De Passau, le 4 Aoust 1683.
Les derniéres lettres venües de Vienne asseurent que les Turcs n’avoient encore emporté ni la Contrescarpe ni aucun ouvrage, parce que jusqu’alors, quoy qu’ils eussent attaqué la place avec beaucoup de force, ils n’avoient pas néantmoins fait leurs travaux, ni leurs attaques dans les formes. Leur principale attaque, qui est du côté du Danube, estoit encore à quarante pas de la Contrescarpe : et depuis le 24 du mois dernier, ils avoient beaucoup moins tiré qu’à l’ordinaire. On asseure mesme qu’ils ont esté obligez de se retirer à vne lieuë et demie de la ville, à cause de
l’infection qui a esté causée dans leur camp par les cadavres de plus de dix mille hommes
qu’ils ont perdus depuis le commencement du siége, avec vn tres-grand nombre de chevaux. On ajoûte qu’ayant ouvert la terre pour faire des chemins couverts auxendroits où on avoit enterré ceux qui moururent de la derniére
peste
, leur camp avoit esté infecté de la püanteur qui en est sortie, et que quantité de ces Infidéles en estoient morts. On asseure qu’ils souffroient, outre cela, quelque
disette
de vivres et de fourrages : mais que le
Grand
Visir
ne pouvant estre rebuté par les difficultez qu’il trouvoit dans son entreprise, estoit résolu de tout hazarder pour en avoir le succez qu’il s’est proposé : qu’ainsi, il faisoit dresser six nouvelles bateries, et travailler à des mines pour emporter la place par force : et qu’il en avoit promis le pillage aux Troupes, afin de les animer. Le
Comte de Staremberg
Gouverneur de Vienne, se défend toûjours vigoureusement : et il promet de continüer cette défense encore plus de deux mois. Cependant, il demande avec des instances fort pressantes, vn prompt secours des Troupes Auxiliaires, pour estre en état de résister au nombre prodigieux de celles des Infidéles, qui en attendent encore d’Asie, et vingt mille Janissaires. Un Gentilhomme arrivé de Pologne le 27 du mois dernier, a rapporté à l’
Empereur
que le
Roy
seroit au 15 de ce mois, en marche du côté de Vienne, avec toutes ses Troupes. L’
Electeur de Saxe
partit de Dresde le deux de ce mois, avec dix mille hommes et vne Artillerie, pour venir au secours de
Sa Majesté Impériale
. Le
Comte de Lamberg
son Envoyé Extraordinaire vers les Princes de la Basse Saxe et vers l’
Electeur de Brandebourg
, a écrit que Son
Altesse Electorale
accorderoit vn secours de treize mille hommes avec vingt-quatre piéces de canon, aussi-tost que la Paix auroit esté concluë avec la France, selon la conclusion du Collége Electoral. Le 26 et le 27 du mois dernier, neuf mille hommes des Troupes de l’
Electeur de Baviére
arrivérent icy. Son
Altesse Electorale
fit la revûë de ces Troupes en présence de l’
Empereur
: et on les joignit aux Régimens de Leslé, de Neubourg et de Taff, qui sont venus de la Basse Austriche. On fit aussi en mesme temps, embarquer l’Infanterie sur le Danube : et la Cavalerie a ordre de se rendre aupres de Lintz par terre, pour aller renforcer l’Armée Impériale, qui est campée et qui se rafraîchit à Emsheim. On attend encore cette semaine, vn Détachement de six mille hommes des Cercles de de Franconie et du Haut Rhin : et on attend aussi à la fin du mois d’Aoust, six mille hommes du Cercle de Süabe, dont sont composez deux Régiments de cavalerie et deux d’infanterie qui doivent se rendre à Vlm le 24. Le Duc de Wirtemberg fait marcher mille fantassins et deux Compagnies de Cüirassiers qu’il est obligé de fournir pour son Contingent : et avec ces troupes Auxiliaires, l’
Empereur
espére avoir à la fin de ce mois, vn corps assez fort pour tenter le secours de Vienne. Le Comte Thékéli fait vn dégast extraordinaire sur les Frontiéres de Silésie. Le Comte Budiani qui commandoit les troupes Hongroises sous les ordres du
Comte Esterhasi
Palatin du Royaume de Hongrie, s’est jetté dans le parti du Comte Thékéli : et il fait des courses et de grands ravages dans la Stirie. Mais les Croates ont donné de nouvelles asseurances de demeurer fidéles à l’
Empereur
et de joindre dix huit mille hommes aux troupes Polonoises. On confirme que le Général Dunewaldt et le Comte Taff ont battu vn parti de six mille Tartares. Il y a des lettres qui portent que trois Bachas ont esté tüez au siége : et que plus de dix sept cens Turcs sont morts dans leur camp de la la dysenterie, pour avoir mangé du früit avec excez à faute d’autre nourriture : que les Tartares désertent beaucoup : et que les
déserteurs volent et pillent
par tout où ils passent en se retirant : ce qui oblige les habitans du plat pays à s’attrouper pour leur donner la chasse. On a écrit du camp de l’armée Impériale, que le
Prince Charles de Lorraine
a fait entrer des troupes dans la ville de Presbourg, qui avoit ouvert il y a quelque temps ses portes au Comte Thékéli : et qu’il avoit fait aussi entrer deux cens hommes avec des munitions dans le Chasteau. On ajoûte que les Mécontents et les Turcs s’estant mis en bataille à vn quart de lieüe de la ville, les Impériaux les ont chargez
et mis en füite avec perte de sept cens hommes tüez, de quarante prisonniers, et de plusieurs chariots de bagage. Qu’ensüite, il avoit fait rompre le pont de bâteaux que les Infidéles préparoient sur le Danube prés de Presbourg : mais nous attendons la confirmation de ces nouvelles. Le Prince d’Anspach arriva le 1r de ce mois, en cette ville.