De Vienne, le 5 Iuin 1689.
La semaine derniere, vn courier vint donner avis que les Turcs et les Tartares avoient passé la Morava et investi le Chasteau de Iagodna : que
le Grand Vizir
estoit arrivé avec huit mille hommes à Nissa, pour se rendre à l’armée Othomane commandée par le Seraskier : que
le Grand Seigneur
devoit arriver bien tost avec les troupes d’Asie : que le Kan des Tartares estoit à Kilia avec d’autres troupes : et que
le Comte Thékéli
estoit avec quinze mille Tartares à Widin. Sur ces nouvelles
le Prince Loüis de Bade
partit en poste le 30 du mois dernier, pour se rendre à Belgrade. On a ensuite receu des lettres du Comte de Palfi et du Comte de Hoffkirck, écrites de Semendria le 28 du mois dernier, qui contiennent que l’armée Othomane augmentoit tous les jours à Nissa : qu’elle n’avoit pas encore passé la riviere de Morava, mais qu’elle se disposoit à la passer. On espere ainsi que
le Prince Loüis de Bade
estant arrivé à Belgrade, pourra disputer le passage aux Turcs et s’opposer à leurs entreprises : pendant que le blocus de Temeswar, du Grand Waradin et de Canischa {306}seront continüez par les milices de Hongrie et de Croatie avec quelques troupes Allemandes. Le Comte Picolomini a fait démolir les fortifications de la pluspart des places sur la Save, afin d’en tirer les garnisons pour en augmenter l’armée principale et la mettre plus en estat de faire teste aux Infideles. On vient de recevoir des lettres qu’il a écrites de la Bossine, par lesquelles il mande qu’il faisoit miner les fortifications de Brodt qui depuis peu avoit esté fortifié, pour le faire pareillement sauter et l’abandonner si on y est obligé. On voudroit conserver Zwornick à cause de l’importance de ce poste : mais la place sera abandonné si les Turcs s’en approchent avec des forces considerables : et la garnison se joindra à l’armée du
Prince Loüis de Bade
. On continüe d’embarquer et de faire partir de l’artillerie et des munitions pour les y condüire, quoy que les eaux du Danube soient extremement hautes. Le Comte Corbelli qui estoit venu icy, en est parti apres avoir esté declaré Colonel, pour retourner vers le Grand Waradin : et le Comte d’Aspremont est parti de Cassovie, pour aller le joindre avec vn camp volant composé d’Allemans et de Hongrois.
La ville d’Onoth a esté brûlée sans qu’on ait encore pû découvrir les incendiaires. On croid qu’ils sont envoyez par les Turcs ou par les Mécontents
: mais il a esté impossible d’en rien apprendre de ceux qui ont esté executez à Tirnau, quoy qu’ils ayent esté mis à la question. On travaille à Esperies au procez de plusieurs Officiers et soldats du régiment de Palfi, qui fut cassé il y a quelques jours, à cause des brigandages et des meurtres qu’ils commettoient. Les Ministres de
l’Empereur
ont donné part aux Ambassadeurs de Pologne et de Venise, des raisons qu’il pretend avoir de retenir les Envoyez de la Porte comme prisonniers jusqu’à la fin de la Campagne. Cette resolution leur a esté donnée par écrit, afin qu’ils se preparent à partir pour estre condüits à Raab : mais ils ont demandé qu’on differât leur départ, à cause que l’vn d’eux est incommodé. L’Ambassadeur de Pologne a continüé ses conferences avec les Commissaires de
l’Empereur
, mais sans rien conclu--re.
Sa Majesté Impériale
s’excuse de donner au
Roy de Pologne
aucun secours d’argent et de troupes, sur le besoin qu’elle en a dans la conjoncture de la guerre qu’elle est engagée à soûtenir en Hongrie et sur le Rhin. Ainsi, la negociation avec cet Ambassadeur, est reduite presentement à la continüation de la ligue et de la guerre contre les Turcs. On continüe aussi de conferer avec les Envoyez de Moscovie, sans faire vn grand fonds sur leurs promesses ny sur ce qu’ils assurent que l’armée des Czars est entrée dans la Krimée : et qu’elle occupera tellement les Tartares qu’ils ne pourront marcher vers la Hongrie. On assure au contraire, que quinze mille sont desja arrivez au rendez-vous de l’armée Othomane. Le Comte Caraffa s’est justifié de tout ce qu’on luy avoit imputé touchant les repartitions des quartiers d’hyver et les autres affaires de guerre qu’il a reglées les années dernieres, dans la Haute Hongrie : et en ayant esté déchargé par le Conseil Privé et de guerre, il a reçeu vne nouvelle commission de
l’Empereur
pour aller exercer la charge d’Intendant General dans l’armée sur le Rhin.