De Vienne le 6 Fevrier 1689.
Les troupes Impériales sont entrées dans Sighet. Les habitans Turcs s’y sont trouvez encore au nombre de six mille personnes : et il y avoit environ huit cents hommes capa--bles de porter les armes. Ils ont tous esté desarmez et logez dans les fauxbourgs en attendant le degel, apres lequel ils doivent estre embarquez et conduits sur la frontiere, suivant les articles de la capitulation qui leur a esté accordée. On a trouvé dans la place quatre-vingt-cinq pieces de canon de toutes grandeurs. Les dernieres lettres de Belgrade portent que
le Comte Thékéli
avoit paru vers Nissa, avec vn corps de neuf à dix mille Turcs : qu’il avoit envoyé vn grand détachement pour tâcher de surprendre les troupes Impériales : et qu’apres vne assez rude escarmouche, il s’estoit retiré ayant eu de son costé, environ cent hommes tüez, blessez ou faits prisonniers. Les Officiers Impériaux qui sont en Transylvanie et dans la Haute Hongrie, font quelques preparatifs pour la Campagne prochaine, afin de n’estre pas surpris ou prevenus par les Infideles, en cas que la paix ne puisse estre concluë dans ce temps là, avec leurs Envoyez. On croid que ces preparatifs sont destinez pour faire le siege de Temeswar, dont
la garnison quoy que foible et dans vne extreme disette de vivres
, incommode tousjours beaucoup celle de Lippa. Les difficultez touchant le cérémonial qui retardent depuis plus de trois semaines, l’audience que
l’Empereur
devoit donner aux Envoyez de la Porte, sont presque entierement terminées à leur satisfaction. Mais celles qui sont survenuës avec les Ministres de Pologne et de Venise ne sont pas encore en terme d’accommodement. Ils ont dépesché des couriers en Pologne et à Venise, pour rendre compte des pretentions de cette Cour : et pour demander des pouvoirs plus amples, afin non seulement d’écouter les propositions des Envoyez de la Porte : mais encore de traiter la paix et de la conclure conjointement avec les Ministres de
l’Empereur
. Les Comtes de Kinski, de Stratman, de Staremberg et Caraffa ont eu vne conference avec ces deux Ministres : et ils les ont informez de la resolution qui avoit esté prise de satisfaire les Envoyez sur les principaux points du cérémonial, qui avoient esté en contestation : et qu’ils devoient avoir audience le 8 de ce mois. Ils ont demandé permission de venir icy dans les fauxbourgs, deux jours auparavant, afin de pouvoir faire les preparatifs necessai--res pour leur entrée : ce qui leur a esté accordé. Ainsi, ils arriverent hier au soir, et logerent dans vne hostellerie.
L’Empereur
a refusé absolument d’accepter la mediation des Estats Generaux des Provinces Vnies, pour la negociation de cette paix. Le sieur Hop leur Envoyé Extraordinaire est parti pour aller à Berlin trouver
l’Electeur de Brandebourg
: et on croid qu’il reviendra dans trois semaines.
Le Clergé a declaré qu’il ne pouvoit payer les taxes extraordinaires qu’on luy demande pour subvenir aux dépenses d’vne guerre qui ne peut estre avantageuse qu’aux hérétiques
: et plusieurs ont proposé d’envoyer vne Deputation au Pape pour en faire des plaintes. La Chambre des Finances a esté occupée la semaine derniere, à distribüer aux Officiers vne partie de l’argent necessaire pour la levée des nouveaux régiments Hongrois et Allemans. On promet aux Colonels des vieux corps, d’achever de leur payer cette semaine, celuy dont ils ont besoin pour les recruës en cas qu’il se trouve des deniers dans la caisse militaire pour cette dépense.
L’Empereur
n’a pas encore declaré celuy qui aura le commandement en chef de ses armées sur le Rhin : et
l’Electeur de Baviere
,
l’Electeur de Saxe
, et
le Prince Charles de Lorraine
y pretendent également. Le Decret qui avoit esté publié pour faire sortir des Provinces Hereditaires, tous les François qui y sont établis depuis douze ans, n’a point encore esté executé.