De Vienne, le 20 Novembre 1689.
Vn courier dépesché par le Comte Picolomini, a apporté cette semaine, les nouvelles suivantes. Le 21 du mois dernier, vn détachement de Rasciens et de Hussars, revint à son camp apres avoir remporté quelque avantage sur Mehemet Bacha : et on sceut que des peuples qui habitent des montagnes du costé de Scopia, témoignoient vouloir se mettre sous la protection de
l’Empereur
. Le Comte Picolomini y envoya le Lieutenant Colonel de son régiment, avec vn autre détachement, pour traiter avec eux : et le 22, il décampa le matin de Pristina : et il arriva la nüit suivante à Rabouze. Il y eut avis qu’vn grand parti de ses troupes commandé par le Lieutenant Colonel du régiment de Holstein, s’estoit saisi du passage de Novoporto, dans les montagnes aux environs de Sophie. Il envoya reconnoistre le passage de Zwetzuy vers Mittrouitz, pour entrer dans la Bossine : et ayant besoin d’vn renfort pour s’en rendre maistre, le Lieutenant Colonel du régiment de Stirum qui commande à Pristina, marcha de ce costé-là, avec vne partie de l’infanterie de sa garnison. Le 23, la marche fut continüée vers le passage de Razaneck pres de Scopia. Le Baron de Rodern Lieutenant Colonel du régiment de Hanover, rencontra la nüit trois cents Turcs venus de Scopia, pour renforcer la garnison d’vn chasteau sitüé vers le passage de Razaneck. Il y en eut neuf tüez et onze faits prisonniers : et le reste fut mis en füite. Le 24, le Comte Picolomini arriva au mesme passage, dont l’entrée est si étroite qu’il n’y pouvoit passer qu’vn homme de front : de maniere, qu’il fut tres difficile d’y condüire quelques pieces de canon, qui marchoient avec ce petit corps d’armée, et qu’on fût obligé de laisser les bagagesderriere. On apprit par quelques prisonniers, qu’il y avoit dans Scopia, plus de dix mille hommes resolus de se défendre jusqu’à l’extremité : mais des habitans qui en estoient sortis rapporterent que les Turcs qui avoient esté defaits par le Baron de Rodern, s’y estant retirez, y avoient causé vne telle épouvente que chacun avoit pris la fuite. Le 25, les troupes ayant esté huit heures à passer le défilé de Razanek arriverent dans vne plaine à trois heures de Scopia : et continüerent de s’avancer en ordre de bataille, jusqu’à la portée du mousquet de la place. Les habitans des montagnes vinrent offrir de se mettre sous la protection de
l’Empereur
. Ils assurerent que les Rasciens qui y estoient, avoient quelques jours auparavant, quitté le Bacha, qui s’estoit jetté dans Scopia, avec environ mille Turcs : qu’il s’estoit ensuite retiré dans vn vallon derriere la ville : et qu’elle estoit presque entierement abandonnée. On sçeut bien tost apres qu’il avoit quitté ce poste avec ce qui luy restoit de troupes : et deux mille Hussars ou cavaliers Allemans, furent détachez pour le poursuivre. Ils firent environ cent Turcs prisonniers, avec quelque butin. On entra ensuite sans aucun obstacle dans la ville de Scopia, qui n’a aucune fortification reguliere.
Ainsi il fut jugé à propos d’abandonner au pillage ce que les ennemis y avoient laissé, et d’y mettre le feu.
Le 27, le Comte Picolomini envoya ordre aux habitans de tous les villages voisins de se retirer dans les montagnes, ou de venir payer les contributions. Le mesme jour, les troupes décampérent pour retourner au passage de Razanek. Les dernieres nouvelles de l’armée du
Prince Loüis de Bade
portent que sur l’avis que les Tartares s’estoient joints vers Nicopoli, avec les Turcs qui se sont ralliez, il avoit discontinüé sa marche vers la Walaquie et s’estoit avantageusement posté pour observer leurs mouvemens : que cependant il avoit envoyé ordre au General Heusler qui devoit s’arrester en Transylvanie, de demeurer sur le Danube : et au Comte Picolomini de surseoir sa marche vers Sophie, de revenir à Nissa avec ses troupes, de s’y tenir jusqu’à nouvel ordre, et d’y faire incessamment travailler à mettre les fortifications en estat dedéfense.
Le Prince Loüis de Bade
a envoyé tout son équipage et celuy de l’estat Major de son armée en Transylvanie, à dessein d’y aller passer l’hyver.
On confirme de la Haute Hongrie, que la disette est extreme dans le Grand Waradin : que les principaux officiers de la garnison sortoient de nüit, pour chercher des grains : qu’vn officier Turc qui avoit esté pris avoit assuré que les provisions estoient entierement consumées.
Les dernieres lettres de la Basse-Hongrie et de l’Esclavonie portent seulement que le régiment des Croates de Cauriani et quelques autres troupes Impériales et Hongroises qui avoient esté postées le long de la Save s’estoient séparées : et qu’elles avoient pris des quartiers d’hyver dans l’Esclavonie, ne pouvant plus tenir la campagne parce qu’elles estoient extremement fatiguées. Les Envoyez de la Porte continüent à demander avec de grandes instances, que les Commissaires Impériaux remettent la negociation de paix sur le tapis, ou qu’on les renvoye. Mais il y a peu d’apparence qu’elle puisse estre concluë aux conditions qui selon le brüit commun, doivent leur estre proposées : et ils ont aussi declaré positivement qu’il n’avoient pas reçeu des pouvoirs pour les accepter. L’indifference qu’il font paroitre presentement donne sujet de croire qu’ils ne sont pas entierement persüadez que les Impériaux ayent remporté sur les Turcs, des avantages aussi considerables que ceux qui ont esté publiez.