De Vienne, le 30 Octobre 1689.
Le 27 de ce mois, le Comte Iorger arriva de l’armée de Hongrie : et rapporta les nouvelles suivantes.
Le Prince Loüis de Bade
ayant donné au Comte Picolomini, vn détachement de cavalerie et d’infanterie, partit le 6 de ce mois, avec le reste de l’armée : et arriva le mesme jour, au petit Tinock. Le 7, les troupes camperent dans vn païs coupé de montagnes fort hautes, qui s’estendent depuis le mont Hemus jusqu’au bord de la riviere de Tinock où elles firent alte le 8, pour attendre les bagages. Le 9, elles marchérent seulement jusqu’au village de Skonik. Le 10, elles s’avancérent le long de la mesme riviere, vers Prestatz : et
le Prince Loüis de Bade
les y fit reposer pour don--ner le temps à l’artillerie et aux bagages d’arriver. Cependant, vn parti d’Allemans et de Hussars fut commandé pour aller reconnoistre les chemins et la ville de Widin : et pour observer la contenance des ennemis.
Le 12, ce parti revint de grand matin, avec des prisonniers qui assurerent qu’ils avoient brûlé et abandonné Orsowa et Fetislaw
: que les Commandants Turcs de ces places s’estoient jettez dans Widin, avec leurs garnisons : et que quelques jours auparavant,
le Comte Thékéli
s’estoit retiré à Sophie, avec ses troupes. Le mesme jour, l’armée continüa de marcher jusqu’à vne plaine pres de la montagne. Le 13, elle arriva à Trenowa : et le 14, elle campa dans la plaine devant Widin, sans que les Turcs eussent aucun avis de cette marche. Ainsi, ils n’apprirent l’arrivée du
Prince Loüis de Bade
, que par la retraite précipitée de leurs fourageurs : et aussitost, ils se rangerent en bataille, au nombre d’environ sept à huit mille hommes. L’aile droite se rangea sur vne ligne qui s’estendoit jusqu’au Danube. L’aile gauche se mit en ordre de bataille dans la plaine pres d’vn marais, s’estendant jusqu’à la portée du mousquet de la cavalerie ennemie. Plusieurs escadrons Turcs se détacherent pour escarmoucher. Mais
le Prince Loüis de Bade
s’estant mis à la teste de l’aile droite, les chargea et les obligea de se retirer au retranchement qu’ils avoient pres de la place. Les Ianissaires firent d’abord, vn grand feu sur quelques escadrons qui les poursuivoient, et les contraignirent à reculer. Neanmoins, cette cavalerie s’estant mise à couvert derriere vne petite hauteur à quarante pas du fossé, fit ferme jusqu’à ce que le reste de l’aile gauche fût arrivé, et se fût posté dans le cimetiere. En mesme temps, le Comte Picolomini fit mettre pied à terre à deux cents dragons des regiments de Serau et de Kissel pour attaquer le retranchement. Cette attaque se fit avec tant de succez, que les Impériaux y entrerent l’épée à la main : et se rendirent ensuite, maistres de la ville de Widin. Vne partie des Turcs qui vouloient se sauver par le Danube, se noyerent : les autres s’estant retirez dans le chasteau. La cavalerie Imperiale et quelque infan--terie de l’aile gauche s’ouvrit aussi vn passage pour entrer dans la ville : et la cavalerie Turque qui estoit d’environ quatre mille chevaux gagna la plaine. Ils furent pour suivis par quatre regiments Impériaux : et s’estant fait passage au travers des bagages de l’armée Impériale, ils se retirerent vers Sophie. On publie que les Infideles ont perdu pres de deux mille hommes en ces occasions : et que les Impériaux en ont eu plus de quatre cents tüez entre autres le Baron Dorlick Lieutenant Colonel de Serau, et autant de blessez, du nombre desquels sont les Comtes Veterani,
Guy de Staremberg
et de Trausmansdorff. Les Turcs qui n’avoient pû se sauver, se jetterent dans le chasteau : où ils firent vne vigoureuse resistance. On fut obligé de faire venir de Semendria, du gros canon et des mortiers, jusqu’à ce que l’artillerie de l’armée fût arrivée pour l’attaquer dans les formes. Le 25,
le Prince Loüis de Bade
fit camper les troupes au dessus de la ville vers le Danube : où elles furent fort incommodées du canon des ennemis qui tüa beaucoup de monde ce jour là et le lendemain. Le 17, ils batirent la chamade et demanderent à sortir avec armes, bagages et tout ce qu’ils pourroient emporter, pour estre condüits par eau, à Nicopoli : ce qui leur fut accordé. Le 18, ils sortirent au nombre de sept à huit mille ames avec vne escorte : et ils laisserent vne assez grande quantité de vivres et de munitions dans la place. Le mesme jour, deux transfuges venus de Sophie au camp du
Prince Loüis de Bade
, rapporterent que
le Grand Seigneur
et
le Grand Vizir
y estoient encore : et qu’ils ne s’estoient pas retirez vers Andrinople, comme on l’avoit publié. On dit que le Seraskier depuis sa retraite d’aupres de Nissa, avoit establi son camp vers Sophie pour rallier ses troupes : et qu’il avoit desja rassemblé plus de dix mille hommes : mais que les Tartares qui venoient joindre l’armée Othomane, estoient retournez vers le Budziac sur l’avis de la defaite des Turcs. Le 25 de ce mois, Mustafa Aga que les Envoyez de la Porte avoient dépesché au mois de Iuillet dernier, vers
le Grand Seigneur
, revint icy avec trois autres Turcs. Le brüit court qu’il a apporté les pleins pouvoirs necessaires pour reprendre les negocia--tions de paix : et on dit que la Regence de cette ville aura ordre de
l’Empereur
d’écouter leurs propositions, pour en faire ensuite le rapport à
Sa Majesté Impériale
à Ausbourg. Neanmoins, plusieurs croyent que les negociations seront differées jusqu’à son retour, afin que les Ambassadeurs de Pologne et de Venise ayent le temps d’en donner avis au
Roy de Pologne
et à la Republique de Venise : et que leurs Ministres puissent s’y trouver avec les pleins pouvoirs pour assister au traité. Le Chevalier Girolamo Venier Ambassadeur de Venise a fait icy de grandes réjoüissances pour l’exaltation du Cardinal Ottoboni au Pontificat. Il a demandé à
l’Empereur
vn passeport et les estapes pour deux mille cinq cents hommes qui doivent venir du païs de Meckelbourg, et passer par l’Austriche, pour se rendre à l’armée de la Republique. Le Comte de Hoffkirck a demandé à
l’Empereur
, la permission d’entrer au service de
l’Electeur de Saxe
, en qualité de General Major : et il l’a obtenuë.