La Gazette de Renaudot

Du Camp Impérial devant Barkan , le 27 Aoust 1685.

Le Prince Charles de Lorraine ayant résolu d'aller au devant des Turcs , sur l'avis que le Seraskier Bacha avoit rassemblé trente mille hommes & qu'il marchoit à leur teste , fit le soir du 23 de ce mois , passer l'avantgarde de l'armée sur 1e pont de bateaux dressé à Comorre. On apprit qu'il y avoit eu un grand desordre entre les Janissaires & les Spahis dans leur retraite apres la défaite de l'armée Othomane pres de Gran : qu'ils avoient tiré les uns sur les autres : & qu'il en estoit demeuré plusieurs sur la place. On sçeut aussi que le Seraskier Bacha , irrité de ce qu'une partie de ses troupes ne s'estoient pas acquitées de leur devoir dans le combat , avoit fait étrangler à Bude plus de soixante Officiers qui avoient pris la fuite des premiers. Le 24 , le reste de l'armée passa sur le mesme pont de Comorre & campa à Goutta. Le 25 , on passa la riviére de Neutra : & on eut avis que le Seraskier avoit passé le Danube à Pest , avec son armée. Le Prince Charles envoya plusieurs partis pour en apprendre des nouvelles certaines. Mais ils revinrent sans avoir pû faire aucuns prisonniers , & sans avoir rien appris des mouvements des Infideles. Hier, l'armée continüa sa marche vers la riviére de Gran : & on sçeut par deux espions , que le Seraskier ayant esté joint par dix milles Tartares , s'estoit avancé jusqu'à Weitzen , en résolution d'en venir à un second combat. Aujourd'huy , on a eu avis qu'il est encore à Weitzen : & qu'il a fait tirer toute 1’artillerie de Novigrad , à dessein , comme on croid ,de faire sauter le reste des fortifications de cette place , & de l'abandonner. Il a témoigné qu'il vouloit bazarder un nouveau combat. Il ne paroist pas néantmoins , qu'il persiste dans cette resolution , depuis qu'il a sçeu que les troupes qui estoient demeurées au siége de Neuhausel avoyent rejoint le corps de l'armée Impériale qui est presentement de plus de cinquante mille hommes. Mais il y a sujet d'appréhender qu'elle ne soit bien tost beaucoup affoiblie , par les maladies qui y regnent & qui emportent chaque jour , jusqu'à quatre vingt

ou cent soldats. On a fait encore des détachements pour aller observer les mouvements des Infidéles : sur lesquels on prendra les résolutions necessaires.