Emma Pierrard, "Jean Renaud, Les invasions vikings, à l’ouest par-delà la mer, Rennes, Éditions Ouest-France, 2023, 192 p."
Universitaire connu pour ses publications sur la littérature et la civilisation norroises, Jean Renaud fait dans cet ouvrage, Les Invasions vikings, à l’Ouest par-delà la mer, le choix de la vulgarisation scientifique. Il élargit ainsi le champ de ses lecteurs, en sortant du cercle purement universitaire. Fort de ses recherches sur les vikings et de ses années d’enseignement au département d’études nordiques de l’Université de Caen, Jean Renaud détaille avec rigueur et précision l’histoire des raids vikings en Occident.
Il complète son récit, strictement construit, par une cartographie des zones géographiques concernées, ainsi qu’une chronologie détaillée des principaux règnes en Scandinavie et dans les pays occidentaux abordés au fil de l’ouvrage, ce qui aide à comprendre le contexte historique. L’intitulé des chapitres, au sein de chaque partie, rend compte d’une approche à la fois globale et parallèle d’un bout à l’autre de l’Europe. Dans son introduction, l’auteur éclaire le lecteur sur la terminologie ou encore sur la situation antérieure en Scandinavie. Il détaille par exemple l’emploi du terme « viking » et fait état de ce qui génère « le phénomène viking ». Suivent alors les quatre grandes parties du livre : « Prologue » (qui traite de la fin du VIIIe et le début du IXe siècle), « Amplification » (pour le IXe siècle), « Regain ou implantation » (pour les Xe et XIe siècles) et « Épilogue » (consacré aux XIIe et XIIIe siècles). Il résume ensuite succinctement ses propos en conclusion, après avoir brièvement abordé l’impact linguistique et toponymique. Jean Renaud facilite l’accès au contenu de son ouvrage en nous permettant de faire fi de la complexité de l’histoire qu’il retrace.
Le récit est bâti sur une chronologique linéaire – de la fin du VIIIe siècle jusqu’au début du XIIIe – et parfaitement détaillée. En effet, nous suivons les évènements de toute la période liée aux expéditions vikings en nous concentrant sur des zones géographiques déterminées, annoncées en titre de chaque chapitre : nous explorons ainsi les différents territoires qui constituent le continent européen et au-delà. Tout en respectant la chronologie, l’ouvrage invite le lecteur – en quelque sorte – à zoomer sur ces divers territoires et à observer ce qui s’y passe. Le « Prologue » présente le contexte historique de chacun, afin de mieux appréhender son évolution lorsque les vikings surviennent.
La deuxième partie, consacrée à l’amplification des invasions vikings, est donc la suite logique (et chronologique) du prologue. Nous suivons aussi bien le déclin de l’Empire carolingien que les conflits opposant les rois irlandais, tout en assistant aux raids des vikings en ces périodes troublées. Nous voyons leurs navires franchir le détroit de Gibraltar, après un affrontement avec l’émir de Cordoue. Les vikings entament ensuite une longue série d’incursions et de pillages en Méditerranée, mais se retrouvent néanmoins piégés à leur retour par une flotte musulmane : ils passeront en force en subissant de nouvelles pertes et ils rejoindront l’embouchure de la Loire et la Francie, où la pression scandinave augmente. Les récits d’attaques et de batailles illustrent l’ampleur des conséquences en Europe. La fin de cette deuxième partie montre à quel point les vikings commencent à plus ou moins se fixer en différents endroits.
Intitulée « Regain ou implantation », la troisième partie détaille la suite des péripéties. Nous constatons les différentes alliances qui se font et se défont entre rois irlandais et chefs scandinaves, pour plus de pouvoir et d’avantages. Sur le continent, les vikings quittent la Bretagne après plusieurs revers, tandis qu’en Normandie ils se sédentarisent de plus en plus, non sans peine, après la cession du comté de Rouen à Rollon. L’Islande et les îles Féroé, pour leur part, parachèvent leur colonisation. Majoritairement norvégiens, parfois après un passage par l’Irlande, les colons organisent les premières assemblées, établissent les premières lois, et leur communauté prospère, tandis qu’une conversion au christianisme s’avérera bientôt une nécessité. En Irlande, les établissements scandinaves à Dublin et le long de la côte résistent longtemps mais retourneront finalement aux mains des Irlandais, tandis qu’en Angleterre les Anglo-Saxons peinent à regagner le contrôle des territoires colonisés par les vikings qui y défendent leurs intérêts, puis subissent une nouvelle offensive aux allures de conquête, venue directement du Danemark : plusieurs souverains danois parviendront à s’emparer du trône. Et par ailleurs, il est également question de la petite colonie viking du Groenland et des expéditions maritimes menées à partir de là jusque vers les côtes américaines et le golfe du Saint-Laurent, où pousse la vigne – d’où le nom norrois Vínland. Une possible tentative d’implantation tourne court, du fait du manque de rentabilité et de l’hostilité des indigènes.
Toujours est-il que cette longue troisième partie nous indique où et comment les vikings parviennent à s’installer : colonisation aisée de territoires inhabités comme l’Islande et les îles de l’Atlantique Nord, ou implantation plus difficile là où s’insurgent les populations locales, comme en Francie et dans les îles Britanniques. Et l’Épilogue fait le point sur la situation dans ces mêmes territoires après la fin de l’époque viking, aux XIIe et XIIIe siècles.
Enfin le petit supplément intitulé « Impact linguistique et toponymique » passe en revue l’influence du norrois sur les autres langues et l’existence de toponymes hérités des vikings là où ils se sont implantés. La langue française, logiquement, compte très peu d’emprunts – les champs lexicaux du bateau, de la mer et de la pêche étant les mieux représentés : par exemple « haubans » (du norrois hǫfuðbendur), « vague » (de vágr) ou « homard » (de humarr). Mais l’anglais est bien plus richement doté : tout un vocabulaire de la vie quotidienne et même des mots grammaticaux (deux prépositions, till et upon, et les pronoms personnels they, them, their – respectivement issus de til, upp á, þeir, þeim, þeirrra). Quant à l’héritage toponymique, il est important en Normandie et bien plus encore dans les anciennes zones de colonisation en Angleterre, notamment au Yorkshire.
En résumé, cet ouvrage s’adresse à la fois à des lecteurs avertis et à un large public, dans la mesure où Jean Renaud fournit toutes les clefs nécessaires pour suivre le cours de l’histoire des vikings en Occident. Son récit, d’une lecture fluide et confortable, fait l’effet d’une conversation avec ses lecteurs. Il renforce ses propos en donnant des dates, en montrant des cartes, sans oublier quelques illustrations dont plusieurs sont d’ordre archéologique. Il en profite même pour rappeler, entre autres, l’apport linguistique et toponymique. Le livre est une plongée dans l’histoire, à la fois générale et localisée, sur les traces de ces hommes du Nord qui vont jusqu’à repousser les limites du monde connu, à l’Ouest par-delà la mer.