De Vienne, le 15 May 1689.
On aprit la semaine derniere, par des lettres de Belgrade et d’autres endroits, que les Turcs estoient déja assemblez à Nissa au nombre de trente mille, sous les ordres du Seraskier : et que
le Grand Vizir
devoit les joindre avec cinquante mille hommes.
Le Comte Thékéli
estoit partide Widin pour aller à Sophie, où est le rendez-vous general de l’armée Othomane. On a depuis sçeu par des lettres d’Andrinople, que
le Grand Seigneur
avoit fait camper pres de cette ville là, les troupes avec lesquelles il avoit resolu de marcher en personne vers la Hongrie, aussi tost qu’il auroit esté joint par celles d’Asie : et que Haly Bacha avoit cependant, esté commandé pour amener quelques détachemens au Seraskier et au
Comte Thékéli
, afin qu’il pût faire entrer du secours dans Temeswar. Les mesmes lettres portent qu’vn officier parent de Yeghen Bacha avoit rassemble quelques rebelles qui couroient la campagne : mais cet avis est fort incertain, et il ne paroissoit pas qu’on en craignît les suites. Le Comte Ziacchi qui avoit esté envoyé en Walaquie pour quelque negociation, a mandé que le Hospodar avoit conclu vn nouveau traité avec la Porte : et qu’il avoit fait mettre aux fers les Envoyez qui estoient venus icy, par ordre de son predecesseur, sous pretexte qu’ils avoient excedé leurs pouvoirs, en concluant contre ses intentions vn traité avec
l’Empereur
, par lequel ils avoient renoncé à l’ancien engagement des Walaques avec les Turcs.
Le Comte Thékéli
n’avoit pas encore paru sur les frontieres. Le General Major de Paz fait esperer qu’il sera en estat de repousser les Turcs, les Tartares et les Mécontents, s’ils entreprennent de forcer les passages, dont il s’est rendu maistre : et où il a fait quelques retranchements.
Dans le dernier embrasement de Cronstadt, le magazin des poudres et des vivres, et la citadelle n’ont pas esté endommagez. Mais la pluspart des maisons ont esté reduites en cendres : de maniere que la perte est extraordinaire, et plusieurs Officiers Allemans y ont perdu leurs équipages. Il y a eu vn semblable embrasement à Hermanstadt et à Seno. On a tenu vne conference chez le Comte Stratman Chancelier d’Austriche, pour déliberer sur les moyens de découvrir les incendiaires : mais on n’en a pû découvrir aucun
, quelque peine qu’on ait prise, à tirer sur ce sujet, quelques lumieres de plusieurs lettres du
Comte Thékéli
, qui ont esté interceptées. Les deux regiments de cavalerie Hongroise de Baragotzi et de Ziackiont esté cassez dans la Haute. Hongrie par ordre de
l’Empereur
, sous pretexte qu’ils avoient commis plusieurs desordres : mais la pluspart des soldats et des Officiers se sont retirez au Grand-Waradin, ou à l’armée du
Comte Thekeli
, qui leur a donné de l’employ. Le 9 et le 10 de ce mois, les Ambassadeurs de Pologne et de Venise eurent chacun vne conference particuliere avec les Envoyez de la Porte dans l’Hostel des Estats d’Austriche. Ils tâcherent inutilement de leur faire declarer s’ils n’avoient pas des instructions et des pouvoirs moins limitez que ceux qu’ils ont produits jusqu’à present. Ils n’en purent tirer d’autre réponse que celle qu’ils ont cy-devant faite tant de fois, qu’ils n’avoient rien à dire, outre ce qu’ils avoient declaré de bouche et par écrit : et qu’ils avoient ordre de partir incessamment si on ne vouloit pas s’en contenter. Le 12, l’Ambassadeur de Pologne alla à Laxembourg, informer
l’Empereur
du détail de cette conference.
Sa Majesté Impériale
a depuis offert d’accorder aux Envoyez de la Porte, la permission de dépescher vn courier au
Grand Vizir
, dont ils attendroient le retour à Pottendorff : mais ils ont reçeu cette proposition avec vne grande indifference. Ainsi, on delibere encore presentement si on leur accordera la permission qu’ils demandent de se retirer, ou si on les retiendra jusqu’à la fin de la Campagne. Les principaux du conseil Imperial sont d’avis de les retenir et de les faire cependant garder avec beaucoup de soin, afin qu’ils ne puissent avoir aucune connoissance de ce qui se passera en Hongrie et sur le Rhin. Les Commissaires Impériaux sont entrez en negociation avec l’Ambassadeur de Pologne pour renouveller l’alliance contre les Turcs et y comprendre les Czars. On a communiqué à leurs Envoyez tout ce qui s’est passé dans les Conferences avec ceux de la Porte. Ils ont montré des lettres des Czars, qui assurent que leur armée estoit en marche vers la Krimée : et que les Tartares sur l’avis qu’ils en avoient eu, ont esté obligez de garder pour la défense de leur pays, les troupes qu’ils devoient envoyer à l’armée Othomane. Mais la Cour Impériale a esté trompée tant de fois par de semblables avis qu’on a peine à y ajouster foy. Il y aaussi des avis qui portent que le 19 du mois dernier, les Tartares commandez par Sultan Galga et Noradin Bacha partirent de Budziack, pour aller au devant des Moscovites, et leur disputer le passage du Nieper : mais quelque diversion que cela puisse causer, les grandes forces avec lesquelles on void que les Turcs se disposent à venir dans la Hongrie causent icy, beaucoup d’inquietude. L’ordre a esté envoyé en diligence, au Comte Veterani de tirer les garnisons Allemandes de toutes les places à la reserve des principales : et d’aller avec la plus grande partie des troupes qui sont sous ses ordres en Transylvanie, joindre l’armée principale qui sera commandée par
le Prince Loüis de Bade
, et qui agira dans la Servie. Le Comte de Dunewald partit hier, pour se rendre aupres du
Prince Charles de Lorraine
entre Francfort et Coblentz.
Le Prince Loüis de Bade
estant revenu de Ratisbonne, a esté à Laxembourg recevoir les ordres de
l’Empereur
: et il partira aujourdhuy, pour se rendre à l’armée de Hongrie.