De Vienne, le 12 Iuin 1689.
Plusieurs couriers arrivez la semaine derniere de Belgrade et de la Servie, ont rapporté que les Turcs estoient assemblez à Nissa, au nombre de soixante mille hommes. Il y avoit dans leur armée vingt-quatre mille Tartares : et on jugeoit par leur marche, qu’ils avoient dessein d’assieger Belgrade. L’Envoyé du Hospodar de Walaquie a receu des lettres de Bugaresta du 24 du mois dernier, qui contiennent les nouvelles suivantes. Les Turcs constrüisoient sur le Danube à Kussiotz, vn pont qui n’avoit pû estre achevé à cause du debordement des rivieres, mais dont les preparatifs estoient fort avancez.
Le Comte Thékéli
à son retour de Sophie, où il estoit allé conferer avec
le Grand Vizir
, avoit attaqué les Rasciens soûmis à
l’Empereur
, et
fait piller et brûler la ville de Grolia et plusieurs villages
: ensuite de quoy il estoit revenu à Widin, avec vngrand nombre de prisonniers et vn butin considerable. Il avoit dessein de retourner delà, attaquer le Château de Clodoüa, pour s’ouvrir par ce moyen le passage en Transylvanie. Le Kan des Tartares estoit alors, encore à Kilia : et ses troupes estoient prestes à marcher au devant des Moscovites. Le Sultan Galga avoit passé le Nieper : mais on fait courir le brüit que le Sultan Noradin avoit receu ordre de revenir dans le Budziac. Vn courier qui vient d’arriver de Belgrade a rapporté que l’armée Othomane estoit arrivée au bord de la Morava, à dessein d’y construire vn pont : mais que le Comte de Hoffkirck avoit posté des gardes par tout et fait occuper les avenuës en deça de la riviere : et que toutes les troupes marchoient de ce costé là, pour disputer le passage aux ennemis. On attendoit
le Prince Loüis de Bade
à Belgrade, le lendemain du départ de ce courier. Les regiments de cavalerie et d’infanterie destinez pour son armée y arrivoient tous les jours. Le Comte Veterani devoit s’y rendre avec ceux qu’il amenoit de Transylvanie : et on croyoit qu’ensuite on marcheroit au devant de l’armée Othomane pour la combattre avant qu’elle fust augmentée par la jonction des troupes qui y arrivent de jour à autre. Ces jours passez, on amena icy quatorze Incendiaires que la Regence de Baviere et
l’Evesque de Passau
ont envoyez, pour les faire interroger.
Le Prince Charles de Lorraine
la mandé de Francfort, que dans le conseil de guerre tenu avec
l’Electeur de Saxe
et d’autres Princes et Officiers generaux, il avoit esté resolu d’attaquer les redoutes que les François occupoient encore en deçà du Rhin : pendant que
l’Electeur de Baviere
agiroit du costé de l’Alsace, et que les troupes de Hollande, de Brandebourg et de Lunebourg agiroient sur le Bas Rhin et sur la Meuse. Mais il ne paroist pas que la Cour Imperiale compte beaucoup sur ces projets, dont les Generaux marquent eux-mesmes que le succez est fort douteux. Vn courier dépesché par le Baron de Landsée, est venu donner avis, que nonobstant les efforts que les Ministres des Alliez ont fait aupres des Cantons Süisses pour les obliger à accorder aux Allemans le passage sur leursterres, ils estoient tousjours resolus de s’opposer à toutes les troupes étrangeres qui voudroient tenter de passer par force. Ainsi, les Ministres de
l’Empereur
ont esté reduits à prendre d’autres mesures : et ils ont renvoyé le courier au Baron de Landsée avec ordre de declarer aux Cantons que
l’Empereur
et l’Empire ne consentiront jamais à aucune neutralité. Mais il ne paroist pas que les Cantons qui s’attendent à cette declaration en soient fort alarmez. Le Comte Czabor a receu ordre de marcher avec deux mille Hussars pour joindre l’armée du
Prince Charles de Lorraine
: et ces troupes doivent passer au premier jour, en Boheme, et delà continüer leur route vers Ratisbonne. Sur le brüit de leur marche, les peuples de la campagne abandonnent leurs maisons et se retirent avec leurs meilleurs effets. On travaille icy à deux ponts volants qui seront achevez cette semaine, et condüits par le Danube vers Belgrade. Les Envoyez Turcs seront menez au premier jour, dans vne des places de Hongrie : où ils doivent estre gardez. L’Ambassadeur de Pologne a reïteré ses instances pour avoir la réponse aux propositions qu’il a faites. On luy a declaré par écrit, que
l’Empereur
ne pouvoit renoncer aux pretentions de souveraineté qu’il a sur la Walaquie comme vne ancienne dépendance du Royaume de Hongrie : et on ne luy a répondu qu’en termes generaux sur les autres articles. Ainsi il se dispose à partir incessamment. Le 17 de ce mois, le Roy de Hongrie revint icy, de Laxembourg : et le 18,
l’Empereur
et
l’Imperatrice
en arriverent aussi avec toute la Cour, pour assister le 9 à la Procession du saint Sacrement et aux réjoüissances du jour de la naissance de Sa Majesté Impériale qui entroit en sa cinquantiéme année.