De Vienne, le 18 Septembre 1689.
Selon les lettres du
Prince Loüis de Bade
, écrites du camp de Iagodina le 4 de ce mois, on y avoit encore amené quarante pieces de campagne abandonnées par les Turcs dans des défilez et sur quelques hauteurs : et la cavalerie Impériale détachée pour les poursuivre, avoit aussi amené quelques chevaux. Il avoit dessein de continüer sa marche vers Nissa pour tâcher de brûler la place avec le grand magazin que les Turcs y avoient fait. Mais le brüit s’estant repandu que le Seraskier aprés en avoir fait retirer la meilleure partie des vivres et des munitions, y avoit faitmettre le feu et s’estoit retiré vers Sophie, il ne jugea pas à propos de s’avancer de ce costé là. Il fit reposer les troupes qui estoient extraordinairement fatiguées par vne longue marche, durant laquelle les vivres et les fourrages leur ont presque entierement manqué. Il envoya ordre à Semendria d’amener aux deux palanques prises sur les ennemis, autant de munitions et de vivres qu’il seroit possible. Il a aussi détaché des troupes pour aller attaquer Widin, et en chasser celles du
Comte Thékéli
: qui avoit depuis peu, defait vn corps de Rasciens qui alloient joindre l’armée Impériale, dont six cents demeurerent sur la place : et enlevé dix batteaux chargez de vivres qui alloient à l’armée par le Danube. Le 16, on receut d’autres lettres du
Prince Loüis de Bade
du 10, qui contenoient les particularitez suivantes. Il s’estoit mis en marche vers Iagodina, à dessein de faire constrüire sur la Morava, vn pont fortifié de redoutes aux deux bords de cette riviere : et il y vouloit établir vn magazin de munitions et de vivres pour la subsistance de l’armée, pendant qu’il marcheroit du costé de Nissa. Mais il fut averti par trois païsans que le Seraskier avoit rassemblé ses troupes pres de la place : que
le Grand Vizir
sur la nouvelle du mauvats succez de la derniere rencontre, estoit venu de Sophie le joindre avec vingt mille hommes : que les füyards s’estant ralliez estoient revenus à l’armée, qui estoit d’environ soixante-dix mille hommes : et que le Seraskier estoit resolu d’attaquer de nouveau l’armée Impériale.
Le Prince Loüis de Bade
ne laissa pas de continüer sa marche vers Nissa : mais ayant fait reflexion que ses forces estoient fort inferieures à celles des ennemis, il jugea à propos de se retrancher dans quelque poste avantageux pour les observer et prendre ses resolutions selon leurs mouvements. On croyoit neanmoins, que s’il ne pouvoit reüssir dans le dessein de rüiner leur magazin de Nissa, qui n’avoit pas esté brûlé comme les premiers avis le portoient, il reviendroit à Semendria pour y faire constrüire vn pont sur le Danube : et passer cette riviere afin de tâcher d’obliger
le Comte Thékéli
d’abandonner Widin. Il estoit aussiresolu de faire démolir cette place en cas qu’il pût s’en emparer : et de se joindre ensuite, avec le corps commandé par le General Heusler, pour continüer sa marche vers Temeswar, et tâcher de s’en rendre maistre, ainsi que du Grand Waradin, avant que de faire entrer les troupes en quartier d’hyver. On écrit de Hermanstadt en Transylvanie, que le General Heusler ayant assemblé vn corps de huit mille hommes, avec son régiment, vn autre de cavalerie, cinq compagnies de dragons et environ deux mille Hussarts et Rasciens, estoit allé vers Orsowa, pour en chasser les troupes que les Turcs et
le Comte Thékéli
y avoient laissées, et qui ne pouvoient s’y défendre. Mais qu’il avoit trouvé la place abandonnée : et qu’il faisoit travailler à la mettre en estat de défense, afin de pouvoir par ce moyen, empescher les ennemis de jetter du secours dans Temeswar et de s’ouvrir vn passage entre le corps qu’il commande, et l’armée du
Prince Loüis de Bade
. Il pretendoit en cas qu’il ne trouvât aucun obstacle, s’avancer jusqu’aux frontieres de Walaquie pour obliger le Hospodar à rentrer dans les interests de
l’Empereur
: et à recevoir des troupes Allemandes, sous pretexte de défendre le païs contre l’invasion des Turcs et des Tartares. Les lettres de Croatie portent que les Turcs qui avoient paru entre la riviere d’Vnna et la Save, apres avoir ravagé la campagne aux environs de Zwornick, s’estoient retirez vers la riviere de Drina pour couvrir la Bossine : et que la garnison de Canischa se voyant reduite à vne extreme disette avoit demandé à capituler aux conditions accordées à celle de Sighet, si elle n’estoit secouruë dans le 21 de ce mois. Le brüit court mesme qu’elle s’est desja renduë : mais il n’y en a aucune certitude. On mande de Belgrade, que les recruës du Colonel Cauriani qui sont de quatre cents Hussarts ayant passé la Save, avoient escaladé la ville de Bewina, tüé cent soixante Turcs, fait quelques prisonniers, et enlevé environ trente chevaux.