La mélancolie dans un jardin allemand : Odile, le Lord anglais et la médecine romantique dans « Les Affinités électives » de J. W. Goethe
Résumé
Le lien spécifique qu’entretient le jardin avec la mélancolie est particulièrement tangible dans Les Affinités électives (1809), ce roman que Johann Wolfgang Goethe a conçu autour de figures et d’espaces littéraires considérés comme « saturniens », c’est-à-dire sous l’emprise de cette planète à qui l’on associe parmi maintes autres forces celle de provoquer la mélancolie chez ceux nés sous son influence. Cette contribution met l’accent sur le personnage d’Odile dans ce roman en montrant d’abord comment Goethe présente la sensibilité particulière et délicate de ce personnage féminin à partir d’espaces et de métaphores liés au jardin. Dans un deuxième temps elle explique comment, à partir de ce personnage et de celui du Lord anglais, Goethe cite et problématise le discours psychopathologique de la deuxième moitié du XVIIIe siècle et comment il évoque notamment les discussions autour du « traitement moral » dans la mise en scène d’une concurrence entre les tentatives infructueuses d’Odile et celles de sa cousine Lucienne de guérir une jeune fille démente.
Abstract
The relationship between garden and melancholy is especially discernable in Les affinités électives (1809), a novel that Johann Wolfgang Goethe conceived around a series of figures and literary spaces which he considered as "Saturnian", that is under the influence of this planet, which is associated with, among many other powers, that of causing melancholy in those born under its influence. This contribution focuses on the character of Odile in this novel. I first demonstrate how Goethe displays the sensitivity of this female character in spaces and metaphors related to the garden. I then explain how, with this character and that of the English Lord, Goethe cites and problematizes the psychopathological discourse of the second half of the eighteenth century. In particular, contemporary discussions on "moral treatment" are referred to in the staging of a competition between the unsuccessful attempts of Odile and that of her cousin Lucienne to cure a mad girl.
Table des matières
Texte intégral
Bien que le jardin trahisse parfois le stéréotype du locus amœnus et se prête à évoquer des sentiments tels que l’ennui ou même une réelle inquiétude, il instaure avec la mélancolie un lien spécifique. Le jardin à l’anglaise semble en effet conçu et vécu non pas tant comme un lieu qui provoque la tristesse mais plutôt comme un cadre propre à la tristesse, représentant ainsi un ermitage idéal dont les personnages des romans partent à la recherche, poussée par une mélancolie qui n’a rien d’affligeant (Valentina Vestroni, 2017)1.
Odile : une enfant de Saturne2
1Le lien spécifique qu’entretient le jardin avec la mélancolie est particulièrement tangible dans Les Affinités électives de Johann Wolfgang Goethe (1809). Ce roman est du reste conçu tout entier autour de figures et d’espaces littéraires qualifiés par son auteur de « saturniens », sous l’emprise de Saturne. Considérée comme une planète sombre et à révolution lente, Saturne a été associée à la bile et l’humeur noire, et il lui était attribué notamment le pouvoir de provoquer la mélancolie chez les personnes nées sous son influence3. Dans son analyse du saturnisme de Ficin, André Chastel écrit ainsi :
Cette planète qui est la plus éloignée du centre, la plus lente dans ses évolutions, est naturellement hostile à la vie ; elle ne favorise pas l’existence normale, elle empêche l’équilibre, elle oblige à descendre au rang inférieur des créatures les plus déshéritées ou à s’élever à l’ordre supérieur, qui sera celui de la contemplation, puisque Saturne est précisément l’astre de l’astrologie, c’est-à-dire du savoir4.
2La tradition mythologique a assimilé Saturne à deux dieux : « les caractéristiques du Saturne primitif latin, dieu des moissons, se confondent avec celles de Cronos (Κρόνος), fils d’Uranus qui fut détrône et castré par Zeus, et celles de Chronos (Xρόνος) le dieu du temps que l’Antiquité assimilait déjà aux deux premières divinités5 ». La nature de Cronos-Saturne est double et c’est bien pour cela que ce dieu fascine les écrivains :
D’un côté, il apparaît comme le dieu bienfaisant de l’agriculture, qui réunit hommes libres et esclaves pour la célébration de la fête de la moisson ; le souverain d’un « Ȃge d’or » où les hommes jouissant de l’abondance en toutes choses et goûtaient le bonheur innocent de l’homme naturel, tel que le décrira Rousseau ; le seigneur des Îles bienheureuses, l’inventeur de l’agriculture et de l’art de construire les villes. De l’autre, il est le dieu sombre, détrône et solitaire, qu’on imagine « vivant à l’extrémité la plus reculée de la terre et de la mer », […] plus tard il s’assimilera tout à fait au dieu de la mort et des morts6.
3L’analyse mythocritique de référence de Bernhard Buschendorf (1986) a bien montré combien les Affinités électives sont inspirées de diverses images de l’Arcadie et plus particulièrement des tableaux d’Albrecht Dürer, Melencolia I (1514) et de Giovanni Benedetto Castiglione, Melancholie (1645-16467). Le germaniste Thorsten Valk a récemment complété le travail de Buschendorf sur les sources de Goethe en proposant une série de réflexions sur les aspects thérapeutiques évoqués dans ses textes8. Valk ne montre pas seulement les connaissances de Goethe concernant les traditions de la mélancolie dans le domaine de l’histoire culturelle, mais il combine cette approche mythocritique avec l’analyse des lectures psychopathologiques de Goethe et de son intérêt pour les réformes dans ce domaine au XVIIIe siècle.
4En m’inspirant de l’approche de Valk qui repère des traits mélancoliques dans chacun des personnages principaux du roman, je voudrais mettre l’accent sur le personnage d’Odile dans les Affinités électives9, en montrant d’abord comment Goethe présente la sensibilité particulière et délicate de ce personnage féminin à partir d’espaces et de métaphores liés au jardin10. Dans un deuxième temps j’expliquerai comment, à partir de ce personnage et de celui du Lord anglais, Goethe cite et problématise le discours psychopathologique de la deuxième moitié du XVIIIe siècle et comment il évoque notamment les discussions autour du « traitement moral » dans la mise en scène d’une concurrence entre les tentatives infructueuses d’Odile et de sa cousine Lucienne de guérir une jeune fille psychiquement malade.
La sensibilité délicate d’Odile11
La Douce Mélancolie
Joseph Marie Vien (Montpellier, 1717 – Paris, 1809), 1758. Huile sur toile, 73 x 63,5 cm, Réplique du tableau peint par Vien pour Madame Geoffrin en 1756
Toulouse, musée des Augustins, inv. 2002.2.1
5Si l’on regarde le tableau du peintre français Joseph-Marie Vien (1716-1809)12, présenté au Salon de 1757 et intitulé « La douce mélancolie », qui représente comme d’autres peintures de la mélancolie une femme en deuil, une femme très jeune, mais maigre et abattue, on pense sans hésitation à un personnage central du roman goethéen : Odile, décrite dans le roman comme « Penserosa13 » s’adonnant à la lecture et à l’imagination provoquant la mélancolie et appelant ainsi l’iconographie saturnienne14. Hélène Prigent a montré que l’article « Mélancolie » de l’Encyclopédie, très vraisemblablement attribuable à Diderot, se réfère à cette représentation allégorique de Vien en en décrivant ainsi le personnage féminin : « […] elle a sa tête appuyée d’une main, de l’autre elle tient une fleur, à laquelle elle ne fait pas attention ; ses yeux sont fixés à terre, et son âme toute en elle-même ne reçoit des objets qui l’environnent aucune impression15 ». L’auteur de l’article se trompe. La jeune femme ne tient pas une fleur, mais une colombe. Guillaume Faroult donne des précisions :
6Faut-il y voir la transposition aimable du « passereau », attribut traditionnel du mélancolique selon Ripa ? La colombe est aussi l’animal de Vénus, retrouverait-on ici alors cette connotation amoureuse établie par Furetière ? Mais elle est également, chez Ripa, associée à des notions qui peuvent convenir au portrait caché de Mme Geoffrin [commanditaire présumée, H. H.] à la fois en intellectuelle et en femme sage : la « pureté », la « simplicité » et « la sincérité ». La colombe est en outre riche d’implications chrétiennes. Mme Geoffrin, tout en étant proche des libres penseurs, était aussi sincèrement et discrètement catholique16.
7Sans pouvoir entrer dans les détails de l’analyse de ce tableau, représentant idéalement le culte de la (douce) mélancolie du XVIIIe siècle, mon hypothèse est que Goethe a dû connaître cette représentation féminine de la mélancolie (comme celle de Dürer et de Castiglione) et qu’il en trace une sorte de portrait romanesque en concevant le personnage d’Odile : fille douce et innocente, mélancolique, séductrice et Sainte Marie à la fois. Autrement dit elle représente « l’obscure clarté de la mélancolie17 ». En même temps on peut se demander si ce ne sont pas plutôt les représentations féminines de Constance Charpentier (1767-1849) ou de François André Vincent (1746-1816) qui correspondraient plus à Odile s’agissant « de nouvelles figurations mélancoliques […] plus lacrymales, voire franchement morbides »18.
8Odile est une enfant de Saturne par le fait, déjà, qu’elle est orpheline19. Elle vit sous la tutelle de sa tante Charlotte qui s’est retirée à la campagne dans un château avec un grand parc qu’elle aménage avec son deuxième mari Edouard. C’est un cadre mélancolique par excellence qui accueille la jeune femme : un vieux château hérité par Edouard, une église, une chapelle, un cimetière, des tombes (lieux funéraires), un lac funeste, un moulin caché derrière des rochers. Ces endroits se trouvent en grande partie dans le parc (et le jardin) du château. Au début du roman Odile se trouve encore en ville dans un pensionnat avec sa cousine Lucienne, mais elle ne semble pas y trouver sa place. Elle souffre de sa vie au pensionnat et de la concurrence qui s’est installée entre elle et sa cousine. Elle quittera le pensionnat à l’invitation de sa tante pour vivre avec eux à la campagne. Charlotte et Edouard avaient déjà préalablement décidé d’abandonner leur intimité conjugale pour faire venir un ami – le Capitaine. Entre ces quatre personnages les affinités électives vont devenir des liaisons dangereuses. Si c’est un choc émotionnel violent qui est à l’origine de la fin tragique d’Odile, parce qu’elle cause la mort de l’enfant de ses hôtes, elle est dès le début dotée d’attributs de la mélancolie ou de caractéristiques pathogènes : elle mange très peu20, elle parle peu, elle a souvent mal à la tête.
9Le château et le parc en cours d’aménagement forment l’espace littéraire central dans lequel Odile évolue et dans lequel elle vit sa passion pour Edouard, le mari de sa tante21. Au fur et à mesure que grandit en elle cette passion, elle se prend à aimer la nature :
Que de fois la bonne jeune fille ne se hâta-t-elle pas de quitter, au lever du soleil, la maison dans laquelle naguère elle avait trouvé tout son bonheur, de s’en aller dans la nature, dans cette région qui jadis ne lui parlait pas. Elle ne pouvait pas non plus demeurer sur la terre. Elle sautait dans le canot et ramait jusqu’à ce qu’elle fût au milieu du lac ; alors, elle prenait un livre de voyage, se laissait balancer par les vagues agitées, lisait, rêvait aux pays étrangers, et toujours elle y trouvait son ami ; elle était toujours restée près de son cœur et lui près du sien. (AE, I/17, p. 16922)
10Odile est l’amie du jardinier et jardinière elle-même. Elle partage sa passion pour le jardinage avec Edouard, son amoureux : « Elle était pareillement experte dans le verger et le jardin d’agrément. » (AE, I/7, p. 9523) Le jardin est le cadre – le locus amœnus – du premier baiser qu’elle échange avec Edouard à côté du moulin. Ce locus amœnus se transforme tragiquement en locus terribilis car c’est sur le lac du parc qu’elle fait tomber accidentellement l’enfant dans l’eau après ses retrouvailles avec Edouard24. Au moment de sa séparation douloureuse d’avec Edouard, bien avant cet accident, elle espère que les fleurs exprimeront ses sentiments pour lui. Les doutes et inquiétudes accompagnent déjà la jeune femme :
Pourtant, elle ne pouvait se séparer de ces parterres et plates-bandes. Tout ce qu’ils avaient semé et planté, partiellement ensemble, était maintenant en pleine floraison et n’avait plus guère besoin d’aucun soin, sauf d’arrosages, auxquels Nanette, était toujours disposée. Avec quels sentiments Odile considérait les fleurs plus tardives, qui s’annonçaient seulement, dont l’éclat et l’abondance devaient resplendir plus tard, pour l’anniversaire d’Edouard, qu’elle se promettait parfois de célébrer, et exprimer son amour et sa reconnaissance. Pourtant, l’espoir de voir cette fête n’était pas toujours également vivant. Doutes et inquiétudes entouraient sans cesse de leur chuchotement l’âme de la bonne jeune fille. (AE, I/17, p. 168-169)25
11Odile développe un rapport de plus en plus étroit avec la nature et la croissance organique. Elle se forme, se métamorphose, elle change26. Elle devient l’amie des artistes et artiste elle-même. Elle se met à peindre des anges, des fleurs et des fruits dans la nouvelle chapelle. Le choix des saisons et des fleurs évoquées dans le roman sont significatifs : Odile arrive à la campagne au printemps et elle meurt en automne. Le motif des asters, signes de l’automne et symboles du deuil, lui est attribué à maintes reprises. En sortant de la chapelle qu’elle a décorée avec l’architecte, elle pense à son bien-aimé absent dont l’anniversaire est le lendemain :
Mais maintenant toutes les fleurs de l’automne resplendissaient sans être cueillies, les tournesols offraient toujours leurs visages au ciel, les asters jetaient toujours devant eux leurs regards silencieux et humbles, et ce qu’on en avait tressé en couronnes avait servi de modèle pour décorer un lieu qui, s’il ne devait pas rester une simple fantaisie d’artiste, s’il devait servir à quelque chose, ne semblait convenir qu’à une sépulture commune. (AE, II/3, p. 199)27
12L’accident tragique qui cause la mort de l’enfant de Charlotte et Edouard se passe également dans le parc : sur l’eau du lac artificiel. Ce traumatisme provoque d’abord un demi-sommeil léthargique en une sorte de répétition d’un état antérieur qu’elle a vécu au moment où elle a perdu sa mère. Odile se laisse mourir en pratiquant une ascèse (« freiwillige Selbstbeschränkung ») qui l’isole de plus en plus du monde extérieur. Elle meurt par inanition selon un motif que l’on trouve dans des histoires de femmes saintes28. Si Odile porte sans doute les traits d’une sainte – nous avons déjà évoqué sa description en « Penserosa » – et qu’elle a même représenté Sainte Marie dans une scène de tableau vivant, ses traits pathologiques évoqués dès le début du roman se sont aggravés à la suite de ces événements dramatiques. Sa personnalité peut ainsi amener à se poser la question de savoir s’il s’agit d’une sorte de description de « cas » comparable à Werther. Il est certain qu’elle est particulièrement sensible et qu’elle ressemble en ceci à d’autres personnages célèbres de Goethe : au Tasse, mais aussi à Faust29.
Odile, le Lord anglais et les sciences romantiques
13Une scène intéressante concernant la sensibilité d’Odile se joue dans le onzième chapitre de la deuxième partie du roman, au moment où Charlotte et Odile reçoivent deux étranges voyageurs anglais : un lord et son compagnon adepte du mesmérisme. Le premier s’avère tout d’abord être un spécialiste des parcs et jardins à l’anglaise :
On peut bien dire que, grâce à ses observations, le parc s’agrandit et s’enrichit. D’avance il découvrait toutes les promesses des nouvelles plantations en pleine croissance. Aucun endroit ne lui échappait, où l’on pouvait encore mettre en valeur quelque beauté ou en ajouter une nouvelle. Là, il indiquait une source qui, purifiée, promettait d’être dans l’avenir la parure de tout un bosquet ; ici, une grotte qui, dégarnie et élargie, pouvait offrir un lieu de repos désiré, car il suffisait d’abattre quelques arbres pour apercevoir un entassement de splendides masses de rochers. Il félicita les maîtres du domaine d’avoir encore tant de choses à terminer et leur recommanda de ne pas se hâter, mais de réserver pour les années suivantes le bonheur de créer et d’organiser. (AE, II/10, p. 261-262)30
14Seulement il a quitté son propre jardin. Il a en effet décidé de ne plus se fixer en un endroit et de voyager, abandonnant son pays natal et son propre jardin. À cela, il donne des raisons politiques, mais aussi le fait que son fils, pour lequel il avait tout construit, ne s’intéresse pas à ses domaines. Cette rupture l’a conduit à se mettre en route en tant que promeneur et observateur solitaire, voyageant avec une chambre noire portative qui lui permet de recueillir « les vues du parc les plus pittoresques pour que ses voyages lui procurent, ainsi qu’à d’autres, une riche moisson » (AE, II/10, p. 262)31. Au bonheur de créer et d’organiser, il oppose une vision bien mélancolique de la création :
Qui jouit maintenant de mes bâtiments, de mon parc, de mes jardins ? Ni moi, ni même les miens, mais des hôtes étrangers et curieux, des voyageurs instables. (AE, II/10, p. 263)32
15Si dans ce personnage du Lord anglais on retrouve des traits de Lord Bomston (personnage du roman Julie ou La Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau), de Charles Gore ou peut-être même de Newton33, il est évident que cet Anglais pratique avec ses voyages un traitement recommandé contre la mélancolie. Jean Starobinski cite dans son Histoire du traitement de la mélancolie le médecin psychiatre Philippe Pinel qui écrit dans un article sur la « Mélancolie » dans l’Encyclopédie méthodique : « On sait que les voyages sont les moyens qui réussissent le mieux aux Anglais pour dissiper leur sombre mélancolie34. » Avec le récit de sa vie et de ses voyages, l’Anglais itinérant et mélancolique transmet son mal à Odile qui finira par tomber dans une tristesse profonde en comparant le sort du lord anglais à celui d’Edouard parti en guerre, mais surtout elle décide d’une « retraite paisible », de « cacher sa douleur » et de « tromper les autres » :
Odile trouva un endroit où elle pût pleurer dans la solitude. Nulle souffrance sourde ne l’avait saisie plus violemment que cette clarté, qu’elle s’efforçait de rendre encore plus claire, suivant l’habitude qu’on a de se tourmenter soi-même une fois qu’on est sur le chemin du tourment.
La situation d’Edouard lui semblait si misérable, si lamentable qu’elle résolut, quoi qu’il en pût coûter, de tout faire pour contribuer à sa réconciliation avec Charlotte, de cacher sa douleur et son amour dans quelque retraite paisible et de les tromper par n’importe quel genre d’activité. (AE, II/10, p. 265)35
16Le lord mélancolique est accompagné d’un compagnon de voyage qui, lui, fait découvrir à Odile des affinités bien particulières. Elle explique à ce compagnon qu’elle veut éviter certains chemins dans le parc parce qu’ils provoquent chez elle frissons et maux de tête. Son interlocuteur découvre par la suite des traces de houille à ces endroits, qui suscite en lui l’idée de mener une expérience de pendule avec Odile. Le lord exprime des doutes quant à ce type d’expérience, mais son compagnon ne se laisse pas influencer :
En outre, à plusieurs reprises, il déclara qu’on ne devait pas abandonner ainsi une recherche, parce que l’expérience ne réussissait pas avec chaque individu, mais qu’il fallait au contraire continuer d’une manière encore plus sérieuse et plus approfondie ; certainement maints rapports et maintes affinités des êtres inorganiques entre eux, des êtres organiques avec les premiers et entre eux se révéleraient, qui nous sont encore cachés. (AE, p. 279)36
17On retrouve ici l’idée d’affinité entre êtres organiques et composés inorganiques chère à la philosophie de la nature romantique37. D’un point de vue formel, le roman reprend aussi le même sujet – l’affinité – qui a dominé l’entretien sur la chimie dans la première partie, dans un effet de miroir typique chez Goethe38. Dans cette première partie Edouard lit à voix haute « des ouvrages de physique, de chimie et de technique » (AE, I/4, p. 70) et à l’occasion d’une de ces lectures l’assistance évoque les affinités « inanimées ». Charlotte entend d’abord dans ce terme les affinités entre hommes sans en comprendre la connotation scientifique, qu’elle se fait expliquer par le Capitaine. Cette comparaison entre le domaine animé et inanimé accompagnera dorénavant aussi le lecteur, qui verra au cours du roman une formule chimique « prendre vie ». Jeremy Adler souligne que « la possibilité d’une influence réciproque de la matière et de l’esprit implique une unité complète, une "affinité" universelle de la nature. Si dans l’entretien sur la chimie on a élaboré une théorie, on montre maintenant une expérience39. » De fait, l’expérience du pendule sur Odile montre d’une manière surprenante sa « sensibilité » face aux métaux et aux minéraux40. Voici la réaction de la jeune femme telle que Goethe la dépeint :
Les dames revinrent. Charlotte comprit aussitôt ce qui se passait. « J’ai maintes fois entendu parler de ces choses, » dit-elle, « mais je n’en ai jamais vu l’effet. Comme vous avez tout préparé si joliment, laissez-moi essayer si avec moi cela réussira aussi. »
Elle saisit le fil et, comme elle prenait la chose au sérieux, elle le tint ferme et sans émotion ; cependant on ne remarqua pas non plus la moindre oscillation. On invita Odile à lui succéder. Elle tint le pendule avec plus de calme encore, d’innocence et d’ignorance des métaux qui gisaient au-dessous. Mais, à l’instant même le pendule fut entraîné comme dans un tourbillon qu’on déplaçait, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, tour à tour en cercle ou en ellipse, ou encore il oscillait en ligne droite, exactement comme le compagnon pouvait s’y attendre et même au-delà de toute attente. (AE, II/11, p. 279)41
18Cette expérience reproduit non seulement une expérience décrite par le philosophe Schelling dans le Morgenblatt et la Jenaische Allgemeine Literaturzeitung en 1807, mais elle reflète également les travaux du chimiste Johann Wilhelm Ritter avec qui Goethe a fait certaines des expériences rapportées dans son Traité des couleurs42. Ritter considère que les phénomènes du pendule proviennent de la même force que celle à l’origine du principe de l’affinité élective et qu’il appelle « sidérisme ». Qu’en pense Goethe ? Sa réaction est quelque peu ambivalente, même si dans les Entretiens avec Eckermann du 7 octobre 1827 il se montre plutôt convaincu des forces magnétiques :
Nous avons tous quelque chose des forces électriques et magnétiques en nous et nous exerçons comme l’aimant une force attractive et répulsive, selon que nous entrons en contact avec quelque chose de semblable ou de dissemblable43.
19Si le compagnon pense pouvoir guérir Odile avec sa méthode, Charlotte interrompt l’expérience :
Odile eut la complaisance de se prêter à ses désirs, jusqu’à ce qu’elle lui demandât enfin de vouloir bien l’en dispenser, parce que son mal de tête la reprenait. Lui alors, émerveillé et même ravi, lui affirma avec enthousiasme qu’il la guérirait complètement de ce mal si elle se fiait à son traitement. On hésita un moment ; mais Charlotte, qui comprit rapidement de quoi il était question, repoussa cette offre bienveillante, parce qu’elle n’était pas d’avis d’admettre dans son entourage une chose qui n’avait pas cessé de lui inspirer une forte appréhension. (AE, II/11, p. 280)44
20Odile est ici le personnage qui serait sensible aux thérapies à la mode proposées par le compagnon du Lord. Celui-ci ressemble beaucoup à Franz Anton Mesmer, célèbre pour avoir guéri des maladies nerveuses dans le cadre d’un modèle de flux cosmologique45. Esther Schelling-Schär évoque à propos du sommeil pathologique d’Odile l’importance du sommeil somnambulique ou magnétique décrit dans l’ouvrage important et très populaire de Gotthilf Heinrich Schubert (1780-1860) sur le « côté obscure des sciences naturelles » (Ansichten von der Nachtseite der Naturwissenschaft)46. Schubert est considéré comme l’un des premiers représentants du courant romantique de la psychologie. Il s’est intéressé aux pratiques de cure du médecin Mesmer, a étudié les rêves (Symbolik des Traums, 1814) et s’est intéressé de plus près aux maladies de l’âme47. Goethe a rencontré Schubert lors d’une cure à Karlsbad en 1807 au moment où celui-ci travaillait à son ouvrage sur les Ansichten von der Nachtseite der Naturwissenschaft. Goethe reste réticent face à ces pratiques tout en suivant de près les discussions scientifiques et en restant curieux face au magnétisme minéral, à la sensibilité aux minéraux (« Gesteinsfühligkeit ») et aux métaux (« Metallfühligkeit »)48. Cela ne veut pas dire non plus qu’il ne s’intéresse pas de plus près à la médecine de son époque et plus particulièrement à la psychologie naissante.
Odile – thérapeute et malade
21Le moment où Goethe rédige son roman Les Affinités électives (1809) coïncide avec un tournant important dans l’histoire des idées médicales qui vont voir la folie devenir un objet de connaissance49. Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, on passe d’une interprétation humorale à une conception nerveuse de la mélancolie. Nous sommes aux débuts du savoir psychiatrique. Ce que l’on nomme aujourd’hui la « dépression » s’appelait encore « mélancolie ». C’est le moment où les auteurs du XIXe siècle – les pères fondateurs et classificateurs de la discipline, comme Philippe Pinel (1745-1826) ou Jean-Etienne-Dominique Esquirol (1772-1840), conseillent de forger de nouveaux termes : monomanie triste, ou lypémanie, et de rayer du vocabulaire scientifique le mot mélancolie, qu’ils abandonnent aux poètes et au vulgaire50. Comme le souligne Jean Starobinski dans son Histoire du traitement de la mélancolie il s’agit d’une maladie dont les causes sont surtout « morales » et non pas/plus physiques, appelant ainsi une thérapeutique nouvelle – une médecine morale et un « traitement moral51 ». Cette notion de « traitement moral » (de « moral management » en anglais) s’appelle en allemand « psychische Kurmethode » et prend une place importante dans cette psychiatrie réformatrice de l’époque52. Le Traité médico-philosophique de l’aliénation mentale ou la manie (1800) de Pinel est traduit seulement un an plus tard en allemand sous le titre Abhandlung über Geistesverwirrungen (trad. Wagner, Vienne, 1801). Parmi les médecins et réformateurs célèbres dans le champ des maladies mentales en Allemagne il faut citer entre autres Johann Christian Reil (1759-1813), qui est fréquemment qualifié de « Pinel allemand53 » considéré par ailleurs comme le fondateur de la psychiatrie allemande54, Johann Christoph Hoffbauer (1766-1827) et Johann Gottfried Langermann (1768-1832), médecin pendant quelques années à Iéna dans le duché de Saxe-Weimar-Eisenach, où vit Goethe et qu’il connaît bien55.
22Qu’est-ce que le traitement moral ? Je reprends ici les explications données par Jean Starobinski à partir des écrits de Philippe Pinel, d’Esquirol et de Reil, dont on retrouve selon mon analyse des éléments de discours dans le roman de Goethe56. C’est une « forme encore naïve de psychothérapie » (Starobinski, p. 88), une méthode quasi pédagogique basée sur une relation de sympathie et de confiance entre le médecin et le malade. La relation du médecin avec le mélancolique oscille entre la générosité indulgente et la sévérité brutale. Pinel considérait le patient comme un aliéné auquel il suffisait bien souvent de parler avec douceur, de compatir à ses maux et de donner l’espoir consolant d’un sort plus heureux, mais avec une directivité de type pédagogique et au besoin autoritaire. Le traitement repose d’abord sur une méthode complaisante, c’est-à-dire que le thérapeute entreprend de se rapprocher du mélancolique en feignant de croire comme lui à son idée délirante jusqu’à ce que celui-ci renonce à son comportement déraisonnable. Les médecins aliénistes proposent également des activités théâtrales, des thérapies de choc (douche – hydrothérapie), la pose d’une sonde gastrique, une stimulation par des sensations agréables (la chaleur du soleil, les frictions et les effleurements, le bain tiède, le chatouillement), les manipulations du magnétisme animal (pour Reil), des cures du dégoût ; le pirouettement, le voyage, l’établissement thermal, la musique, ou encore le traitement familial.
23Un passage des Affinités électives emploie clairement ce discours social dans le récit fictionnel. Il s’agit d’un petit passage que l’on pourrait croire sans grande importance, parce qu’il concerne surtout des personnages mineurs du roman. Mais il attire l’attention en raison de l’effet de miroir qu’il met en place et de l’écho qu’il renvoie à un discours spécialisé. Il s’agit du chapitre VI de la deuxième partie du roman : Lucienne, la fille de Charlotte, vient au château où vivent Charlotte et Odile (pendant qu’Edouard est à la guerre et le Capitaine occupé ailleurs) pour lui présenter son futur mari, un homme très riche. Elle apporte au château une agitation tumultueuse, elle y organise des fêtes et des bals, et y fait venir de nombreux invités. Elle se montre très généreuse envers certains, tout en étant en même temps médisante envers d’autres. Elle est décrite comme une fille bien capricieuse. Curieusement, elle est aussi celle qui s’occupe de gens psychiquement malades.
24Elle semblait s’être fait une loi, non seulement d’être gaie avec les gens gais, mais aussi triste avec les gens tristes, et parfois, pour donner libre cours à l’esprit de contradiction, d’attrister ceux qui étaient gais et d’égayer ceux qui étaient tristes. Dans toutes les familles qu’elle visitait, elle prenait des nouvelles des malades et des êtres faibles, qui ne pouvaient paraître dans la société. Elle leur faisait une visite dans leurs chambres, remplaçait le médecin, les obligeait à prendre des remèdes énergiques, puisés dans sa pharmacie de voyage ; un tel traitement, on le devine, réussissait ou échouait, au gré du hasard. (AE, II/6, p. 225-226)57
25Un cas particulier d’échec est rapporté. Ce cas fait miroir avec le destin futur d’Odile. Cette description ressemble beaucoup à celles qu’on peut trouver chez des médecins de l’époque comme Pinel ou Reil. À l’origine de la maladie se trouve un accident tragique qui entraîne le dégout de la société et une recherche de la solitude :
Une jeune fille de bonne maison avait eu le malheur de causer la mort d’une sœur plus jeune et de ne pouvoir ni s’en consoler, ni retrouver son équilibre. Elle vivait dans sa chambre, travaillant en silence, et ne supportait l’aspect des siens que s’ils venaient isolément ; car, si plusieurs étaient réunis, elle les soupçonnait aussitôt de parler d’elle et d’échanger des réflexions sur son état. Si l’un d’eux était seul avec elle, elle lui parlait très raisonnablement et la conversation durait des heures entières.
Lucienne en avait entendu parler et aussitôt elle se promit secrètement, si elle pénétrait dans la maison, de faire un véritable miracle et de rendre la jeune fille à la société. Elle se comporta dans cette entreprise avec plus de précaution que d’habitude ; elle sut s’introduire seule auprès de cette âme malade et, autant qu’on put s’en rendre compte, gagner sa confiance grâce à la musique. Elle ne commit d’erreur qu’à la fin, car, précisément parce qu’elle voulut faire sensation, elle amena soudain, un soir, cette belle enfant pâle qu’elle imaginait suffisamment préparée, dans une société nombreuse et brillante ; et cela encore aurait pu réussir, si la société elle-même, par curiosité et appréhension, ne s’était pas montrée maladroite, n’avait pas entouré la malade, pour l’éviter ensuite, ne l’avait pas égarée et agitée en chuchotant et en se parlant à l’oreille. Sa sensibilité délicate ne le supporta pas. Elle s’échappa, poussant des cris affreux, comme frappée d’horreur par l’irruption d’un monstre.
Effrayée, la société se dispersa de tous côtés, et Odile fut une des personnes qui ramenèrent dans sa chambre la jeune fille complètement inanimée. Cependant Lucienne avait adressé, à sa manière, une vive semonce, à la société, sans penser le moins du monde qu’elle était seule coupable et sans que cet échec ou d’autres puissent changer sa manière de faire.
Depuis cette époque, l’état de la malade avait empiré ; bien plus, le mal s’était aggravé à tel point que les parents, ne pouvant plus conserver la pauvre enfant chez eux, durent la confier à un établissement public. Il ne resta donc plus à Charlotte qu’à adoucir dans une certaine mesure, par une attitude particulièrement tendre pour cette famille, la douleur que sa fille avait provoquée. Sur Odile cet événement avait fait une impression profonde ; elle plaignait d’autant plus la pauvre jeune fille qu’elle était convaincue, ce qu’elle ne cacha pas à Charlotte, qu’avec un traitement suivi on aurait certainement pu guérir la malade. (AE, II/6, p. 226-227)58
26Lucienne veut faire du bien et elle fait du mal. Le traitement moral échoue. Même s’il est clair qu’ « on ne peut se prévaloir d’une connaissance parfaite du cœur humain ni d’une technique qui le modifierait infailliblement », comme le souligne Esquirol en parlant des difficultés de soigner des malades mentaux59 il est significatif que Goethe attribue le rôle du médecin psychiatre à deux jeunes femmes. Les femmes n’exerceront ce métier que bien plus tard. Ce passage sert aussi encore une fois à souligner les différences entre Lucienne et Odile. L’une représente la théâtralité de l’action, l’autre l’authenticité et la sincérité. Cette scène joue par anticipation la mort d’Odile qui – elle aussi – cause la mort d’un enfant (II/chapitre XIII), se retire de la société et souffre des actes et paroles de Mittler qui manque de sensibilité, renforce son complexe de culpabilité rendant une guérison définitive impossible. Pourtant, dans une lettre qu’Odile a adressée à ses amies peu avant, elle montre une grande clairvoyance par rapport à son état et elle demande expressément de ne pas faire appel à un médiateur. Odile s’adresse ainsi à ses amis :
« Pourquoi, » mes chers amis, « dois-je dire expressément ce qui se comprend de soi-même ? Je suis sortie de ma voie et je n’ai pas le droit d’y revenir. Un démon hostile, qui a étendu sur moi son emprise, semble m’opposer des obstacles extérieurs, quand bien même je serais parvenue à rétablir mon unité intérieure. […] Ne faites appel à aucun médiateur, ne me pressez pas de parler, de prendre plus d’aliments et de boisson qu’il ne m’en faut à la rigueur. Aidez-moi par votre indulgence et votre patience à passer cette période. Je suis jeune, la jeunesse se rétablit à l’improviste. Tolérez ma présence, réjouissez-moi par votre amour, instruisez-moi par vos entretiens, mais abandonnez-moi mon âme à moi-même. » (AE, II/17, p. 321)60
27Deux jeunes femmes – souffrant de mélancolie – se portent mal ou meurent dans Les affinités électives. Les tentatives d’aider et de soigner ne sont pas toujours efficaces, souvent même brutales. Goethe pratiquerait-il une sorte d’antipsychiatrie avant la lettre ? Ce qu’on peut dire c’est que Goethe se tient au courant des productions et discussions scientifiques dans le domaine de la psychiatrie et de la psychologie de son époque. Il connaît les écrits de Johann Christian Reil. Il a lu son ouvrage le plus connu, les Rhapsodies sur l’emploi de la méthode de cure psychique dans les dérangements de l’esprit, quelques mois après sa publication en 1803 et propose même d’en faire un compte rendu dans la « Jenaer Literaturzeitung »61. Il connaît donc la façon dont Reil décrit le traitement de malades comme une réhabilitation par étapes (« stufenweise Rehabilitierung ») et son insistance sur l’importance d’éviter des situations de stress pour les patients pendant le traitement. Goethe se fait même traiter par Reil en 1805 pour un problème de reins62. Il n’est donc pas en mauvais termes avec les psychiatres de l’époque. Au contraire, il connaît et il suit la professionnalisation du métier de médecin psychiatre. Goethe observe, s’informe et problématise les savoirs dans son roman et il montre leurs limites, conscient de la complexité des relations humaines. Comme le souligne Laurence Dahan-Gaida : « Contrairement à l’ouvrage de vulgarisation qui vise tout à la fois à instruire et à distraire, le roman est un instrument d’exploration et de problématisation des multiples savoirs qui sont à l’œuvre dans le monde63. »
28Avec la figure d’Odile, Goethe a peint un tableau de la mélancolie en la représentant sous les traits d’un destin féminin dans un jardin à l’anglaise, dans un cadre propre à la tristesse.
29Il considère l’être humain comme « une unité organique et la vie de celui-ci comme un jeu de forces régi par les lois de la nature parmi lesquelles la passion joue un rôle clé64. » Comme toute maladie de l’âme, la mélancolie est difficile à cerner, autant que le personnage d’Odile. Elle souffre – comme son jeune frère Werther – d’une passion qui se transforme en délire mélancolique, démon qu’elle n’arrive pas à dompter et dont elle meurt. Saturne a vaincu Jupiter. En bon connaisseur de la tradition littéraire (mythologique) de la mélancolie, Goethe met en scène un être humain sensible face au monde en créant un univers champêtre et pittoresque en mutation. Il est certes un auteur romantique et trouve dans la nature un écho à ses états d’âme, mais il est aussi un auteur d’écrits scientifiques et il a fait l’expérience directe de la nature à travers les différentes responsabilités professionnelles à la cour de Weimar. Son intérêt scientifique ne passe pas à côté des recherches dans le domaine de la psychologie et de la psychiatrie naissantes et il ouvre ainsi la voie aux écrivains éminemment modernes comme Georg Büchner dont les personnages comme Woyzeck et Lenz ont laissé d’importantes traces dans l’histoire de la médecine65.
30Le jardin qui est « la plus petite parcelle du monde et puis […] la totalité du monde66 » permet dans son rôle d’hétérotopie et d’« espace autre » l’expression de la mélancolie, de par son décentrement. Il peut ainsi être considéré comme « le » lieu de l’être sensible : l’endroit qui touche à tous les sens. C’est dans l’idée de sensibilité particulière qui caractérise Odile que mélancolie et jardin se rejoignent et témoignent ainsi de cette affinité universelle de la nature que Goethe a placé au centre de ce roman.
Notes
1 Valentina Vestroni, Jardins romanesques au XVIIIe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2016, p. 113.
2 Bernhard Buschendorf, Goethes mythische Denkform. Zur Ikonographie der "Wahlverwandtschaften ", Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1986, p. 144 sq.
3 « C’est aux astrologues arabes que l’on doit la filiation entre Saturne et la mélancolie. Dès le VIIe siècle, les Arabes traduisent et réinterprètent tout un pan de la pensée grecque, et relèvent la similitude de couleur de la bile du mélancolique et de la planète Saturne. À l’influence de l’astre, les astrologues rapportent finalement les manifestations de la bile noire. […] », in Hélène Prigent, Les métamorphoses de la dépression, Paris, Gallimard, 2005, p. 39 sq.
4 André Chastel, Marsile Ficin et l’art, Genève, Droz, 1975, p. 164. Voir à propos du rôle central de Ficin dans l’histoire de la mélancolie la contribution d’Hervé Brunon dans ce recueil.
5 Raymond Klibansky / Erwin Panofsky / Fritz Saxl, Saturne et la mélancolie. Études historiques et philosophiques : Nature, religion, médecine et art, traduit de l’anglais et d’autres langues par Fabienne Durand-Bogaert et Louis Evrard, Paris, Gallimard, 1989, p. 209.
6 Ibid., p. 211.
7 Cf. aussi le commentaire de Waltraut Wiethölter dans l’édition critique dite de Francfort : Johann Wolfgang Goethe, Sämtliche Werke. Briefe, Tagebücher und Gespräche, t. 11, Francfort-sur-le-Main, Deutscher Klassiker Verlag, 2006, p. 984-1053.
8 Thorsten Valk, Melancholie im Werk Goethes. Genese – Symptomatik – Therapie, Niemeyer, 2002 ; Id., Poetische Pathographie. Goethes Werther im Kontext zeitgenössischer Melancholie-Diskurse (15/12/2004). In Goethezeitportal : http://www.goethezeitportal.de/db/wiss/goethe/werther_valk.pdf (consulté le 10 février 2019).
9 Cf. Thorsten Valk, Melancholie im Werk Goethes, ibid., p. 273-289.
10 Nicolas Fernandez-Bravo a montré l’importance quantitative de l’espace descriptif du jardin paysager dans ce roman à partir d’une étude de vocabulaire et de corrélations syntaxiques dans : « Modèle de vie du jardin paysager et vocabulaire dans le roman de Goethe Les Affinités électives », in Hildegard Haberl / Anne-Marie Pailhès (dir.), Jardins d’Allemagne. Transferts, théories, imaginaires, Paris, Honoré Champion, 2014, p. 163-184.
11 Depuis la rédaction de ma thèse je m’intéresse à ce personnage énigmatique : voir par exemple Hildegard Haberl, « Les Affinités électives : le roman d’un concept voyageur entre science et relations humaines, déterminisme et contingence », in Laurence Dahan-Gaida (dir.), Circulation des savoirs et reconfiguration des idées. Perspectives croisées France-Brésil, Paris, Presses du Septentrion, 2016, p. 357-377 et Id., « Conseil éducatif et fureur pédagogique », in Alexandra Richter-Alac (dir.), Le coach de Goethe. Conseil et médiation dans les « Affinités électives », Paris, Riveneuve Editions, 2014, p. 149-171.
12 Sans en avoir une preuve, Goethe a pu connaître le peintre Vien en tant que lecteur de Diderot qui rédige des chroniques sur la vie artistique en France dans la célèbre Correspondance littéraire de Frédéric Melchior Grimm entre 1759-1781. Diderot a commenté de nombreuses œuvres de Vien dans ses Salons. « La douce mélancolie » est selon Guillaume Faroult « une conception positive de la mélancolie, plus volontiers encline à la méditation introspective et sentimentale qu’à la dépression, proche encore du sens courant du vocable en français contemporain. […] », in « "La douce Mélancolie", selon Watteau et Diderot. Représentations mélancoliques dans les arts en France au XVIIIe siècle », in Jean Clair (dir.), Mélancolie. Génie et Folie en Occident, Paris, Réunion des musées nationaux / Gallimard, 2006, p. 274-283, ici p. 281. Voir aussi Roland Mortier, Diderot en Allemagne. 1750-1850, Paris, 1954.
13 C’est-à-dire la Sainte Marie représentée comme femme qui lit. Goethe la décrit ainsi : « Odile continuait à porter l’enfant au grand air et s’accoutumait à faire des promenades toujours plus longues. Elle avait toujours avec elle la petite bouteille de lait pour lui donner sa nourriture quand c’était nécessaire. Rarement elle négligeait d’emporter aussi un livre et ainsi, l’enfant sur le bras, lisant et se promenant, elle offrait l’image d’une très gracieuse Penserosa. (AE, p. 280-281). Goethe se réfère ici aussi à deux poèmes de l’Anglais John Milton (1608-1674) qui ont fortement contribué à l’expansion d’une connotation positive nouvelle de la mélancolie : L’Allegro et Il Penseroso.
14 À propos de la « douce mélancolie » au XVIIIe siècle voir aussi la contribution d’Adrian Von Buttlar dans ce numéro.
15 Cité in Hélène Prigent, op. cit., p. 83.
16 Guillaume Faroult, op. cit., p. 280.
17 J’emprunte cette expression à un article de Maxime PREAUD, « L’obscure clarté de la mélancolie. Les figures de la mélancolie selon l’"Iconologia" die Cesare Ripa », Nouvelles de l’estampe, n° 73, janvier-février 1984, p. 3-19.
18 Cf. Guillaume Faroult, op. cit., p. 281.
19 Cf. Bernhard Buschendorf, op. cit., p. 145.
20 Cf. Irmgard Egger, « "[…] ihre große Mäßigkeit" : Diätetik und Askese in Goethes Roman Die Wahlverwandtschaften », in Goethe Jahrbuch, 1997, n° 114, p. 253-263.
21 Cf. aussi le travail de Mauro Ponzi concernant le traitement de la passion et de la mélancolie dans le Werther, Mauro Ponzi, « Die Natur der Krankheit : Leidenschaft und Melancholie beim jungen Goethe, in Jahrbuch des Freien deutschen Hochstifts, 2007, p. 89-122.
22 J’utiliserai pour les textes de Goethe les sigles et éditions suivants : AE = Les Affinités électives, traduction, introduction et notes par J.-F. Angelloz, Paris, Flammarion, 1992 (1968) ; WV = Die Wahlverwandtschaften, in Johann Wolfgang Goethe, Sämtliche Werke, Briefe, Tagebücher und Gespräche, éd. par Friedmar Apel, Hendrik Birus, Anne Bohnenkamp et al, t. 8, Die Leiden des jungen Werthers, Die Wahlverwandtschaften, Kleine Prosa, Epen, éd. par Waltraud Wiethölter en collaboration avec Christoph Brecht, Francfort,Deutscher Klassiker Verlag, 1994 [FA = Frankfurter Ausgabe].
23 « Eben so wußte sie im Baum- und Blumengarten Bescheid. » (WV, I/7, p. 320)
24 Cf. Klaus Garber, Der locus amoenus und der locus terribilis, Cologne / Vienne, Böhlau, 1974.
25 « Doch konnte sie sich von diesen Rabatten und Beeten nicht trennen. Was sie zusammen zum Teil gesät, alles gepflanzt hatten, stand nun im völligen Flor; kaum bedurfte es noch einer Pflege […] Mit welchen Empfindungen beobachtete Odile die späteren Blumen, die sich erst anzeigten, deren Glanz und Fülle dereinst an Eduards Geburtstag, dessen Feier sie sich manchmal versprach, prangen, ihre Neigung und Dankbarkeit ausdrücken sollten. » (WV, I/17, p. 383 sq.)
26 J’ai décrit d’une manière plus détaillée la formation et l’éducation sentimentale d’Odile dans Hildegard Haberl, « Conseil éducatif et fureur pédagogique », op. cit. Voir aussi Esther Schelling-Schär, Die Gestalt der Odile. Zu Goethes "Wahlverwandtschaften", Zurich, Atlantis Verlag, 1969, p. 90.
27 « Aber nunmehr stand der ganze herbstliche Blumenreichtum ungepflückt. Diese Sonnenblumen wendeten noch immer ihr Angesicht gen Himmel; diese Astern sahen noch immer still bescheiden vor sich hin, und was allenfalls davon zu Kränzen gebunden war, hatte zum Muster gedient einen Ort auszuschmücken, der wenn er nicht bloß eine Künstler-Grille bleiben, wenn er zu irgend etwas genutzt werden sollte, nur zu einer gemeinsamen Grabstätte geeignet schien. » (WV, II/3, p. 408)
28 Irmtraud Egger montre l’actualité des écrits diététiques du temps de Goethe dont une source importante était Ficin. Cf. Irmtraud Egger, op. cit., p. 261 ; voir à ce propos la contribution d’Hervé Brunon dans ce volume.
29 Hans-Jürgen Schings a montré combien les connaissances de Goethe des traditions de la mélancolie et plus particulièrement du lien entre mélancolie et théorie du génie ont influencé la conception des personnages littéraires comme Werther, Faust et Torquato Tasso. Cf. Hans-Jürgen Schings, Melancholie und Aufklärung, Stuttgart, Metzler, 1977, p. 226 sq.
30 « Man kann wohl sagen, daß durch seine Bemerkungen der Park wuchs und sich bereicherte. Schon zum voraus erkannte er, was die neuen heranstrebenden Pflanzungen versprachen. Keine Stelle blieb ihm unbemerkt, wo noch irgend eine Schönheit hervorzuheben oder anzubringen war. Hier deutete er auf eine Quelle, welche gereinigt, die Zierde einer ganzen Buschpartie zu werden versprach; hier auf eine Höhle, die ausgeräumt und erweitert, einen erwünschten Ruheplatz geben konnte, indessen man nur wenige Bäume zu fällen brauchte, um von ihr aus herrliche Felsenmassen aufgetürmt zu erblicken. Er wünschte den Bewohnern Glück, daß ihnen so manches nachzuarbeiten übrig blieb, und ersuchte sie, damit nicht zu eilen, sondern für folgende Jahre sich das Vergnügen des Schaffens und Einrichtens vorzubehalten. » (WV, II/10, p. 466)
31 « […] denn er beschäftigte sich die größte Zeit des Tags, die malerischen Aussichten des Parks in einer tragbaren dunklen Kammer einzufangen und zu zeichnen, um dadurch sich und andern von seinen Reisen eine schöne Frucht zu gewinnen. » (WV, II/10, p. 466)
32 « Wer genießt jetzt meine Gebäude, meinen Park, meine Gärten? Nicht ich, nicht einmal die Meinigen; fremde Gäste, Neugierige, unruhige Reisende. » (WV, II/10, p. 467)
33 Kerrin Klinger et Matthias Müller ont proposé une analyse du personnage de l’Anglais : il pourrait s’agir d’une allusion à une connaissance personnelle de Goethe, à savoir d’un artiste anglais, Charles Gore, établi à Weimar et qui se servait d’une camera obscura pour son travail. Gore était avant tout un collaborateur du peintre Jacob Philipp Hackert qui résidait à Naples et a donné des cours de dessin à Goethe pendant son voyage en Italie en 1786. Après la mort de Hackert ses œuvres ont été envoyées à Goethe qui s’en servit pour rédiger une biographie. Goethe a publié aussi des textes de Hackert concernant la peinture du paysage : Über Landschaftmahlerei. Theoretische Fragmente. Les textes de Goethe sur Hackert font par ailleurs partie de ses écrits documentaires sur l’histoire des sciences et des savoirs. Cf. K. Klinger / M. Müller, « Goethe und die Camera obscura », in Goethe Jahrbuch, 125, 2008, p. 219-238 ; voir aussi Cf. Michael Bies, « Grenzen der Anglophilie. Charles Gore und der englische Lord in Goethes Wahlverwandtshaften », in Uwe Ziegler / Horst Carl (dir.), "In unserer Liebe nicht glücklich". Kultureller Austausch zwischen Großbritannien und Deutschland 1770-1840, Göttingen, Vandenhoeck _ Ruprecht, 2014, p. 91-110; aussi N. Miller / C. Nordhoff, Lehrreiche Nähe: Goethe und Hackert: Bestandsverzeichnis der Gemälde und Graphik Jakob Philipp Hackerts in den Sammlungen des Goethe-Nationalmuseums Weimar: Briefwechsel zwischen Goethe und Hackert: kunsttheoretische Aufzeichnungen aus Hackerts Nachlass, Munich, Hanser, 1997.
34 Jean Starobinski, op. cit., p. 111.
35 « Ottilie fand Raum sich in der Einsamkeit auszuweinen. Gewatlsamer hatte sie kein dumpfer Schmerz ergriffen, als diese Klarheit, die sie sich noch klarer zu machen strebte, wie man es zu tun pflegt, daß man sich selbst peinigt, wenn man einmal auf dem Wege ist gepeinigt zu werden. Der Zustand Eduards kam ihr so kümmerlich, so jämmerlich vor, daß sie sich entschloß, es koste was es wolle, zu seiner Wiedervereinigung mit Charlotten alles beizutragen, ihren Schmerz und ihre Liebe an irgend einem stillen Orte zu verbergen und durch irgend eine Art von Tätigkeit zu betriegen. » (WV, II/10, p. 469)
36 « Auch er gab wiederholt zu erkennen, dass man deswegen, weil solche Versuche nicht Jedermann gelängen, die Sache nicht aufgeben, ja vielmehr nur desto ernsthafter und gründlicher untersuchen müsste ; da sich gewiss noch manche Bezüge und Verwandtschaften unorganischer Wesen untereinander, organischer gegen sie und abermals untereinander, offenbaren würden, die uns gegenwärtig verborgen seien. » (WV, p. 480-481)
37 Cf. Denise Blonde au, « Goethes Naturbegriff in den "Wahlverwandtschaften" », in Goethe-Jahrbuch, 1997, p. 35-48, ici p. 38.
38 Cf. Jeremy Adler, "Eine fast magische Anziehungskraft". Goethes "Wahlverwandtschaften" und die Chemie seiner Zeit, Munich, C.H. Beck Verlag, 1987, p. 180.
39 Ibid., p. 182.
40 Waltraud Wiethölter remarque dans ses notes à l’édition de Francfort que la houille est un élément de Saturne et dans son rapport au feu particulièrement attribuable à Odile. (WV, p. 1048)
41 « Die Frauenzimmer kamen zurück. Charlotte verstand sofort was vorging. Ich habe manches von diesen Dingen gehört, sagte sie, aber niemals eine Wirkung gesehen. Da Sie alles so hübsch bereit haben, lassen Sie mich versuchen, ob es mir nicht auch anschlägt. / Sie nahm den Faden in die Hand; und da es ihr Ernst war, hielt sie ihn stet und ohne Gemütsbewegung; allein auch nicht das mindeste Schwanken war zu bemerken. Darauf ward Ottilie veranlasst. Sie hielt den Pendel noch ruhiger, unbefangner, unbewusster über die unterliegenden Metalle. Aber in dem Augenblicke ward das schwebende wie in einem entschiedenen Wirbel fortgerissen und drehte sich, je nachdem man die Unterlage wechselte, bald nach der einen, bald nach der andern Seite, jetzt in Kreisen, jetzt in Ellipsen, oder nahm seinen Schwung in graden Linien, wie es der Begleiter nur erwarten konnte, ja über alle seine Erwartung. » (WV, II/11, p. 481)
42 Cf. la note de Waltraud Wiethölter in WV, p. 1048 ; Cf. aussi Jeremy Adler, op. cit., p. 180 sq.
43 « Wir haben alle etwas von elektrischen und magnetischen Kräften in uns und üben wie der Magnet selber eine anziehende und abstoßende Gewalt aus, je nachdem wir mit etwas Gleichem oder Ungleichem in Berührung kommen. » in Johann Peter Eckermann, Gespräche mit Goethe in den letzten Jahren seines Lebens, éd. par Fritz Bergemann, Francfort-sur-le-Main / Leipzig, Insel Verlag, 1992, p. 609. Cf. Jeremy Adler, op. cit., p. 185.
44 « Ottilie war gefällig genug sich in sein Verlangen zu finden, bis sie ihn zuletzt freundlich ersuchte, er möge sie entlassen, weil ihr Kopfweh sich wieder einstelle. Er darüber verwundert, ja entzückt, versicherte ihr mit Enthusiasmus, daß er sie von diesem Übel völlig heilen wolle, wenn sie sich seiner Kunst anvertraue. Man war einen Augenblick ungewiß; Charlotte aber die geschwind begriff wovon die Rede sei, lehnte den wohlgesinnten Antrag ab, weil sie nicht gemeint war, in ihrer Umgebung etwas zuzulassen, wovor sie immerfort eine starke Apprehension gefühlt hatte. » (WV, II/11, p. 481-482)
45 Jürgen Barckhoff, « Tag- und Nachtseiten des animalischen Magnetismus. Zur Polarität von Wissenschaft und Dichtung bei Goethe », in Peter Matussek (dir.), Goethe und die Verzeitlichung der Natur, Munich, Beck, 1998, p. 75-100, p. 76.
46 Gotthilf Heinrich Schubert, Ansichten von der Nachtseite der Naturwissenschaften (1808); Schubert a transformé le concept du magnétisme animal de Mesmer en une théorie très influente et populaire de l’inconscient avant la lettre.
47 Altes und Neues aus den Gebiete der inneren Seelenkunde (cinq volumes, 1817 à 1844), Die Krankheiten und Störungen der menschlichen Seele (1845).
48 Cf. Jürgen Barckhoff, op. cit., p. 79 ; 91.
49 Marcel Gauchet, « De Pinel à Freud », in Gladys Swain, Le sujet de la folie. Naissance de la psychiatrie, Paris, Calmann-Levy, 1997, p. 7-57, p. 8.
50 Cf. Jean Starobinski, op. cit., p. 80.
51 Ibid., p. 88 sq.; voir aussi Harald Neumeyer, « "Wir nennen aber jetzt Melancholie"(Adolph Henke). Chateaubriand, Goethe, Tieck und die Medizin um 1800 », in Thomas Lange / Harald Neumeyer, Kunst und Wissenschaft um 1800, Würzburg, Königshausen _ Neumann, 2000, p. 63-88.
52 Sur la pratique du « moral management » au XIXe siècle en Grande Bretagne voir la contribution de Laurence Dubois dans ce numéro.
53 Cf. Gladys Swain, op. cit., p. 85 (note 1). Voir aussi Albrecht Koschorke, « Poiesis des Leibes. Johann Christian Reils romantische Medizin », in Gabriele Brandstetter / Gerhard Neumann (dir.), Romantische Wissenspoetik. Die Künste und die Wissenschaften um 1800, Würzburg, 2004, p. 259-272. Consultable sur : Goethezeitportal : http://www.goethezeitportal.de/db/wiss/reil/koschorke.pdf (consulté le 15 juin 2019).
54 C’est Reil qui a introduit le terme de « psychiatrie » (d’abord « Psychiaterie ») en allemand dans un article intitulé « Ueber den Begriff der Medicin und ihre Verzweigungen in Beziehung auf die Berichtigung der Topik der Psychiatrie » en 1808. Cf. Andreas Marneros, « Die Psychiatrie hat 200. Geburtstag », in Der Nervenarzt, n° 80/5, 2009, p. 598-604. Voir aussi Andreas Marneros / Frank Pillmann, Das Wort Psychiatrie wurde in Halle geboren. Von den Anfängen der deutschen Psychiatrie, Stuttgart, Schatteuer, 2005.
55 Cf. Thorsten Valk, op. cit., 2002, p. 43.
56 Jean Starobinski, op. cit., p. 88 sq.
57 « Luciane schien sich’s zum Gesetz gemacht zu haben, nicht allein mit den Fröhlichen fröhlich, sondern auch mit den Traurigen traurig zu sein, und um den Geist des Widerspruchs recht zu üben manchmal die Fröhlichen verdrießlich und die Traurigen heiter zu machen. In allen Familien wo sie hinkam, erkundigte sie sich nach den Kranken und Schwachen, die nicht in Gesellschaft erscheinen konnten. Sie besuchte sie auf ihren Zimmern, machte den Arzt und drang einem Jeden aus ihrer Reiseapotheke, die sie beständig im Wagen mit sich führte energische Mittel auf; da denn solche Kur, wie sich vermuten läßt, gelang oder mißlang, wie es der Zufall herbeiführte. » (WV, II/6, p. 434)
58 « Eine der Töchter eines angesehnen Hauses hatte das Unglück gehabt, an dem Tode eines ihrer jüngeren Geschwister schuld zu sein, und sich darüber nicht beruhigen noch wieder finden können. Sie lebte auf ihrem Zimmer beschäftigt und still, und ertrug selbst den Anblick der Ihrigen nur wenn sie einzeln kamen: denn sie argwohnte sogleich, wenn mehrere beisammen waren, daß man untereinander über sie und ihren Zustand reflektierte. Gegen Jedes allein äußerte sie sich vernünftig und unterhielt sich stundenlang mit ihm. Luciane hatte davon gehört und sich sogleich im Stillen vorgenommen, wenn sie in das Haus käme, gleichsam ein Wunder zu tun und das Frauenzimmer der Gesellschaft wiederzugeben. Sie betrug sich dabei vorsichtiger als sonst, wußte sich allein bei der Seelenkranken einzuführen, und soviel man merken konnte, durch Musik ihr Vertrauen zu gewinnen. Nur zuletzt versah sie es: denn eben weil sie Aufsehn erregen wollte, so brachte sie das schöne blasse Kind, das sie genug vorbereitet wähnte, eines Abends plötzlich in die bunte glänzende Gesellschaft; und vielleicht wäre auch das noch gelungen, wen nicht die Sozietät selbst, aus Neugierde und Apprehension, sich ungeschickt benommen, sich um die Kranke versammelt, sie wieder gemieden, sie durch Flüstern, Köpfe zusammenstecken irre gemacht und aufgeregt hätte. Die zart Empfindende ertrug das nicht. Sie entwich unter fürchterlichem Schreien, das gleichsam ein Entsetzen vor einem eindringenden Ungeheuren auszudrücken schien. Erschreckt fuhr die Gesellschaft nach allen Seiten auseinander, und Ottilie war unter denen, welche die völlig Ohnmächtige auf ihr Zimmer begleiteten. Indessen hatte Luciane eine starke Strafrede nach ihrer Weise an die Gesellschaft gehalten, ohne im mindesten daran zu denken, daß sie allein alle Schuld habe, und ohne sich durch dieses und andres Mißlingen von ihrem Tun und Treiben abhalten zu lassen. Der Zustand der Kranken war seit jener Zeit bedenklicher geworden, ja das Übel hatte sich so gesteigert, daß die Eltern das arme Kinde nicht im Hause behalten konnten, sondern einer öffentlichen Anstalt überantworten mußten. Charlotte blieb nicht übrig als durch ein besonders zartes Benehmen gegen jene Familie den von ihrer Tochter verursachten Schmerz einigermaßen zu lindern. Auf Ottilien hatte die Sache einen tiefen Eindruck gemacht; sie bedauerte das arme Mädchen um so mehr als sie überzeugt war, wie sie auch gegen Charlotten nicht leugnete, daß bei einer konsequenteren Behandlung die Kranke gewiß herzustellen gewesen wäre. » (WV, II/6, 435)
59 Jean Starobinski, op. cit., p. 86.
60 « Warum soll ich ausdrücklich sagen, meine Geliebten, was sich von selbst versteht. Ich bin aus meiner Bahn geschritten und ich soll nicht wieder hinein. Ein feindseliger Dämon, der Macht über mich gewonnen, scheint mich von außen zu hindern, hätte ich mich auch mit mir selbst wieder zur Einigkeit gefunden. […] Beruft keine Mittelsperson! Dringt nicht in mich, daß ich reden, daß ich mehr Speise und Trank genießen soll, als ich höchstens bedarf. Helft mir durch Nachsicht und Geduld über diese Zeit hinweg. Ich bin jung, die Jugend stellt sich unversehens wieder her. Duldet mich in eurer Gegenwart, erfreut mich durch eure Liebe, belehrt mich durch eure Unterhaltung; aber ein Innres überlaßt mir selbst. » (WV, II/17, p. 514-515)
61 Cf. Thorsten VALK, Melancholie im Werk Goethes, op. cit., p. 50, note 61.
62 Il en témoigne dans une lettre au duc Charles-Auguste du 10 août 1805 : « An Reil habe ich einen sehr bedeutenden Mann kennen lernen; er beobachtet mein Uebel 14 Tage, ohne ein Rezept zu schreiben, als etwa eins, das er selbst für palliativ erklärte. Tröstlich kann es für mich sein, dass er gar keine Achtung vor meinem Gebrechen haben will und versichert, das werde sich alles ohne grossen medizinischen Aufwand wiederherstellen. »; cf. Liselotte Müller, Johann Christian Reil und die Romantik, Würzburg, 1935, p. 28 et Manfred Wenzel, Goethe und die Medizin, Francfort-sur-le-Main, Insel, 1992, p. 67-70.
63 Laurence Dahan-Gaida, « Savoirs nomades et culture mondiale : comment penser aujourd’hui les transferts entre sciences et littérature », in Id. (dir.), Circulation des savoirs et reconfiguration des idées Perspectives croisées France-Brésil, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2016, p. 339-356, ici p. 346.
64 « Goethe […] betrachtet den Menschen als organische Einheit und sein Leben als naturgesetzliches Kräftespiel, worin Leidenschaft eine entscheidende Rolle spielt. », Alfred Schmidt, « Natur », in Goethe Handbuch, t. 2, éd. par Bernd Witte, Stuttgart / Weimar : Metzler, 1998, p. 755-776, p. 765 (trad. par H. Haberl).
65 Cf. Yvonne Wübben, Büchners Lenz. Geschichte eines Falls, Constance, 2016 et Id., « Écriture psychiatrique et écriture littéraire : le "cas" de Lenz selon Büchner », in Hildegard HABERL (dir.), Savoirs et littérature dans le monde germanophone, n° 15/2015 de la revue Epistémocritique : https://epistemocritique.org/ecriture-dun-cas-entre-psychiatrie-et-litterature-lenz-de-buchner/ (consulté le 25 septembre 2019).
66 Michel Foucault, « Des espaces autres » [1984], in Dits et écrits II, 1976-1988, Paris, Gallimard, 2001, p. 1571-1581, p. 1578.
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Quelques mots à propos de : Hildegard Haberl
Université Caen Normandie, ERLIS
Depuis 2011, Hildegard Haberl est maîtresse de conférences en études germaniques à l’Université de Caen Normandie et membre du groupe de recherche ERLIS (EA 4254). Elle est l’auteure d’une thèse sur « Écriture encyclopédique – écriture romanesque. Représentations et critique du savoir dans le roman allemand et français de Goethe à Flaubert » dans laquelle l’espace littéraire du « jardin » joue un rôle central. Situé dans le champ de l’épistémocritique, son travail au croisement de la littérature et de l’histoire des idées enquête sur la représentation des savoirs dans le texte littéraire. Depuis 2013 elle co-organise à l’Université de Caen un séminaire sur les espaces culturels, les hétérotopies et le jardin. Ses dernières publications en lien avec le jardin et la mélancolie sont les suivantes: avec Anne-Marie Pailhès (dir.), Jardins d’Allemagne : transferts, théories, imaginaires, Paris, Honoré Champion, 2014 ; « La Théorie de l’art des jardins de Christian Cay Lorenz Hirschfeld (1742-1792) : une entreprise encyclopédique, pédagogique et patriotique », in Hildegard Haberl et Anne-Marie Pailhès (dir.), Jardins d’Allemagne : transferts, théories, imaginaires, Paris, Honoré Champion, 2014, p. 69-89 ; « Conseil éducatif et fureur pédagogique », in Alexandra Richter-Alac (dir.), Le coach de Goethe. Conseil et médiation dans les « Affinités électives », Paris, Riveneuve Editions, 2014, p. 149-171 ; « Les Affinités électives : le roman d’un concept voyageur entre science et relations humaines, déterminisme et contingence », in Laurence Dahan-Gaida (dir.), Circulation des savoirs et reconfiguration des idées. Perspectives croisées France-Brésil, Paris, Presses du Septentrion, 2016, p. 357-377.