On construit aujourd’hui des charrues de déboisement, montées en charrues à support dans le genre des brabants simples et pourvues d’un grand nombre de coutres agissant les uns derrière les autres dans la même ligne ; la figure 1 [non reproduite ici] en donne un exemple. Chaque coutre approfondit la ligne sur 2 à 5 centimétres environ ; en arriére un fort crochet permet d’y attacher l’attelage afin de pouvoir faire reculer la charrue lorsqu’elle s’est encastrée dans une souche. Cependant tous les défrichements des landes n’ont pas été faits avec des labours profonds, pour lesquels on ne dispose pas toujours d’attelages de 6 à 8 bœufs.
Jules Rieffel avait procédé dans les landes de Nozay (Loire-Inférieure) à des essais comparatifs en faisant varier la profondeur du labour de défrichement de 3 à 27 cm. Il résulte des expériences du fondateur de l’Ecole nationale d’agriculture de Grand-Jouan qu’il était préférable de faire un premier labour à une profondeur de 7 à 10 cm, de retourner à plat les mottes de gazon, puis, l’hiver suivant, d’exécuter, perpendiculairement au précédent, un labour de 15 cm de profondeur, donner en mai un coup de très forte herse et, enfin, effectuer un dernier labour (qui, dans certains cas, pouvait être remplacé par un scarifiage) avant d’emblaver en sarrasin. Rieffel insistait sur l’économie du défrichement en un an et demi ou en deux ans, afin de faciliter la décomposition des racines ligneuses et par suite le second labour.
Pour donner une idée de la résistance que les landes opposent à la charrue, il me suffira de dire que, dans mes essais de Grand-Jouan (1881-1887), une charrue à support exigeant une traction de 63 kg par décimètre carré pour un défrichement de lande, ne présentait plus qu’une résistance da 39 kg dans la mìmes terres cultivées depuis plus trente ans ; c’est-à-dire que la terre vierge nécessitait 1.61 fois plus de traction que la mìme terre en bon état de culture.
Dans mes essais de Grignon (1887-1897), le même brabant double nécessitait, par décimétre carré, une traction de 53 kg dans les terres en bon éta de culture, alors qu’il demandait,’ dan les mìmes terres, 87 kg, soit 1.6 fois plus, pour le défrichement d’une luzerne de quatre ans.
Le procédé préconisé à Grand-Jouan fut bientôt appliqué à toutes les landes des cantons de Nozay et de Derval ; on profitait de la première année pour enclore le champ défriché avec des palis (fig. 3).en pierres irrégulières (schistes fichées verticalement dans le. sol et entrelacées de branchages de châtaignier ; Comme la couche arable était de faible épaisseur et la nappe souterraine prés du niveau du sol, on cultivait en billons, confectionnés facilement avec la charrue à avant-train du pays.
L’emploi du noir animal donna plus tard, vers 1850 , une nouvelle extension aux défrichement des landes de la Loire-Inférieure ; un bel exemple a été fourni par M. Etienne, dans la commune du Vigean ; propriétaire d’une importante raffinerie de Nantes, il avait soin, après les labours de défrichement, de répandre 500 kg de noir animal par hectare, ce qui lui permit d’obtenir de belles récoltes (choux, avoine, colza et seigle) dés la premiére année de la mise en culture ; ce n’est que plus tard que les phosphates fossiles vinrent, en Bretagne, remplacer à meilleur marché le noir des raffineries.
Malheureusement, la plupart des défricheurs de Bretagne, émerveillés des premières récoltes obtenues, n’ont pas continué l’amélioration de la terre par des fumures ou des amendements appropriés et épuisérent bientôt le sol ; il est vrai de dire qu’à cette époque l’étude des sciences appliquées à l’agriculture, qui commençait à se développer, était pour quelque temps encore sous la tutelle de la routine (il ne faut pas confondre ici routine avec pratique) et l’on disait couramment, en 1850, que « faire des avances à un sol pauvre, c’est se ruiner ; drainer une lande, c’est prêter à un banqueroutier. »
Les défrichements à l’aide de labours superficiels sont employés actuellement par M. Owsinski, dans les steppes de l’Ukraine , de la Podolie et de la Bessarabie ; dans ces régions, oú la couche d’humus est épaisse, les récoltes souffrent de la sécheresse et, pour la combattre, M. Owsinski n’effectue que des labours de 5 cm de profondeur qui retournent à plat la bande de terre.
Aux Etats-Unis et au Canada, le premier travail de défrichement est effectué avec une forte charrue dont l’action est analogue, avec plus d’intensité, à celle de l’arau du Poitou, dont nous avons déjà parlé. Ces charrues de défrichement (fig. 2 [non reproduite ici]) ont comme pièce travaillante une pointe A B solidement maintenue dans l’étançon E, qui se prolonge en formant Page G supporté en avant par le sabot S ; ces machines s’emploient dans les sols très résistants, et on en fait mìme des applications dans les travaux publics pour le décapage des routes macadamisées ; à Chicago, en 1898, en a ainsi labouré une rue sur une profondeur de 0,35 m pour établir une voie de tramway ; mais il est bon de dire que la charrue (fig. 2) était attelée de 8 chevaux et conduite par 10 hommes, dont 3 aux mancherons, alors que, dans les friches, il suffit de 4 à 6 chevaux pour tirer cette machine qui pèse environ 130 kg
La figure 4 [non reproduite ici] représente un araire américain employé pour les labours de défrichement des sols garnis d’un gazon fin et serré.
M. RINGELMANN
Source : M. Ringelmann , «Labours de défrichement»,
Journal d'agriculture pratique, 1899, vol. 2, p. 14-16.