De Vienne, le 22 May 1689.
Ces jours passez, le brüit se repandit icy, que les Envoyez de Moscovie et l’Ambassadeur Extraordinaire de Pologne avoient receu des lettres qui portoient que les Turcs estoient fort deconcertez de se voir privez du secours considerable qu’ils attendoient des Tartares, parl’irruption que les Moscovites devoient faire dans la Krimée. Il couroit aussi des avis de quelques nouveaux soulevements dans l’Empire Othoman, qui retardoient la marche des troupes d’Asie arrivées depuis peu aux environs d’Andrinople. Mais on a receu des lettres de la Servie et d’autres endroits, qui confirment que les Infideles s’assembloient en tres grand nombre pres de Sophie, où est leur rendez-vous general : que le Seraskier avoit joint
le Comte Thékéli
à Widin, avec vne partie des troupes Othomanes : et que
le Grand Vizir
estoit attendu de jour à autre, entre Nissa et Sophie, avec vne puissante armée et vne nombreuse artillerie, à dessein d’attaquer Belgrade. Le Comte de Hoffkirck a mandé que sur ces avis, il avoit abandonné tous les postes qu’il avoit fait occuper par ses troupes le long de la riviere de Morava : et qu’il estoit revenu promtement à Semendria pour conserver cette place. On a sceu par les mesmes lettres, que
le Comte Thékéli
apres la jonction du Seraskier, avoit passé le Danube et attaqué le Chasteau de Clodova, qui est vn passage fort important pour le secours de Temeswar : mais que les Alemans et les Rasciens qui y sont en garnison l’avoient repoussé deux fois et obligé à se retirer, ayant esté blessé : de quoy on attend plus de certitude. Les Ministres Impériaux depuis ces nouvelles, font continüer avec vne diligence extraordinaire, les preparatifs de guerre necessaires pour mettre l’armée de Hongrie en estat de resister aux Turcs, et mesme de les combatre s’ils se presentent en campagne, ou s’ils s’attachent à quelque siege. Les regiments Impériaux et les autres troupes qui doivent composer cette armée, marchent incessamment vers Belgrade : et on y envoye tous les jours par le Danube, de l’artillerie, des munitions et des vivres. On fait aussi mettre sur des bateaux comme aux Campagnes precedentes, vn grand nombre de fours pour cüire du pain de munition.
Le Comte Esterhasi
Palatin de Hongrie arriva le 15 de ce mois, à Bude : et il en partit pour aller à Albe-Royale et faire la visite des places conquises. Tous les officiers de l’armée de Hongrie qui estoient encore icy, sont partis.
Le Prince Loüis de Bade
ne par--tira qu’à la fin de la semaine prochaine, attendant que tous les régiments soient assemblez. Le 14 de ce mois, les Commissaires Impériaux eurent vne conference avec les Ambassadeurs de Pologne et de Venise : où il fut resolu que les Envoyez de la Porte seroient retenus icy, jusqu’à la fin de la Campagne, et gardez exactement dans vne maison particuliere. Cette resolution doit leur estre donnée par écrit au premier jour : et on leur declarera qu’il a esté jugé à propos d’en vser ainsi à cause que le Comte Albert
Caprara
Internonce de
l’Empereur
fut retenu de la mesme maniere à Constantinople, avant la declaration de la guerre. L’Ambassadeur de Pologne a depuis, demandé avec de pressantes instances, que
l’Empereur
luy donne des Commissaires pour écouter les propositions dont il est chargé. Les Envoyez de Moscovie desiroient avoir vne conference particuliere avec ceux de la Porte : mais il n’a pas esté jugé à propos de la leur accorder parce qu’on en a quelque défiance, sur ce que le Baron Patz a mandé que des Envoyez de Walaquie qui revenoient de Moscovie ayant esté arrestez par son ordre, s’estoient trouvez chargez de lettres des Czars, du Patriarche et du Généralissime des armées Moscovites, par lesquelles on découvroit qu’ils avoient des intelligences avec le Hospodar de Walaquie, au préjudice des interests de
l’Empereur
. Il a envoyé les lettres au Comte Veterani : et il a retenu les Envoyez qu’il fait garder étroitement jusqu’à ce qu’il ait reçeu les ordres de
Sa Majesté Impériale
sur ce sujet. Le Hospodar depuis qu’il a conclu son traité avec les Turcs, a fait arrester la veuve et saisir tous les biens de son predecesseur. Le Comte de Wallenstein se prepare à partir pour aller en Espagne, en qualité d’Envoyé Extraordinaire.