De Vienne, le 23 Octobre 1689.
Le 17 de ce mois, vn courier depesché de Nissa le 5, passa icy, allant à Ausbourg. Il rapporta que le Comte Picolomini avoit mis garnison Allemande dans Pyroet {544}dans la palanque de Mustafa Bacha, entre Nissa et Sophie : et qu’il estoit ensuite revenu, joindre l’armée du
Prince Loüis de Bade
.
Lors qu’il s’approcha de Pyro, environ trois cents Turcs en estoient sortis apres avoir mis le feu à plus de soixante maisons : ayant emmené vn grand nombre de Chrestiens esclaves.
Il envoya apres les Infideles, vn détachement d’Allemans et de Hussars, qui s’avancerent vers Dragoman à deux lieuës de Sophie. Mais ils s’estoient retirez sur le brüit de leur marche. Quelques prisonniers rapporterent que le Kiaia du
Grand Vizir
s’estoit retiré précipitamment vers Sophie, avec vn corps de Spahis : que le Seraskier estoit allé du mesme costé, passant par Scopia : que
le Grand Seigneur
et
le Grand Vizir
qui estoient arrivez ce jour là à Sophie, s’en estoient pareillement retirez : et que le reste de l’armée estoit dispersé en plusieurs endroits. Mais les rapports des prisonniers se sont si souvent trouvez faux, qu’on ne peut encore ajouster foy à ces nouvelles, qui n’ont esté confirmées d’aucun endroit. Le Gouvernement de Nissa dont dépendent environ trois cents bourgs ou villages, a esté donné au Comte Picolomini. Les regiments d’infanterie de Strasser, d’Aversberg et de Palfi, la moitié de ceux de cavalerie de Stirum, de Hannover et de Holstein, les Hussars de Ziacki, et les Rasciens de Paul Deak, au nombre de trois mille hommes, demeureront sous ses ordres dans la place : et le
Duc de Holstein
, et les Colonels Strasser et Palfi commanderont sous luy.
Le Prince Loüis de Bade
n’a pas continüé sa marche vers Sophie comme il y avoit sujet de croire, sur ce qu’on publie du mauvais estat des ennemis. Les dernieres nouvelles qu’on a receuës portent qu’il vouloit s’assurer la communication avec la Walaquie : et qu’il estoit allé le 6 de ce mois, avec l’armée du costé de Widin : que
le Comte Thékéli
avoit abandonné cette place à son approche, s’estant retiré avec ses troupes vers Silistrie : et que le chasteau de Belgradseck où il y avoit garnison Turque, estoit bloqué par les Rasciens. Le Baron d’Herbeville qui estoit allé vers Orsowa, avec les troupes de Transylvanie et
de la Haute Hongrie et quelques piéces d’artillerie, a trouvé la place brûlée et abandonnée par les Turcs et les Mécontens
: et il a mandé qu’il en faisoit reparer les fortifications. Le General Heusler est allé avec son corps d’armée, joindre
le Prince Loüis de Bade
: et on dit qu’ils iront ensemble vers Nicopoli, pour tâcher de s’emparer de cette place, avant que de mettre les troupes en quartier d’hyver. Trois couriers dépeschez par le Bacha de Canischa ont esté arrestez à Brod. Ils portoient des lettres par lesquelles il donnoit avis au
Grand Seigneur
et au
Grand Vizir
, qu’il luy seroit impossible de se défendre encore long temps, parce qu’il manquoit de vivres et des autres choses necessaires. On a appris par des lettres de Cronstat du 24 du mois dernier, que cent hommes en avoient encore esté tirez avec trois mortiers, pour le siege d’Orsowa. Le dernier courier du
Prince Loüis de Bade
a aussi rapporté que le Seraskier luy avoit envoyé demander vn passeport pour Mustapha Aga, qui devoit estre dépesché aux Envoyez Turcs qui sont icy, avec de plus amples pouvoirs pour reprendre les negociations de paix : et que ce passeport luy a esté accordé avec vne escorte de vingt cinq cavaliers qui l’accompagneront jusqu’en cette ville. Le Duc de Croy qui a commandé l’infanterie sous les ordres du
Prince Loüis de Bade
et le Comte Palfi arriverent hier icy de Bulgarie. Le premier demeurera en cette ville, parce qu’il est indisposé : et l’autre partira demain, pour aller trouver
l’Empereur
à Ausbourg. Le Comte Scheweret a esté nommé pour aller en Pologne, en qualité d’Envoyé Extraordinaire de
Sa Majesté Impériale
. Le brüit court qu’on a découvert vne conspiration contre
le Prince Loüis de Bade
, de laquelle estoient deux de ses domestiques qui avoient promis de le livrer aux Turcs mort ou vif : et que quelques vns des complices ont desja esté executez.