De Vienne, le 7 Aoust 1689.
On receut ces jours passez, les nouvelles suivantes de l’armée du
Prince Loüis de Bade
, alors campée à vne heure de Semendria. Le 19 du mois dernier, il eut avis d’Orsowa par des lettres du 15, que le General Heusler s’y estoit rendu : et qu’il avoit trouvé la place dépourveuë de munitions, de vivres et de fourrages, et en si mauvais estat que les Rasciens qui s’y estoient assemblez n’auroient pû la défendre si elle avoit esté attaquée. Il donna les ordres necessaires pour la raser et en faire sor--tir la garnison : et il envoya vne partie de ces milices à Moldava, à Palembas et à Nipalanka. Il attendit avec le reste des troupes la jonction des regiments de cavalerie et vn détachement d’infanterie des garnisons venuës de Transylvanie pour s’opposer aux Turcs et au
Comte Thékéli
, s’ils vouloient tenter le secours de Temeswar, tandis que les passages de la Moldavie et de la Walaquie seroient défendus par le regiment de Magni et par d’autres détachements. Le 20, on apprit que neuf mille Turcs avoient investi Zwornik. Aussi tost
le Prince Loüis de Bade
manda au Colonel Gall et au Ban ou Gouverneur de Croatie, de tâcher de faire quelque diversion : et au Commandant de Sabatz, d’assembler les Hussars et les Heyduques de ce costé-là, pour tâcher de secourir la place. Le brüit s’estoit repandu que les Turcs s’estoient retirez. Mais on a depuis sceu qu’ils en avoient formé le siege : et qu’ils le continüoient avec beaucoup de vigueur. Le 21, vn parti de Turcs et de Tartares s’estant avancé de Rudnik vers le grand chemin de Belgrade, entre Kollar et Kraska, rencontra des vivandiers qui venoient au camp, dont quelques vns furent tüez et les autres faits prisonniers. Le sieur Dodiani Capitaine Hongrois de la garnison de Gran, arrivant dans ce moment, avec quatre cents Hussars, poursuivit ce parti : mais s’estant trop avancé il tomba dans vne embuscade que les Infideles luy avoient dressée, ayant posté quinze cents chevaux dans vn bois fermé de buissons. Les Hussars furent enveloppez : il y en eut cent cinquante tüez sur la place, et plusieurs faits prisonniers : et le reste se sauva avec beaucoup de peine. Le 23, l’armée marcha vers Sipponitza. Elle devoit le lendemain, passer la Morava : mais l’ordre fut changé, sur ce que quatre prisonniers amenez par des Rasciens, assurerent que le Seraskier ayant laissé à Crustsavatz dix mille hommes de pied avec son artillerie, avoit passé cette riviere avec trente mille chevaux, en resolution de donner combat. Ils assurerent aussi que
le Grand Seigneur
et
le Grand Vizir
estoient à Sophie avec soixante mille hommes : et que celuy-ci en devoit partir apres la célébration du Beïram, pour se rendre incessamment à Nissa. Des Hussars qui avoient esté faits prisonniers par les Turcs et qui s’estoient sauvez, confirmerent cette nouvelle, qui obligea d’autant plus
le Prince Loüis de Bade
à quitter le dessein de camper à Sipponitza, qu’il apprit qu’on ne le pouvoit faire sans beaucoup de risque, à cause que ce poste est assez éloigné de Semendria : et que d’ailleurs, il auroit esté facile aux ennemis d’y venir insulter les Impériaux à la faveur des hayes et des buissons. Ainsi, il resolut d’aller vers Kollar et de choisir vn endroit où se pût faire la jonction d’environ quinze cents hommes destinez pour la recruë de quelques régiments restez l’hyver dernier à Belgrade, qui devoient escorter vn convoy de deux cents chariots chargez de vivres pour l’armée. Vne pluye qui survint et dura jusqu’au lendemain fatigua tellement les chevaux et les troupes, qu’il fut obligé à venir camper le 24, pres de Semendria : d’où il fit plusieurs détachements pour tâcher d’avoir des nouvelles certaines de la force de l’armée Othomane et de ses desseins. Mais les transfuges et les prisonniers font des rapports si differents qu’il est difficile de sçavoir la vérité. Quoy que plusieurs assurent que les forces des Infidéles ne sont pas si nombreuses,
le Prince Loüis de Bade
a jugé à propos de se retrancher avantageusement de peur d’estre surpris. On a découvert à Cassovie vne nouvelle conspiration pour faire main-basse sur la garnison : et on a pris deux des complices. L’Ambassadeur de Moscovie partit le 30 du mois dernier : et prit la route de Breslau pour s’en retourner à Moscow par la Pologne. La nouvelle qu’il avoit publiée icy, de la defaite des Tartares par les Moscovites, s’est trouvée entierement fausse. On a sçeu au contraire, que les Moscovites ont esté defaits par les Tartares et obligez à conclure la paix : et que les Polonois sont puissamment sollicitez par le Kan d’écouter des propositions de paix tres avantageuses.