De Londres, le 24 Mars 1689.
Le 18 de ce mois, les deux Chambres de la Convention apres avoir reglé l’Adresse pour remercier
le Prince d’Orange
, la luy présentérent dans la sale des Banquets. Elle contient en substance : que
les Seigneurs et les Communes assemblez en Parlement, ayant vne sensible reconnoissance de ce qu’ils ont esté miraculeusement delivrez du Papisme et du pouvoir arbitraire par son entremise : et estant persüadez que ses ennemis travaillent continüellement à extirper la Religion Protestante, et à envahir leurs droits et leurs libertez, déclarent qu’ils employeront leurs biens et leurs vies pour le défendre, pour soûtenir les alliances qu’il a faites avec les Estrangers, pour rédüire l’Irlande et pour défendre la Religion Protestante et les loix de ce Royaume.
Cette Adresse fut présentée comme ayant esté approuvée par vn consentement vnanime, quoy que plusieurs Membres des deux Chambres ayent assez témoigné combien elle leur déplaisoit.
Le Prince d’Orange
leur répondit qu’il leur estoit fort obligé de leur affection : que comme ils luy promettoient d’employer pour sa défense, leurs vies et leurs biens, qu’il leur promettoit aussi de ne les abandonner jamais : et de défendre au péril de sa vie, le Royaume, leurs loix et leurs libertez. Il les pria de délibérer sur les moyens de rédüire promtement l’Irlande : ce qui ne se pouvoit faire sans vne armée qui fût au moins de vingt mille hommes de cavalerie et d’infanterie. Il leur dit aussi qu’ils devoient penser à secourir les Hollandois, qui avec tant de dépense et tant de périls, avoient contribüé à les tirer de l’esclavage du Papisme et du pouvoir arbitraire, jusqu’à s’épüiser d’hommes, de vaisseaux et d’argent : et qu
’ils devoient tâcher de rendre les mesmes offices aux Hollandois, en les assistant et en prévenant leur entiére rüine, qui estoit indubitable, sans vn puissant secours. Qu’il estoit aussi nécessaire d’équiper vne puissante flote, qui jointe avec celle des Estats, pût tenir la mer : et empescher le passage des secours de France en Irlande.
Qu’il espéroit que les deux Chambres les rembourseroient ces grands frais qu’ils avoient faits pour les delivrer du Papismeet du pouvoir arbitraire : que dans cette veüe on leur donneroit vn compte exact de toute la dépense qui monte à six cents mille livres sterlin : et qu’ils attendoient non seulement les secours stipulez par le traité de Nimégue, mais encore ceux qu’il leur avoit promis par vn traité particulier conclû peu de temps avant son départ. La proposition de rembourser les Hollandois parut fort extraordinaire, et n’a pas encore esté mise en délibération. Le 19, dans la Chambre des Seigneurs, on passa vn Bill ou projet d’Acte, pour casser la procédure faite contre feu Mylord
Russel
condamné et exécuté comme criminel de haute trahison, et réhabiliter sa mémoire. On examina dans la Chambre-Basse l’estat du revenu ordinaire de la Couronne : et il fut jugé qu’il estoit trop grand en temps de paix, et qu’il n’estoit pas suffisant en temps de guerre : sur quoy on fit plusieurs propositions, quelques-vns estant d’avis de retrancher vne partie de ce qui fut accordé au
Roy
à son avénement à la Couronne, d’autres de laisser les revenus au mesme estat : mais d’en mettre tous les ans, vne partie en réserve durant la paix, pour établir vn fond qui se trouveroit toûjours prest en temps de guerre. Cependant, on proposa à cause des dépenses excessives ausquelles
le Prince d’Orange
se trouvoit obligé, d’accorder vn subside extraordinaire de deux millions de livres sterlin. Cette proposition surprit fort toute la Chambre : et quelques Députez déclarérent que non seulement ils ne consentiroient pas à la résolution qui pourroit estre prise d’accorder cette somme : mais qu
’ils ne payeroient pas les taxes qu’elle a ordonnées, et qu’ils s’opposeroient à la levée qu’on en voudroit faire, comme à vne véxation contre les loix.
Les autres insistérent sur la nécessité pressante des affaires : estant persüadez qu’il est impossible de maintenir le Maistre que les Communes veulent donner à l’Angleterre, si on ménage les interests des particuliers, aprés avoir eu si peu d’égard à ceux de l’Eglise et de l’Estat. Le 21, le projet d’Acte pour casser le jugement rendu contre feu Mylord
Russel
fut leu pour la premiere fois, dans la Chambre Basse. Le Committéestabli par les Communes pour dresser des articles contre plusieurs Seigneurs soupçonnez d’avoir agi contre les Loix, proposa d’accuser quelques vns de ceux qui ont fait paroistre plus de zele pour
le Prince d’Orange
: comme ayant conseillé au
Roy
la confiscation des chartes de plusieurs villes, et l’établissement de la Commission Ecclésiastique : ce qui les a fort irritez.
Le 23, le Corps de Ville présenta vne Adresse au
Prince d’Orange
pour le remercier de la suppression de l’impost sur les cheminées.
Les deux Chambres ordonnérent que la Ville seroit remerciée : mais ce compliment ne l’a pû encore obliger à faire aucunes avances au
Prince d’Orange
sur la somme de quatre cents vingt mille livres qui doit luy estre accordée par la Convention. On fait prester à tous les particuliers, les deux nouveaux serments : et plusieurs y obéïssent, déclarant qu’ils ne croyent pas s’obliger à rien.
Les Ecclésiastiques, à l’exception de huit Evesques, témoignent estre résolus à souffrir les derniéres extrémitez, plustost que de manquer à la fidélité qu’ils ont promise au Roy par les serments d’Allégeance et de Suprémacie.
Titus
Oats
a présenté vne requeste dans laquelle il décrit fort au long toutes les miséres qu’il a souffertes en haine de la Religion Protestante, et les grands services qu’il pretend avoir rendus. Quoy que par vn jugement solennel, il ait esté convaincu et condamné comme parjure, sa requeste fut receuë : et on luy dit de présenter des lettres, pour faire revoir son procés.
Le Prince d’Orange
a nommé le sieur Henry
Sidney
pour estre payeur général des troupes.
Cinq mille hommes de pied devoient aller en Escosse pour soûtenir son parti : mais la pluspart ont deserté et se sont déclarez pour le Roy.
Les troupes destinées pour envoyer en Hollande estoient le régiment des Gardes de
Grafton
, le régiment de
Craven
, celuy de
Dumbarton
, à présent de Schomberg, ceux du
Prince de Danemark
, de
Churchill
et de Hodges, avec quelques régiments de cavalerie. Ce secours devoit estre commandé par Mylord
Churchill
. Mais tous les officiers de huit compagnies de
Grafton
ont rendu leurs commissions : et le régiment a esté cassé. Plusieurs officiers de celuy de
Dartmouth
ont quitté pareillement leurs commissions. Le Comte de
Devonshire
a rendu celles qu’il avoit pour la levée de deux nouveaux régiments. D’autres Seigneurs ont aussi déclaré qu’ils ne pouvoient faute d’argent, lever les deux régiments qu’ils s’estoient chacun, chargez de mettre sur pied à leurs dépens. Le nombre des officiers qui quittent le service, et des soldats qui desertent, est si grand qu’on a proposé de punir de mort ceux qui rendront leurs commissions. Sans attendre que cette proposition fust approuvée,
le Prince d’Orange
a fait expédier des ordres pour arrester plus de cent cinquante personnes, entre autres le Colonel Oglethorp et le Major Général Fenwick : mais ils sont passez dans le Nord, où ils se sont declarez pour le service du Roy. On a eu avis d’Irlande, que
le Comte de Tyrconnel
avoit receu la Déclaration du
Prince d’Orange
, pour ordonner aux Catholiques de quitter les armes, leur faisant espérer toutes sortes de bons traitements. Mais que peu de jours apres, il en avoit fait publier vne autre, par laquelle il a commandé à tous les Protestans de Dublin de porter toutes leurs armes chacun dans l’Eglise de sa paroisse : menaçant de faire piller toutes les maisons où il s’en trouveroit, contre les défenses.
Cette ordonnance a esté ponctüellement exécutée par les soins du Lord Maire de Dublin, qui a esté en personne visiter la pluspart des maisons suspectes.
Le Comte de
Tyrconnel
a aussi fait publier vne Déclaration contraire à celle du
Prince d’Orange
, par laquelle il défend à toutes personnes d’y avoir égard, et exhorte tous les bons sujets de Sa Majesté à demeurer fidéles : promettant de maintenir l’Irlande dans le devoir, et mesmes d’envoyer du secours en Angleterre ou en Escosse à ceux qui en auront besoin, pour s’opposer aux violentes entreprises des rebelles. On a sçeu aussi que le Roy de la Grande Bretagne estoit arrivé à Kingsale en Irlande : qu’il avoit passé à Cork : et qu’il avoit esté receu par tout, avec de grandes acclamations, mesmes par les Protestans.
On dit qu’il a déja fait expedier des lettres circulaires pour convoquer vn Parlement en Escosse :où plusieurs Officiers se sont retirez et se sont declarez pour
Sa Majesté
. Le Duc de
Gourdon
aprés avoir fait entrer de nouvelles troupes dans le Chasteau d’Edimbourg et pourveu à la sureté de la place, s’est mis à la teste de six mille Highlanders ou Montagnards, qui ont pris les armes pour le service du
Roy
, et dont le nombre augmente tous les jours. Il a fait declarer qu’on tireroit du Château sur la ville, s’il s’y tenoit aucune assemblée contre les interests de
Sa Majesté
.
On dit que plusieurs Seigneurs et Députez d’Escosse se sont assemblez à Edimbourg, et qu’ils ont fait brûler par l’Exécuteur les lettres de Convocation du Prince d’Orange.
On attend la confirmation de cette nouvelle.