Vous êtes ici

L'écrémage spontané de la laiterie de Mme Vautier

[...]

L’an dernier, la Société de l’Industrie laitière nous avait conduits dans les pays fromagers de l’Est, aux environs de Bar-le-Duc ; cette année, elle nous a montré autour de Bayeux (Calvados), du 16 au 18 septembre, les centres beurriers de la Normandie. Les excursions combinées nous ont permis d’étudier la production du lait et sa transformation en beurre. Il est peu de pays qui puissent s’enorgueillir de pâturages aussi riches, aussi verdoyants que la Normandie des environs de Bayeux ; malgré la sécheresse, les prés y sont aussi frais que dans les pays les plus humides, les légumineuses poussent à profusion et permettent d’entretenir un bétail de tout premier choix.

C’est chez le baron Gérard qu’il nous est permis de trouver l’exemple le plus frappant de cette prospérité. 1500 ha répartis en plusieurs fermes sont, en parallèle, exploités soit par le propriétaire, soit par des fermiers. Tous ces prés sont traversés par une petite rivière, l’Aure, qui baigne les plus belles prairies de la région et disparaît dans la propriété même du baron Gérard pour reparaître après un parcours souterrain, soit sur la côte au-dessus de Port-en-Bessin, soit au delà dans la plaine d’Isigny. Les débordements de cette rivière sont particulièrement favorables à l’entretien de ces prairies, et c’est une véritable richesse que laissent chaque année « les flots d’Aure » dans la contrée.

Si les bâtiments sont particulièrement luxueux et laissent un peu sceptiques ceux qui recherchent, dans l’exploitation de la terre, le côté économique, les animaux élevés sur la ferme, vaches et porcs, sont particulièrement remarquables par la pureté de leur ligne, leur précocité et leurs aptitudes très développées. Il est rare de voir réuni, dans un même pré, un groupement aussi considérable de vaches normandes aussi bien constituées, aux hanches bien écartées, aux mamelles bien placées, aux trayons régulièrement espacés, et qui conservent, avec les lignes pures de la race, une tête rustique, un cornage bien horizontal légèrement relevé à la pointe, un pelage nettement bringé, avec généralement la tête blanche. Les porcs croisés Yorkshire sont particulièrement précoces et ont un développement remarquable de formes et de poids. On comprend moins facilement le mélange occasionnel de Berkshire.

Tous ces animaux dénotent la perspicacité du propriétaire, les soins minutieux d’un personnel dévoué. On doit ajouter le séjour presque perpétuel dans d’excellentes prairies d’animaux qui ne rentrent que quelques nuits d’hiver, dans les étables, grâce au climat tout à fait doux de ces contrées enchanteresses.

Sur le même territoire, utilisant les mêmes méthodes, M. Louis Vautier, locataire du baron Gérard, entretient un troupeau choisi de vaches laitières. Mme Vautier, fidèle aux traditions de la famille, tient à répartir personnellement le lait de ses vaches dans des pots de grès, et laisse la crème monter d’elle-même dans une laiterie d’une propreté méticuleuse et particulièrement bien exposée à l’Ouest. La crème recueillie une première fois douze heures après la traite donne la crème douce ; une deuxième fois vingt-quatre heures après, elle donne la crème acide. Ces crèmes sont conservées séparément dans une arrière-laiterie ; deux fois par semaine, Mme Vautier procède, dans une baratte excessivement propre, au barattage, puis au délaitage du beurre. Ce beurre particulièrement fin et délicat atteint sur les marchés de Bayeux les prix les plus élevés de la contrée. Ce résultat est obtenu, grâce à un troupeau remarquable, et, aussi, à la propreté parfaite de toutes les salles et de tous les récipients en cuivre brillant de la laiterie qui étonnerait la plupart de nos meilleures ménagères. Le charme et la jeunesse de Mme Louis Vautier laissent espérer que la souche solide de nos fermières normandes n’est pas prête de s’éteindre.

[…]

J.-E. LUCAS
ingénieur agronome

Source : Extrait de J.-E. Lucas , «VIIe congrès de l’industrie laitière», 
Journal d'agriculture pratique, 1913, vol. 2, p. 432-435.

 

lien: 
oui
n°: 
1