De Vienne, le 15 Mars 1683.
L’
Empereur
a reçeu depuis deux ou trois jours, vne nouvelledépesche du Comte Albert
Caprara
son Envoyé Extraordinaire à la Porte. Elle contient qu’il a eu quelques conférences avec l’Aga des Ianissaires : qu’il luy avoit demandé de la part du
Grand Seigneur
, si on estoit résolu ici de céder à
Sa Hautesse
les Isles de Schut, de Raab et de Sérin, avec les Forteresses de Comorre, de Raab et d’vne autre place : et qu’il l’avoit asseuré que ce n’estoit qu’à cette condition qu’on pourroit accorder à Sa
Majesté Impériale
la prolongation de la Tréve : que le Comte Albert
Caprara
ayant répondu qu’il n’avoit aucun pouvoir pour accorder des demandes si extraordinaires, l’Aga luy avoit repliqué que le
Sultan
son Maistre estoit assez puissant pour obtenir par les armes tout ce qu’il demandoit : et qu’aussitost, le
Grand Visir
avoit fait exposer le signal de la guerre. Les mesmes Lettres portent que les Turcs se préparoient à se mettre en campagne le 18 d’Avril, pour agir en plusieurs endroits en mesme temps : et, conjointement avec les Troupes du
Comte Thékéli
, des Princes de Transilvanie, de Moldavie et de Walachie, se saisir d’abord des Provinces et des Places frontiéres : qu’à cette fin, le
Grand Visir
avoit ordonné à l’Aga des Ianissaires de marcher le 25 de ce mois, vers Belgrade avec l’avant garde de l’armée Otomane : et que le
Grand Seigneur
et ce
Premier Ministre
devoient suivre en personne avec le gros de cette armée, qui selon le brüit public, sera de plus de cent cinquante mille hommes. On a sçeu d’ailleurs, que le
Grand Visir
faisoit depuis quelque temps, garder si étroitement le Comte Albert
Caprara
et le Résident de l’Empereur, qu’ils n’avoient pas la liberté de sortir de leurs maisons, et d’avoir aucune communication avec personne. On a aussi appris que les Turcs continüant leurs préparatifs extraordinaires, font encore équiper cent dix bateaux à Belgrade et à Esseck, et cinquante à Bude. On a sçeu par des lettres de cette derniére place, du 27 Fevrier, que le Bacha y avoit tenu vn grand Conseil de guerre avec les plus anciens Officiers des places frontiéres : et que tous les Bachas voisins s’y devoient trouver le 15 d’Avril. Le 10 de ce mois, on eut avis de Hongrie, que les Infidéles, au nombre de deux mille avoyent surpris vn Quartier de Dragons : qu’ils en avoient tüé quarante et fait plusieurs prisonniers. Le sieur Hoffman Auditeur Général de guerre, qui estoit allé vers le
Comte Thékéli
, est revenu depuis huit jours. Il a rapporté qu’il n’y avoit aucune apparence que l’
Empereur
pust rien obtenir de la Porte, par son entremise, ny que Sa
Majesté Impériale
pust espérer de conclure aucun accommodement avec luy, puis qu’il estoit obligé d’exécuter les ordres qu’il a reçeus du
Grand Seigneur
. On mande aussi de la Haute Hongrie, que le
Comte Thékéli
a fait publier qu’il se mettra en campagne le 15 May avec vne puissante armée. Ces nouvelles obligent les Ministres de l’
Empereur
à redoubler leurs soins pour mettre les choses en état de soûtenir vne aussi rude guerre que celle qui nous est déclarée par de si puissans et si redoutables ennemis. On fait presser autant qu’il est possible la montre des Régimens qui ont ordre de marcher, pour avoir en Hongrie, dans le mois d’Avril, vne armée considérable sur pied, en attendant l’arrivée des Troupes auxiliaires que l’
Empereur
a envoyé demander à plusieurs Princes. La reveuë générale des Troupes destinées pour la Hongrie, est toûjours fixée au 28 de ce mois. L’
Empereur
y assistera : et ensuite, il se déterminera sur le chois du lieu où il séjournera pendant la Campagne. Le Comte de Hohenloë se dispose à partir pour se rendre à Nuremberg : où il va de la part de l’
Empereur
, pour assister à l’Assemblée des Estats de Franconie et du Haut Rhin. Le sieur Stratman a reçeu ordre de partir incessamment pour se rendre à Ratisbone, avec les nouvelles instructions dont il est chargé.