Histoire culturelle de l'Europe

Maëva Gouget, "Ueltschi, Karin et Verdon, Flore, Grandes et petites mythologies II : Mythe et conte, faune et flore, Reims, Épure, 2022, 285 p."

Compte-rendu

Cet ouvrage collectif rédigé sous la direction de Karin Ueltschi et Flore Verdon est le second tome dédié aux travaux du séminaire Grandes et petites mythologies du Centre de Recherche Interdisciplinaire sur les Modèles Esthétiques et Littéraires (CRIMEL) de l’université de Reims Champagne-Ardenne. L’ouvrage se concentre sur les liens qui existent entre les mythes dit savants et les mythes dit populaires, interrogeant de fait le symbolisme et la mutation des mythes notamment dans le cadre d’adaptations. La publication est composée de deux parties : la première permet d’orienter l’analyse sur les enjeux de plasticités et de variations des mythes. La seconde est consacrée aux mythologies animales et végétales et se trouve complétée par un épilogue qui se concentre sur le récit des croyances autour de la fougère et des mandragores.

La première partie, « Plasticité et variances », s’ouvre sur un article de Sophie Conte sur l’instrumentalisation du mythe d’Iphigénie au cours des différentes adaptations de son sacrifice. Après avoir repris les fondements du mythe, l’autrice, à travers trois exemples littéraires (les romans Iphigénie de Teresa de la Parra et La fille d’Agamemnon d’Ismail Kadaré, ainsi que la pièce de théâtre Iphigénie de Tiago Rodrigues), dévoile l’idée que le mythe, à travers ses réécritures, devient un prétexte de dénonciation. Les lecteurs doivent se saisir du mythe comme étant une clef de lecture par analogie éclairant non seulement l’intrigue mais également la société. Sophie Conte dresse ensuite le portrait d’une Iphigénie devenue un moyen pour le lecteur d’explorer son identité personnelle et dont le mythe se politise à chaque mise en scène.

Pygmalion, figure de ce que l’on nomme la grande mythologie, est le sujet du chapitre suivant. Alain Trouvé nous propose d’étudier les différentes variations de ce mythe en se concentrant notamment sur la notion de parole comme un pont à dresser entre grandes et petites mythologies. L’auteur nous expose son hypothèse en trois temps, dressant ainsi les origines de ce mythe puis sa révision au XXe siècle et enfin le rapport entre le mythe et la parole. Cela permet à l’auteur, à travers plusieurs exemples littéraires, de faire voyager le lecteur dans les différentes affirmations du mythe de Pygmalion comme l’artiste créateur ou la reconnaissance féminine.

Miren Lacassagne retrace l’histoire de la fortune dans la littérature et son fort lien avec la roue en se concentrant sur les écrits et iconographies de la deuxième moitié du XIIe siècle. Elle ancre l’association temporelle et fatale de la roue et de la fortune au Moyen Âge et s’attache ensuite à étudier cette relation en opposition à la vertu. Il est également question d’étudier la roue de la fortune sous le prisme de ses mutations dans les contes et fables tels la Belle au bois dormant ou Meunier, son fils et l’âne.

Les deux articles suivants ont en commun le conte. En effet, Françoise Gevrey et Anna Loba se concentrent respectivement sur la relation entre mythologie gréco-latine et merveilleux dans les contes de fées et la variation du conte Peau d’Âne de Charles Perrault. Françoise Gevrey fonde son travail sur un corpus de contes parodiques ou licencieux de 1698 à 1749 pour illustrer la perte de respect pour la mythologie dite savante. L’autrice observe la contestation de la valeur allégorique de la mythologie dont on préfère, à l’époque, se distancer aux profits de textes contemporains alors jugés supérieurs. Le mythe, alors remis en question, est utilisé pour insister sur la valeur esthétique des contes de cette époque.

La plus célèbre mise à l’écrit de Peau d’Âne étant celle de Charles Perrault, Anna Loba nous offre une réflexion sur les variantes de ce conte par les frères Grimm mais également dans le folklore polonais. Le conte est présenté comme étant en perpétuelle variation et réécriture mais dont le sujet principal reste l’importance de la peau et du déguisement. Là où ce dernier est le reflet de la souillure et de la culpabilité chez l’auteur français, il est le symbole de force et de détermination dans les écrits des frères Grimm. De ce fait, il est intéressant pour la chercheuse de s’intéresser à un folklore plus intimiste pour analyser cette relation symbolique aux déguisements. Peau d’Âne est le fruit d’une quinzaine de variantes folkloriques polonaises dont trois nous sont présentées ici (Peau de souris, Manteau de souris et Princesse-cendrillon).

La première partie se conclut sur l’article de Thomas Nicklas et l’adaptabilité du mythe de Rübezahl. L’auteur nous présente cette croyance populaire des Sudètes et ses transformations aux cours des années. Le mythe mettant en avant la protection de la forêt devient un objet d’intérêt pour la sphère savante au cours du XVIIe siècle. L’auteur présente le destin de cette figure qui devint un facteur de tourisme important pour l’époque. La polyvalence Rübezhal continue à évoluer, jusqu’à devenir un sujet poétique aux XXe siècle, et cela avant une dernière transformation que nous présente Thomas Nicklas. Le mythe sera en effet repris par les nationalistes germaniques au cours de la Seconde Guerre Mondiale et entamera, à la fin de celle-ci, une mourance culturelle. Le chercheur expose ainsi toute l’adaptabilité d’un mythe à travers son succès et son déclin.

Les six chapitres de la partie « Mythologies animales, mythologies végétales » se consacrent aux mythes ayant pour sujet la faune ou la flore. Aurore Noirault Potier s’intéresse à l’image symbolique du lion comme métaphore des héros épiques de L’Iliade et des Posthomériques. L’autrice établit d’abord la présence du lion dans les grandes et petites mythologies puis dresse le portrait de cet animal héroïque. Les divers exemples de l’étude montrent une ambiguïté dans la symbolique du lion qui peut représenter à la fois la force, l’orgueil et la puissance du héros mais aussi son déclin, sa faiblesse et sa mort. Aurore Noirault Potier établit donc à l’aune de cette symbolique physique la complexité du héros et de son message moral aux lecteurs.

Cécile Mauré a pour objectif de démêler les différentes versions du mythe de Narcisse à travers les époques afin de distinguer les croisements et perpétuations de ce mythe toujours populaire de nos jours. L’article commence par retracer l’origine, voire les origines, de ce mythe et la confusion des récits entourant la fleur narcisse. La fleur, préexistante au mythe, se voit le symbole de vanité, de mort mais également de transcendance. Le mythe, lui, adjoint l’idée d’une beauté dangereuse, se faisant ainsi écho aux naturalistes antiques tels Pline l’Ancien. La chercheuse développe l’idée d’une allégorie du mythe qui tend à une moralisation exprimée au fil de ses variations (futilité, dégénérescence, orgueil, vanité…)

L’articulation entre grande et petite mythologie mais aussi entre culture savante et populaire est éclairée par le sujet des sirènes et des ondines. Laurence Hélix évoque cette créature à la fois humaine et animale par le biais de son évolution liée au christianisme. Le mythe est en effet largement édulcoré par cette religion qui galvaude et simplifie l’image des sirènes en apportant notamment une dimension spirituelle à travers le questionnement de l’âme. L’autrice évoque également une autre transformation en traitant l’adaptation de ce mythe dans les œuvres de jeunesse, notamment les albums illustrés. Elle y distingue un amoindrissement de la notion d’âme, à l’exception de quelques albums tels que Julian est une sirène de Jessica Love (2018), Les Larmes d’Eugenie de Mélanie Laurent et Lucile Placin (2021) et Esther Andersen de Timothée de Fombelle et Irène Bonacina.

Myriam White-Le Goff aborde les tournants majeurs de l’histoire de la licorne afin de comprendre comment ces créatures sont devenues si importantes en analysant la nature de leurs succès. Retraçant l’histoire de cette créature depuis sa première occurrence au Ve siècle, l’autrice explique son renom par l’appétence du merveilleux qui lui confère un statut particulier. La chercheuse termine son étude en évoquant le renouvellement de la licorne et l’expansion de son symbolisme dans la société actuelle.

Dans cette partie consacrée notamment à la flore, Anne Berthelot a pris le parti d’évoquer l’absence de cette dernière dans le monde arthurien en focalisant sur le personnage de Merlin. Son article analyse un corpus merlinesque composé de la Vita Merlini, le Lancelot-Graal et la Suite Post-Vulgate. À travers plusieurs exemples issus de ces textes, l’autrice nous présente Merlin comme un « vates », à savoir un devin ou un prophète, qui n’a recours à aucune magie naturelle, n’usant d’aucune plante. Au contraire, sa magie (ainsi que celle de ses élèves) semble être théurgique (forme de magie qui permet de communiquer avec les bons esprits) ou goétique (liée à la magie noire ou à l’invocation de démons. Anne Berthelot expose également le fait que peu de détails sont présents dans les textes lorsque Merlin fait usage de son art, ce qu’elle explique en supposant que l’influence démoniaque de ce personnage soit contraire à l’utilisation d’une magie naturelle.

L’article qui clôture la partie traite de la faune dans les bestiaires populaires et savants dans l’œuvre médiévaliste de T.H. White. Justine Breton nous présente dans un premier temps T.H. White ainsi que les œuvres sur lesquelles se base son travail et dans lesquels les animaux ont une place très importante et symbolique. L’auteur s’en est en outre servi dans un objectif pédagogique. Justine Breton se consacre ainsi à la volonté de T. H. White de concilier connaissances populaires et univers académique et aux difficultés qu’il a pu rencontrer, l’obligeant à faire des compromis dans sa vision de ce bestiaire.

L’épilogue composé de deux articles d’Anne Marchand et Karin Ueltschi. Ce premier est un état des lieux des connaissances sur les mythes de la fougère, tandis que ce dernier analyse la mandragore. Les auteures retracent l’histoire de ces mythes et des croyances les entourant au sein de divers pays et au cours d’époques variées.

Cet ouvrage s’adresse tout autant à un public savant qu’à un public se passionnant pour les mythes. Les différents auteurs introduisent leurs sujets de façon à rendre les articles attractifs et accessibles même sans connaissances préalables sur le sujet. La variété des mythologies et figures mythiques présentes permet une large ouverture culturelle ainsi qu’une réflexion contemporaine et moderne sur la place des mythes et leurs réactualisations dans notre société.

Pour citer ce document

Maëva Gouget , "Ueltschi, Karin et Verdon, Flore, Grandes et petites mythologies II : Mythe et conte, faune et flore, Reims, Épure, 2022, 285 p.", Histoire culturelle de l'Europe [En ligne], n° 6, « Figures mythiques dans les cultures contemporaines : récits du passé et réinterprétations », URL : https://mrsh.unicaen.fr/hce/index.php_id_2514.html