De Vienne, le 20 Mars 1689.
Vn courier qui arriva il y a quelques jours de Belgrade, confirma encore, qu’vn grand corps de Tartares s’avançoit de ce costé là, pour se joindre aux troupes du
Comte Thékéli
, et entrer en Transylvanie. Cet avis a obligé la Cour Impériale à prendre de nouvelles mesures pour la Campagne prochaine : et à reïterer les ordres qui avoient esté envoyez pour faire retourner en Hongrie, tous les régiments qui estoient en marche vers le Rhin. Le mesme courier rapporta qu’vn grand nombre des habitans de laServie en estoient sortis, parce que des troupes Turques et
des milices Albanoises s’estant avancées jusqu’à Nissa par ordre de Yeghen Bacha, avoient fait des courses dans le pays et mis le feu en plusieurs endroits.
On eut aussi avis de la Bossine que dix mille Turcs continüoient à serrer de si prés Zwornick, qui est vn poste fort important : qu’il estoit impossible que le Comte Picolomini y arrivât assez à temps pour y jetter du secours, à cause que les neiges et les pluyes avoient rendu les chemins tres-difficiles. Le brüit court que le Sultan Noradin a esté nommé pour commander l’armée Othomane en Hongrie, durant la Campagne prochaine. Le Comte Emanüel de Furstemberg estant arrivé icy le 17 de ce mois de Belgrade, rapporta encore que les Turcs s’assembloient en tres-grand nombre entre Nissa et Sophie : et qu’ils faisoient des magasins et d’autres preparatifs de guerre considerables dans la Servie : que huit mille hommes de leurs troupes avoient surpris Zwornick, fait main basse sur les habitans, et reduit la garnison Impériale à se sauver dans le Chasteau où elle se défendoit encore : mais sans apparence qu’elle pût estre secouruë. Les Officiers generaux ont mandé que si
l’Empereur
ne faisoit marcher vne armée vers Belgrade, pour s’opposer aux Turcs, aux Tartares et au
Comte Thékéli
, il y avoit sujet d’apprehender qu’ils ne se rendissent maistres de Semendria et des autres places conquises les plus avancées sur la frontiere. On a envoyé ordre aux Officiers qui commandent de ce costé-là, de se mettre en estat avec toute la diligence possible, de s’opposer aux entreprises des Turcs, de crainte qu’ils ne surprennent les troupes Impériales dans leurs quartiers, tandis que
le Comte Thékéli
avec les Tartares qui l’ont joint, entreroit dans la Transylvanie et dans la Hongrie. Le Comte
Caprara
et le Duc de Croy qui doivent servir en Hongrie, ne veulent point partir que les magasins des vivres et les fonds necessaires pour la subsistance de l’armée ne soient prests : ce qui paroit fort difficile à cause des dépenses extraordinaires qui se font pour la guerre contre la France. L’armée du Rhin ne pourra pas estre si nombreuse qu’on l’avoit esperé, parce que plusieursrégiments de ceux qui s’avançoient vers le Rhin, ont esté encore contremandez sur l’avis de l’approche du
Comte Thekeli
et des Tartares vers la Transylvanie.
L’Empereur
a fait de nouveaux Maréchaux de Camp Generaux : qui sont le
Comte Maximilien de Staremberg
cy devant Gouverneur de Philisbourg, le Comte de Mansfeldt Ambassadeur en Espagne, et le Comte Scherini qui commande les troupes de Baviere. Le Comte de Souches a esté fait General d’Artillerie. Le Prince Montecuculi et les Comtes Wallis et de Lodron seront Lieutenants Generaux. Le Comte Cavriani a obtenu le régiment de Croates du Comte de Lodron. Deux Deputez de Transylvanie viennent d’arriver sans qu’on sçache encore à quelle occasion. Le brüit court qu’ils ont rapporté que
la disette estoit si grande dans Temeswar
que sans le secours qu’on y attendoit du
Comte Thekeli
, la garnison seroit bientost obligée à capituler. Le succez des negociations de paix avec les Envoyez de la Porte est tousjours fort incertain. Le 12 de ce mois, les Ministres Impériaux eurent avec eux, vne conference chez le Comte de Kinski Chancelier de Boheme : et ils leur declarerent par écrit, que
l’Empereur
persistoit à demander outre la cession de toutes les places conquises, celle du reste de la Hongrie avec ses anciennes dépendances, et à vouloir conserver la protection de la Transylvanie et de la Walaquie. Les Envoyez dirent seulement qu’ils répondroient aussi par écrit à cette declaration. Le 18, il y eut vne autre conference à l’Hostel des Estats d’Austriche : où ils donnerent cette reponse : qu’ils ne pouvoient accorder que les places conquises, sans exceder leurs instructions et leurs pouvoirs : et que si on vouloit leur en donner permission ils depescheroient vn courier à Andrinople pour sçavoir les intentions du
Grand Seigneur
sur les autres propositions qui leur estoient faites. On dit que l’Ambassadeur et les autres Ministres de la Republique de Venise, quoy qu’ils ayent les pouvoirs necessaires, n’entreront en aucune conference avec ces Envoyez avant que leur negociation soit terminée avec les Ministres Impériaux. Le Baron Radzinski Envoyé Extraordinaire de Pologne a declaré qu’il ne vouloitassister aux conferences qu’apres l’arrivée du Palatin de Pomeranie Ambassadeur Extraordinaire de la mesme Couronne. Il a neanmoins, fait sçavoir son arrivée aux Envoyez du
Grand Seigneur
: et il a eu audience de
l’Empereur
. La Chambre des Comptes a destiné quatre mille florins par mois, pour la dépense des Envoyez Turcs. Cependant,
l’Empereur
voyant le peu d’empressement de la Pologne et de la Republique de Venise à traiter la paix, et les difficultez qui empeschent la conclusion, paroist resolu à continüer la guerre en Hongrie, encore cette année. Le Comte de Wallenstein Chambellan du Roy de Hongrie est nommé pour aller à Madrid, faire les compliments sur la mort de
la Reyne d’Espagne
: et on dit qu’il est chargé de proposer le mariage d’vne Princesse Palatine. Hier, on célébra le jour de la naissance du Roy de Hongrie : et demain, la Cour prendra le deüil pour
la Reyne d’Espagne
.
L’Electeur de Baviere
est entierement guéri.
Le Prince Charles de Lorraine
est attendu dans peu de jours : et lors qu’il sera arrivé on tiendra vn conseil de guerre, où les dernieres resolutions seront prises sur les conjonctures presentes.