti et fixé à lui au moyen d’une sorte de charnière, se trouve une caisse rectangulaire très allongée portant en avant une barre coupeuse et la scie, toutes deux cintrées selon la forme affectée par les billons (fig. 58). La scie est articulée par une bielle longue, condition avantageuse, qui malheureusement ne se rencontre pas dans toutes les moissonneuses, car la bielle étant courte, dès qu’il vient à se produire des arrêts brusques de la scie occasionnés par l’introduction d’une pierre entre les doigts, ou autre cause, la bielle, au lieu de fléchir comme cela se produit quand elle est longue se brise infailliblement.
La caisse rectangulaire ne se vide point à l’aide de râteaux, c’est une sorte de récipient dans lequel viennent s’accumuler et se ranger symétriquement les épis coupés, poussés par trois rabatteurs établis sur un arbre et mis en mouvement par une chaîne engrenant avec une roue dentée fixée sur l’arbre moteur. Chaque rabatteur prend des inflexions différentes au moyen d’une tige de fer reliée à un galet tournant dans une came. Lorsqu’ils arrivent sur la récolte, les rabatteurs prennent une position qui leur permet d’y plonger facilement ; puis continuant leur course dès qu’ils se trouvent au-dessus de la scie, ils deviennent selon la verticale et gardent cette position jusqu’à leur sortie du tablier. Le but des rabatteurs dans la position verticale est de pousser la récolte et d’aligner les tiges le plus régulièrement possible.
C’est à un homme qu’est confié le soin de vider la caisse. Dès que celle-ci est pleine ou qu’il juge la gerbe suffisamment grosse, il fait arrêter ou il arrête lui-même car la plupart du temps on n’emploie qu’un seul homme pour conduire et vider la caisse, et à l’aide d’une courroie fixée à l’un des bords de la caisse (du côté où se trouve l’ouvrier) et sur laquelle repose la gerbe, il saisit la courroie par l’extrémité libre et attire ainsi à lui toute la gerbe qu’il dépose sur le sol. Les gerbes déposées ainsi sont d’une grande régularité, et les ouvriers chargés du liage n’ont pas la peine de ramasser de côté et d’autre les parties d’une gerbe pour la former. La perte de temps occasionnée par les arrêts est compensée dans une certaine mesure par l’économie de temps qui résulte du liage et le travail est parfait.
La moissonneuse se transforme avec la plus grande facilité en moissonneuse à plat et en faucheuse. Dans le premier cas, il suffit de remplacer la barre coupeuse cintrée par une barre coupeuse droite ; dans le second, d’enlever l’appareil portant les rabatteurs, de séparer le tablier du bâti et de remplacer la barre coupeuse cintrée par la barre coupeuse droite ; ces transformations ne demandent que quelques minutes. Les machines mixtes ont l’inconvénient de donner une vitesse moyenne trop grande pour moissonner et insuffisante pour faucher. M. Chevalier, dans sa moissonneuse, a remédié à cet inconvénient en employant des pignons de nombre de dents variables, selon que l’on a à faucher ou à moissonner.
Pour le transport, la caisse pivotant de bas en haut, comme une porte sur son gond, vient s’appliquer contre le bàti où elle est maintenue à l’aide d’une chaîne. De cette façon, on n’a de côté et d’autre rien qui puisse gêner la marche dans les chemins étroits ; l’appareil se trouve ainsi bien équilibré d’un côté par le poids de la caisse, de l’autre, par celui du conducteur, dont le siège est placé au-dessus de l’essieu et un peu en avant. En outre, les deux brancards, solidement fixés à la dossière de l’animal, assurent une plus grande stabilité.
Avec cette machine, on peut moissonner et lier un hectare environ par jour. Le liage entraîne, bien entendu, la présence d’un second ouvrier. Bien que la surface moissonnée ne paraisse pas considérable, on a, une réelle avance sur là coupe à la faucille et à la faux, et de plus une sérieuse économie de main-d’œuvre.
En somme, la bonne construction de la moissonneuse, ses facilités de transformation, son prix modique de 500 F en font un instrument avantageux pour la petite et moyenne culture.
Le nombre des agriculteurs qui la possèdent allant toujours grossissant, est une preuve indéniable de ses qualités.
E. JOBARD
Professeur à l’École d’agriculture du Chesnoy
Source : E. Jobard , «Une moissonneuse pour billons»,
Journal d'agriculture pratique, 1890, vol. 1, p. 772-773.