De Vienne, le 13 Novembre 1689.
Selon les lettres de Bulgarie, du 18 du mois dernier, le Comte Picolomini avoit laissé dans Nissa, vn bataillon du regiment de Strasser et trois de Heiduques : et détaché le
Duc de Holstein
avec environ mille chevaux ou dragons, pour aller du costé de Lescowa, et tâcher de s’assurer de ce passage, qui est le seul par où les Turcs pourroient entrer dans la Bossine. Ensuite, il estoit allé le mesme jour 18 à Precop, avec le reste de son petit corps de troupes : et il devoit continüer sa marche le lendemain vers Scopia, à dessein de se rendre aussi maistre de cette place, l’vne des plus grandes de Bulgarie. Hier, vn courier arriva de l’armée, et apporta des lettres du
Prince Loüis de Bade
, du 30 du mois dernier, qui contenoient les particularitez suivantes. Le 19, en execution des articles accordez à la garnison de Widin, environ deux mille cinq cents hommes capables de porter les armes, sortirent du chasteau avec vn grand nombre de femmes et d’enfans : et on leur donna deux cents chariots et vne escorte de cent chevaux pour les condüire à Nicopoli. Cinq compagnies du régiment de Thingen entrerent en garnison dans la place, sous les ordres du Major du regiment de Lessey. Le Comte de Schlick Lieutenant Colonel du regiment de Saxe-Lawembourg, fut envoyé vers le Hospodar et les Estats de Walaquie, pour leur faire quelques propositions touchant les quartiers d’hyver : et des Deputez venus de leur part s’en retournerent avec luy. Le 20,
le Prince Loüis de Bade
marcha vers Fetislau et campa à demi-lieuë de Florentin.Le 21, il passa la riviere de Tinock pres de Rabitnick. Le 22 et le 23, il sejourna à Prahiczi. Le 24, il campa dans les montagnes. Le 25, la cavalerie arriva à Fetislau et le lendemain elle y fut jointe par l’infanterie, l’artillerie et les bagages. Les troupes y receurent du pain, de l’avoine et des fourrages qui arriverent par le Danube. Le 27, on commença de travailler à reparer les fortifications du chasteau qui avoient esté rüinées par les Turcs. Le mesme jour, le Comte de Schlick revint avec les Deputez de Walaquie. Le 28, ils furent renvoyez avec des lettres, par lesquelles
le Prince Loüis de Bade
expliquoit plus amplement ses intentions touchant les quartiers d’hyver, sur lesquelles les Walaques formoient plusieurs difficultez. Le 29, on eut avis au camp, que quarante mille Tartares avoient passé le Danube à Nicopoli : et qu’ils marchoient vers Widin, pour chercher l’armée Impériale. Vn Capitaine de dragons fut aussitost commandé pour aller de ce costé là, en apprendre des nouvelles plus certaines. En mesme temps, on dépescha des couriers pour porter ordre aux troupes et aux milices de Transylvanie, de se tenir prestes à s’opposer aux Walaques en cas qu’ils témoignassent vouloir favoriser les Tartares. Le mesme jour, vn courier apporta au camp, des lettres du Comte Picolomini, par lesquelles il mandoit au
Prince Loüis de Bade
, qu’il s’estoit emparé de Cosowa : et qu’il avoit besoin d’vn renfort de troupes pour le conserver, et pour executer le dessein qu’il avoit de s’avancer vers Scopia : qu’il s’estoit aussi saisi de quelques passages avantageux vers la Bossine et le païs d’Ertzegovina : que beaucoup d’Albanois et d’autres peuples se seroient mis sous la protection de
l’Empereur
, si Mahomet Bacha ne leur avoit fait esperer de venir à leur secours, avec vn corps considerable de troupes.
Le Prince Loüis de Bade
resolut sur cet avis, de détacher les regiments de Serau, de Croy et de Hannover : et de les faire partir le 31, sous les ordres du Prince
Charles de Hannover
, pour aller joindre le Comte Picolomini. Le mesme jour, on apprit de Nissa, que quatre cents Tartares avoient fait vne course jusqu’à Piro : mais que la garnisonestant sortie sur eux, les avoit mis en füite apres en avoir tüé vingt et fait deux prisonniers, qui dirent que le Seraskier Arab Bacha avoit esté étranglé, et declarerent plusieurs particularitez des affaires de la Porte. Les dernieres lettres marquent que
le Prince Loüis de Bade
avoit donné vn delay de six jours au Hospodar et aux Estats de Walaquie pour prendre leurs dernieres resolutions sur les quartiers d’hyver : et qu’en cas qu’ils refusassent de les donner, l’armée marcheroit de ce costé là, pour les prendre par force : que cependant, on travailloit à vn pont de bateaux, afin de faire passer vne partie de la cavalerie de l’autre costé du Danube, pour la commodité des fourrages dont elle commençoit à manquer. On n’a rien appris par les dernieres nouvelles, touchant la marche des quarante mille Tartares. Les Envoyez de la Porte ne peuvent croire le grand succez des armes Impériales en Hongrie : et cependant ils demandent avec de pressantes instances, que les Commissaires de
l’Empereur
renoüent les conferences avec eux, ou qu’on leur permette de se retirer. Mais ils ne témoignent point avoir de pouvoirs absolus pour conclure la paix à quelques conditions qui puissent leur estre proposées, comme on l’avoit d’abord cru, au retour du courier qu’ils avoient dépesché au
Grand Vizir
. La Cour Impériale ne reviendra icy, qu’au mois de Ianvier.