De Vienne, le 10 Avril 1689.
Hier, vn courier depéché de la Bossine par le Comte Picolomini, rapporta que les Turcs ayant assemblé des forces considerables, avoient recommencé le siege de Zwornick : ce qui l’avoit obligé d’envoyer ordre à tous les regiments Allemans et Hongrois qu’il commande de se rendre à Breka, pour tâcher de jetter du secours dans la place, dont la prise mettroit en vn grand peril toutes les nouvelles conquestes de la Bossine. On a aussi eu avis de Hongrie, que les Infideles croyant les principales forces de
l’Empereur
occupées sur le Rhin, formoient à Sophie et aux environ, vn corps d’armée à dessein, comme on croid, de faire quelque tentative sur Belgrade : et que le Commandant faisoit travailler en diligence à mettre en estat de défence les fortifications qui ne sont pas encore bien rétablies, et à faire des magazins de toutes les munitions necessaires.
Le Comte Thékéli
, suivant les mesmes nouvelles, a renoüé depuis quelque temps ses negociations avec les Hospodars de Moldavie et de Walaquie, et avec
le Prince de Transylvanie
: et ses troupes augmentent tous les jours, par la jonction des Turcs et des Tartares, de sorte qu’il est en estat de pouvoir faire vne diversion considerable, de secourir Temeswar et d’attaquer les troupes Impériales qui sont en Transylvanie. Ces avis ont obligé a envoyer de nouveaux ordres à cinq regiments Imperiaux qui marchoient vers le Rhin, de demeurer en Hongrie : où suivant l’estat present des affaires,il sera necessaire d’avoir vne puissante armée. Les Ministres Imperiaux qui reconnoissent ainsi, qu’il sera assez difficile de conserver vn nombre suffisant de troupes pour soûtenir la guerre sur le Rhin, paroissent souhaiter de conclure du moins, vne suspension d’armes avec les Turcs, s’ils vouloient en convenir à des conditions honorables. Mais les Envoyez de la Porte ne font paroistre aucune disposition à écouter cette proposition : et mesme ils reçoivent toutes celles des Commissaires Impériaux, avec vne si grande indifference qu’il est aisé de reconnoistre qu’ils n’ont fait durer la negociation que pour avoir le temps de s’informer de l’estat des affaires, des desseins et des forces de
l’Empereur
, et pour prendre des mesures plus certaines sur la continüation de la guerre. On a aussi découvert par des lettres interceptées qui estoient portées au Bacha de Caminietz par vn Chaouz qu’on a pris dans la Bossine, que les Infideles estoient bien informez de la guerre que
l’Empereur
avoit à soûtenir sur le Rhin : et qu’ils avoient resolu de profiter d’vne occasion si favorable. On assure mesme qu’ils ont témoigné que dans le plus mauvais estat de leurs affaires, ils n’avoient jamais pensé à conclure vne paix perpetüelle : et qu’ils avoient seulement ordre de tâcher de conclure vne treve de quelques années, pour avoir le moyen d’appaiser les troubles dans l’Empire Othoman et de se remettre en estat de continüer la guerre avec plus de succez. On a d’ailleurs appris par des lettres de Walaquie, que
le Grand Vizir
avoit tenu vn conseil de guerre à Andrinople, avec les principaux officiers : que le Kan des Tartares y avoit esté appellé : que pour achever de calmer le dedans de l’Empire, il avoit nommé Arath Bacha Seraskier à la place de Yeghen Bacha qui a esté declaré rebelle : et qu’vn grand détachement qui avoit esté envoyé contre luy avoit enlevé vn Bacha son parent avec environ quarante officiers de son parti, et continüé ensuite sa marche vers la Servie. Les Envoyez Turcs sont depuis ces nouvelles, plus étroitement gardez : et on les observe avec toute l’exactitude possible, pour les empescher d’avoir aucun commerce, et pour tâcherde découvrir leurs correspondances. Ils ont reçeu ordre de retourner à Pottendorff pour y attendre leurs expeditions, avec la derniere resolution de
l’Empereur
et des Ministres des Alliez. Le conseil de guerre s’assemble tous les jours : mais on n’a pas encore publié la resolution de
Sa Majesté Impériale
pour le commandement de ses armées, ni pour la repartition des régiments Allemans. Le brüit court neanmoins, que ses principales forces seront employées en Hongrie, afin d’empescher les Turcs d’y faire aucun progrez considerable, et mesme de les obliger s’il est possible, à recevoir la paix aux conditions qui leur ont esté proposées et qu’ils ont jusqu’à present rejettées. Les Hussarts et les Heyduques ont reçeu ordre de retourner à Liskina et de garder cette place qui est fort importante pour la conservation de Zwornick. Vn parti sorti de Canischa a esté coupé par des Hussarts du Comte Budiani qui en ont tüé plusieurs, et fait les autres prisonniers.
Ils ont dit que la disette continüe d’estre si grande dans cette place, qu’elle ne pouvoit pas tenir encore plus d’vn mois.
Le Prince Charles de Lorraine
doit retourner la semaine prochaine, à Inspruck : et il reviendra dans quelques jours, pour commander en Hongrie, ou sur le Rhin.
L’Electeur de Baviere
apres son depart, viendra aussi assister aux délibérations sur les projets de la Campagne. On attend
l’Electeur Palatin
en cette ville : et on luy prepare le chasteau de Newstadt où il passera l’Esté. Le 6 de ce mois, le sieur de Sala presta le serment pour la charge de Chancelier de la Basse Austriche. L’Archiduchesse Marie Anne Iosephe sœur de
l’Empereur
mourut le 4. Elle estoit fille de l’Empereur Ferdinand III. et d’Eleonor de Gonzague. Elle naquit le 20 de Décembre 1654 : et fut mariée le 25 d’Octobre 1678 à Iean Guillaume Prince Electoral Palatin Duc de Iuliers, dont elle n’a point eu d’enfans. Des couriers ont esté dépeschez pour en porter la nouvelle à Dusseldorp, au Prince Electoral : et à Inspruck, à la Reyne Doüairiere de Pologne sa sœur. Cette mort a fait differer l’audience qui devoit estre donnée aux Envoyez de Moscovie.