Les considérations précédentes étaient nécessaires pour expliquer comment, dès 1908, nous avons été amené à étudier un avant-projet de construction rurale à bon marché destinée à loger une famille d’ouvriers possédant une petite étendue de terre, qu’elle peut accroître au besoin par la location de parcelles voisines. La construction devait être aussi économique que possible, tout en étant hygiénique, et elle devait comporter certaines dépendances indispensables à tout petit propriétaire rural. Certes, il ne s’agissait pas de tracer une sorte de cadre immuable, applicable à toute la France ; mais bien de faire en détail l’étude d’un type, d’en exposer le raisonnement afin qu’il puisse servir de base aux intéressés, tout en les guidant pour les modifications qu’ils pourraient apporter suivant les différentes conditions où ils seraient placés.
Dans notre pensée, nous destinions le résultat de nos réflexions à nos élèves de l’Institut national agronomique ; quelle que soit, plus tard, leur occupation, ils sont à même d’agir sur leur entourage par des conseils judicieusement donnés au moment voulu ; ils peuvent éveiller l’attention des propriétaires éclairés, des Sociétés et des Syndicats sur les améliorations à apporter aux logements des ouvriers ruraux, et nous avons l’espoir qu’ils se souviendront, à ce propos, qu’un avant-projet avait été étudié un jour à cette intention. Lorsque le Journal d’Agriculture pratique eut connaissance de notre programme, il nous demanda de publier cette étude et d’y joindre une planche coloriée ; inutile de dire que nous acceptâmes avec empressement cette proposition ; nous obtenions ainsi un document imprimé auquel pourront, plus tard, se reporter aussi bien nos anciens élèves que les nombreux lecteurs du Journal d’Agriculture pratique.
Dans presque toutes les régions de la France, on trouve beaucoup de propriétaires qui ont compris depuis longtemps la nécessité d’apporter des améliorations aux logements de leur personnel ; à titre d’exemple nous pouvons citer l’œuvre de Louis Bignon que notre confrère M. H. Hitier a étudiée, en prenant comme point de départ des articles parus dés 1862 sur le domaine de Theneuille. En 1849, lors de l’achat du domaine, « les habitations des métayers étaient de misérables huttes couvertes en chaume, au sol en terre battue, présentant des trous où l’on disposait la nourriture de la volaille » ; à partir de 1862, ces masures étaient remplacées par « des constructions neuves, simples, mieux distribuées et plus propres ». - « Malgré les dépenses nécessitées par ces améliorations de toutes sortes, ajoute M. Hitier, M. Bignon retirait de son capital un revenu de plus de 6 %. Mais, et c’est là sur quoi nous voudrions insister, M. Bignon avait su apporter en même temps l’aisance à des familles misérables jadis, qui étaient heureuses, du reste, de reconnaître lui devoir le bien-être et l’élévation morale ».
Si l’on examine divers projets d’habitations à bon marché, et on peut en voir des milliers dans certaines expositions, il semble que le premier besoin de l’architecte soit de donner à son œuvre un aspect extérieur original ou agréable à l’œil ; tantôt il cherche une façade symétrique ; tantôt il rejette systématiquement toute symétrie, mais il fait des retraits et adopte des hauteurs variables qui le conduisent à des pénétrations de combles, qu’ornementent des bois apparents plus ou moins contournés ; de nombreuses pièces divisent l’intérieur de la maison déjà petite, qui se présente extérieurement comme un jouet ou un décor d’opéra-comique. Il ne faut pourtant pas confondre une maison de campagne, où l’on passe les mois de la belle saison, avec une maison à la campagne destinée à un usage permanent.
Les constructions rurales, quelle que soit leur affectation, doivent être étudiées dans un autre ordre d’idées : elles doivent être avant tout hygiéniques ; chaque chose à loger doit disposer d’un emplacement suffisant afin de faciliter les services. Partant de ce qu’une construction rurale doit être aussi économique que possible, tout en étant solide, il faut employer à sa confection les matériaux pris sur place ou à proximité, afin que leurs prix ne soient pas surchargés de frais de transport. Suivant les cas, les calcaires, les granites, les schistes, les briques ou la terre entreront dans la construction des murs ; les ardoises, les tuiles serviront aux couvertures, en imposant des inclinaisons différentes, etc..., de telle sorte que chaque région géologique présentera, à côté de son mode spécial d’exploitation du sol, des constructions rurales d’un caractère et d’un aspect particuliers.
Rarement les matériaux des constructions rurales proviennent d’une autre région, si ce n’est par vanité du propriétaire qui tient, afin de se distinguer des voisins, à ce que ses bâtiments soient édifiés en totalité ou en partie avec des matériaux qu’on n’est pas habitué à voir dans le pays. Cela peut, à tort, passer pour un signe extérieur de la richesse ; en tous cas, c’est un luxe inutile, c’est un capital qui ne rapporte pas.
Pour ce qui concerne les logements qui nous intéressent en ce moment, il est bon de partager l’habitation en un certain nombre de pièces avant chacune leur affectation, au lieu d’avoir, comme on en a trop d’exemples, une seule et grande pièce dans laquelle vit tout le monde ; ce qui est mauvais ici au point de vue de la commodité du service et de l’hygiène de la maison, l’est également au point de vue de la moralité...
Il ne convient pas cependant, pour les logements d’ouvriers ruraux, de pousser outre mesure la division de l’habitation ; une maison de 36 mètres carrés de surface est souvent bien plus logeable qu’une autre de 45 mètres superficiels mal répartis. L’habitabilité d’une maison ne dépend pas uniquement de son étendue ou du nombre de ses pièces, mais bien des positions des baies d’ouverture et des séparations. - Avant tout, il faut pouvoir placer les meubles indispensables et avoir autour d’eux la place nécessaire pour pouvoir s’en servir ; il faut, par exemple, qu’on puisse ouvrir les portes d’une armoire sans les faire butter dans une partie fixe ou mobile de la construction.
Comme c’est le service, ou l’utilisation du logement, qui doit constituer la base de l’établissement de la construction, il y a lieu de placer les baies d’ouverture, portes et fenêtres, aux endroits qui conviennent le mieux par rapport à la pièce considérée, sans s’inquiéter comment elles figureront sur la façade ; cela nous conduit à étudier d’abord le plan, duquel on fera dériver l’élévation. La vue extérieure plus ou moins gracieuse d’une maison ne joue aucun rôle relativement à son habitabilité. Il ne s’agit donc pas ici de faire de la symétrie obligatoire, d’élever un monument, mais d’établir une œuvre utile, et cette dernière, même dissymétrique, n’est jamais laide, d’autant plus qu’il n’est pas difficile, ni coûteux, de lui donner un aspect agréable.
La planche coloriée, jointe à cet article, donne une vue générale en plan et en élévation de la maison d’habitation, dont nous aborderons, dans un prochain numéro, l’étude des détails ainsi que des locaux annexes.
Max RINGELMANN
Source : M. Ringelmann , «Habitations rurales à bon marché»,
Journal d'agriculture pratique, 1911, vol. 2, p. 16-18.