De Vienne, le 13 Fevrier 1689.
Le 8 de ce mois, Dulficar Effendi et Mauro Cordato Envoyez de la Porte, furent enfin conduits à l’audience de
l’Empereur
, par le sieur Meninski premier Interprete, dans vn des carosses de
sa Majesté Impériale
. Quelques compagnies de la garnison de cette ville marchoient à la teste. Environ soixante-dix Grecs alloient à cheval au tour du carrosse, devant lequel on menoit six chevaux de main. Lorsque ces Envoyez furent arrivez dans la premiere court du Palais, on les fit descendre : et ils traverserent la seconde à pied. Ils estoient precedez par le sieur Meninski accompagnez de deux Chaoux à pied et d’vn Officier Turc qui portoit les lettres de creance : et les principaux de leur suite venoient apres, deux à deux. Le reste demeura dans la court. Quand ils entrerent dans l’antichambre, Mauro Cordato et ceux qui avoient des bonnets se découvrirent : et ceux qui avoient des turbans demeurerent couverts et baiserent le bas du manteau de
l’Empereur
, qui leur donna audience debout : estant appuyé contre vne table. Dulficar Effendi fit vne profonde révérence : et apres avoir expliqué par vn discours, le sujet de leur commission, il presenta ses lettres de créance qu’il mit sur la table. Le Baron d’Herwart Conseiller Aulique répondit en peu de mots : et les Envoyez furent reconduits à leurs logis et traitez magnifiquement. Mais on remarqua qu’ils témoignerent à la sortie de l’audience, qu’ils n’estoient pas fort satisfaitsde la maniere dont ils avoient esté receus. Le soir, les Ministres de
l’Empereur
eurent conference avec ceux de Pologne et de Venise pour leur rendre compte de ce qui s’estoit passé à l’audience. Le lendemain, Dulfikar Effendi et Mauro-Cordato visiterent le
Comte de Staremberg
Vice-President du Conseil de guerre, à qui ils rendirent vne lettre du
Grand Vizir
. On examina leurs lettres de creance : et on entra pour la premiere fois, en conference avec eux. Dulficar Effendi dit d’abord que leur principale commission estoit d’informer
l’Empereur
de l’avenement du
Grand Seigneur
à l’Empire : et de la resolution qu’il avoit prise de venir la Campagne prochaine en Hongrie, pour commander ses armées en personne. Mais qu’il vouloit tâcher cependant, à rétablir l’ancienne intelligence et amitié qui avoit esté cy devant entre la Porte, et les Empereurs pere et ayeul de
Sa Majesté Impériale
, et chercher les moyens de terminer par vne paix honorable aux deux Empires, vne guerre qui coûtoit tant de sang. Les Ministres Impériaux répondirent aux Envoyez, que cette premiere conference n’estoit qu’afin de sçavoir s’ils avoient les pouvoirs necessaires pour traiter et conclure la paix : et on les pria de donner par écrit les propositions qu’ils avoient ordre de faire. Ils repliquerent qu’il estoit facile de connoistre par la lecture des lettres du
Grand Seigneur
et du
Grand Vizir
, quels estoient leurs pouvoirs : et ils consentirent que dans les conferences suivantes, la negociation se feroit par écrit. Les Ministres Impériaux ont depuis, pressé extraordinairement les Envoyez de Pologne et de Venise, de demander des pouvoirs plus amples, et ils leur ont declaré au nom de
Sa Majesté Impériale
, qu’avant qu’ils eussent reçeu ces pouvoirs, ils ne seroient pas admis aux conferences, à moins que les Envoyez Turcs ne fissent quelques propositions qui dussent leur estre communiquées. Le 10, il y eut conference chez le Chancelier de Boheme : et hier, vne autre à l’Hostel des Estats d’Austriche, où se trouverent les Ministres de Venise et de Pologne, nonobstant la declaration qui leur avoit esté faite le jour precedent. On ne sçait pas certainement ce qui s’y est traité : mais le brüit court que les Commissaires Impériaux firent lespropositions suivantes aux Envoyez. Que les Turcs payeront à
Sa Majesté Impériale
six millions pour les frais de la guerre, avec vn tribut annüel de deux millions : qu’ils restitüeront toutes les places et les anciennes dépendances du Royaume de Hongrie, avec vne autre somme pour dedommagement de la desolation générale de tous les endroits où passa l’armée Othomane en 1683 : qu
’ils mettront en liberté trois cents mille esclaves Chrestiens qui furent emmenez en esclavage
: qu’ils restitüeront Kaminietz aux Polonois, et leur payeront vne grande somme : et qu’ils rendront Candie à la Republique de Venise, et luy abandonneront toutes ses nouvelles conquestes. On ne dit pas la réponse que les Envoyez ont faite à ces propositions, et plusieurs croyent qu’ils n’en ont fait aucune, mais qu’au lieu de reponse ils ont aussi demandé la restitution d’vne partie de la Hongrie, entre autre de Belgrade, proposant neanmoins, de donner en échange le Grand Waradin ou Canischa : et que la Save fasse la séparation des deux Empires. Ainsi on ne peut encore juger quel sera le succez de la negociation. D’ailleurs, les Ministres de Pologne et de Venise et celuy des Czars de Moscovie qui arriva le 9 de ce mois, tâchent de porter
l’Empereur
à continuer la guerre contre les Infideles, dont le succez est presque certain, au lieu que celle qu’on pretend faire contre la France paroist fort perilleuse. Cependant, le brüit court que
Sa Majesté Impériale
a signé vn nouveau traité contre cette Couronne, avec
le Prince d’Orange
et les Hollandois. Les dernieres lettres de Belgrade confirment que les Turcs assemblent des troupes à Sophie et pres de Nissa. Le Comte de Hoffkirck observe leurs démarches avec vn détachement de quatre à cinq mille Allemans et Hongrois : et il a occupé plusieurs postes avantageux pour se garantir de toute surprise. Le Comte Veterani a envoyé icy vn resultat de l’assemblée des Estats de Transylvanie, par lequel ils s’engagent à payer ce qu’ils ont promis de fournir en argent comptant, ou en especes, pour les troupes Impériales qui y sont en quartier.
Le Prince
et les Estats de Transylvanie sont aussi convenus de joindre dix mille hommes de milices aux troupes reglées qui doivent y demeurer la Campagne prochaine, afin de défendre le pays contre l’invasion desTurcs, des Tartares, et du
Comte Thékéli
. L’ordre a esté envoyé en Hongrie, d’en faire incessamment partit encore cinq régimens Allemans de cavalerie, et toutes les troupes que le Baron Heusler et les Comtes Palfi et Czabor sont convenus de mettre sur pied, pour se trouver à la fin de Mars vers le Rhin, et se joindre aux autres régimens Imperiaux qui y sont en quartier.